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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 14:02
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Titre original : Cloclo

Film français sorti le 14 mars 2012

Réalisé par Florent Emilio Siri

Avec Jérémie Renier, Benoît Magimel, Robert Knepper,…

Biopic, Drame

Le destin tragique d’une icône de la chanson française décédée à l’âge de 39 ans qui, plus de trente ans après sa disparition, continue de fasciner. Star adulée et business man, bête de scène et pro du marketing avant l’heure, machine à tubes et patron de presse, mais aussi père de famille et homme à femmes… C’est le portrait d’un homme complexe, multiple ; toujours pressé, profondément moderne et prêt à tout pour se faire aimer.

      

Biopic 2012, clap n° 3 ! Après un portrait surprenant du fondateur du FBI par Clint Eastwood, moins film-dossier que l’histoire d’une romance impossible, et un portrait catastrophique et hors sujet de Margaret Thatcher, c’est au tour de Claude François de voir sa vie passer devant une caméra. Il n’échappera à personne que ce projet intervient quelques années après La Môme, biopic bancal sur Edith Piaf qui avait reçu un succès tonitruant au point d’avoir pu rafler quelques oscars outre-Atlantique. Depuis, la mode des biopics, déjà bien installée aux Etats-Unis, s’est implantée solidement sur le territoire hexagonal. Souvent pour le plus grand malheur des cinéphiles et spectateurs français.

Si les Américains ont réussi à accoucher de quelques œuvres biographiques assez impressionnantes tels Amadeus de Milos Forman, Raging Bull de Martin Scorsese ou encore The Social Network de David Fincher parmi une flopée de films à oscars très oubliables (Ray pour en citer l’archétype), les Français ont plus souvent flirté avec le long-métrage opportuniste qu’avec le portrait hors normes et galvanisant d’une personnalité censée l’être tout autant. On a ainsi vu un biopic fort oubliable sur Coluche qui retraçait platement sa candidature à l’élection présidentielle derrière la caméra d’Antoine De Caunes, un long-métrage prétentieux, lent, superficiel et faussement original sur Gainsbourg ainsi qu’une œuvre politique consternante sur l’ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy qui ressemblait à une page « Wikipédia » racontée à la sauce des « Guignols de l’Info » d’aujourd’hui. Bref, rien de particulièrement novateur ou d’intéressant derrière ces films aux apparats tapageurs (reconstitutions historiques minutieuses, performances d’acteurs métamorphosés,  rythmes soutenus,…) mais à la vacuité narrative et thématique proprement déprimante (succession de scènes qui ne font qu’effleurer les personnages tout en transformant le long-métrage en rapport peu objectif d’un passé impossible à recréer fidèlement).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997972.jpgC’est la même chanson

Ce nouveau biopic intitulé Cloclo n’a apparemment aucune différence avec ses prédécesseurs. C’est partiellement exact : on y retrouve la reconstitution minutieuse et flamboyante, les performances d’acteurs hallucinants de vérité, la succession ininterrompue d’évènements réels,… Pourtant Cloclo se démarque clairement de cette vague post-La Môme pour s’imposer à la fois comme la meilleure comédie musicale et la meilleure « success story » française de ces vingt dernières années (au moins). Ce qui peut sembler surprenant au premier abord, Claude François ne disposant pourtant pas d’une aura internationale semblable à celle d’Edith Piaf qui symbolise encore à elle-seule la France pour les Américains. Il n’est pas non plus idolâtré d’un point de vue musical et artistique, contrairement à un Gainsbourg, et ce, même si quelques unes de ses chansons font clairement partis de l’inconscient collectif français.

Elle est déjà là, la première grande différence entre Cloclo et le reste des biopics français. Il n’est pas réalisé par un aficionado du chanteur. Le réalisateur Florent Emilio Siri le répète à longueur d’interviews : il y a encore une poignée d’années, il n’aurait jamais envisagé de mettre en scène la vie de Claude François, d’autant plus qu’il n’en connaissait pas grand-chose. Cela permet cependant à Siri de faire un portrait neutre, refusant d’éluder les zones d’ombres et les défauts (nombreux) du chanteur tout en évitant de livrer un portrait uniquement à charge. Il n’y a qu’à voir la concurrence : Sfar en totale adoration de ce Gainsbourg qu’il représente comme un petit génie ayant une inspiration presque divine ; De Caunes en complète déférence envers ce Coluche qui ne doute que légèrement de sa capacité à incarner l’espoir du peuple français ; Dahan qui filme, hébété, cette « Môme Piaf » n’ayant que quelques défauts pardonnables car elle est aussi et avant tout une grande artiste incontestée.

Cloclo ne revendique pas à être une hagiographie, là où les autres étaient déjà du niveau de la panégyrie. Cloclo n’est pas l’histoire d’un artiste révolutionnaire. Ce n’est pas une œuvre de réhabilitation. Siri ne cache pas qu’il y avait de l’opportunisme chez Claude François. Un opportunisme à double tranchant certes, puisqu’il empruntait aux autres pour le refaire à sa façon et que cela lui permettait de ne pas stagner et de garder une certaine modernité qui faisait défaut à la plupart de ses concurrents. Mais opportunisme quand même. Lors d’une scène de repas, Siri fait dire à Claude François qu’il a accepté de faire « 50% de la tête et 50% du cœur » car il s’est rendu compte que ce qui lui plaisait ne plaisait pas forcément au public. Alors il coupe la poire en deux à l’américaine (dans le domaine cinématographique c’est la méthode Spielberg qui consiste à faire un film pour le public puis un long-métrage plus personnel). Et lorsque l’intertitre final apparait, c’est bien pour dire que Claude François a vendu plus de 60 millions de disques (aspect commercial) et qu’il est le compositeur indirect de la chanson la plus connue du monde (qui est celle de Sinatra). Il y a déjà eu bilan artistique plus jouissif que ça.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997971.jpg17 ans

Car Cloclo ce n’est pas tant le portrait déférent d’un artiste fait par un metteur en scène en total admiration de son idôle, que la peinture complexe et multiple d’un homme torturé. Ce n’est pas le bilan musical qui importe, ni même un quelconque génie artistique. On peut détester les chansons de Claude François sans pour autant détester le film. Car ce dernier n’essaye pas de nous les faire aimer ou de leur donner une plus-value esthétique forcément subjective. Cloclo n’est pas un grand film parce qu’il dépeint la vie du chanteur populaire français iconique des seventies. Le film suivrait un chanteur fictif qu’il serait toujours aussi magnifique.  Cloclo est un grand film parce qu’il ne se limite pas à être un film sur Cloclo. Le film de Siri réussit la prouesse de nous faire identifier à son personnage principal, là où les films de Sfar ou de Dahan montraient de façon distanciée le parcours d’un artiste. On ne prenait jamais le point de vue de Gainsbourg ou d’Edith Piaf. On ne les comprenait pas forcément.

Claude François, en tout cas le Claude François du film, est sujet à des peurs et à des blessures universelles, donc forcément perceptibles chez le spectateur. Dans Gainsbourg – Vie héroïque, le chanteur-compositeur se montrait « au mieux » complexé par sa judéité pendant cinq minute (ce qui n’est pas universel) et par sa tête de choux pendant deux minutes (notamment pour montrer un plan ridicule qui reprenait l’expression à la lettre). Claude François est né en Egypte dans une famille française plutôt aisée. François a apparemment un avenir tout tracé : il reprendra la succession de son père qui travaille au canal de Suez. Après une enfance somme toute assez joyeuse malgré un père autoritaire et froid, Claude François se retrouve face au premier grand choc de son existence. Sa famille est obligée de fuir d’Egypte après l’arrivée au pouvoir de Nasser et la nationalisation du canal de Suez. Coup du destin qui détruit en une poignée de minutes les plans longuement mûris par le père à l’intention de sa descendance. Si Claude François n’est pas né dans la pauvreté, il subit un traumatisme encore plus fort : celui d’avoir tout eu dès le départ avant de se le voir soudainement confisqué en quelques secondes.

Cette peur de tout perdre fait évidemment écho à une peur bien plus large qui est celle de la fin (la mort). C’est à partir de ce moment-là que l’hypernerveux Claude François va trouver son moteur. Après cela, il fera tout très vite. L’unique solution pour ne pas être fini, c’est d’empêcher cette fin d’arriver en ne s’arrêtant jamais. Etre toujours en action car l’immobilisme signifie la mort. A partir de là, on peut déjà excuser le rythme presqu’épuisant de la narration et le survol de quelques éléments de sa vie. On ne doit pas s’attarder : on continue d’avancer jusqu’à la fin inéluctable. De ce défaut habituel du biopic, Siri en fait une force puisqu’il est en adéquation complète avec le personnage principal. De ce point de vue là, le rythme de la narration et la précision du montage rapproche Siri d’un Scorsese ou d’un Fincher. Non pas que Siri en soit la copie française inférieure, mais bien un pair du même niveau.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997961.jpgLe Mal-aimé

Si les dix premières minutes du film ne sont pas très dynamiques, bien que capitales pour la suite du récit, c’est avec l’arrivée de la famille François à Monaco que le récit s’accélère pour ne plus s’arrêter jusqu’à la toute fin. Car c’est là qu’intervient l’autre grand traumatisme crucial au caractère de Claude François. Désireux de faire de la musique puisqu’il semble avoir un certain sens du rythme depuis sa toute jeune enfance, il choisit d’emprunter cette voie artistique pour améliorer la situation précaire de cette famille désormais réduite à manger du « pain-vinaigrette » au déjeuner. Problème : son père ne veut pas « d’un fils saltimbanque », et ce, même si cela permettrait à la famille d’avoir un peu plus d’argent. Ce père traditionnel, voulant voir sa fille bien mariée et un fils à sa succession en ayant un métier honorable, ne supportera jamais l’idée de voir son fils se compromettre dans une branche aussi dégradante et ne lui reparlera plus jamais, y compris sur son lit de mort. Pour un personnage que l’on imagine bien naïf, fragile et surprotégé, le choc est violent.

C’est après cette première marque de désamour que Claude François ne cessa de chercher à être aimer. De palier avec l’amour des fans et de ses conquêtes le manque d’affection de ce père rigide et jaloux de sa réussite. Ces traumas initiaux sont présents au cours des quinze premières minutes mais, contrairement à d’autres biopics qui s’acharnent à les replacer lourdement tout au long du film, Cloclo ne les met ensuite plus qu’en filigrane pour faire comprendre ce qui a poussé Claude François à faire un tel parcours. Ce n’est pas vraiment les traumatismes qui sont importants que la façon dont le chanteur s’acharna toute sa vie à les dépasser. D’un côté, ne jamais s’arrêter pour ne pas finir ringard, tout perdre et disparaitre de la mémoire du public (et par extension de ne pas « mourir »). De l’autre, Claude François passera les vingt années suivantes à combler ce manque d’amour et de confiance.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19695650.jpgReste

Dans un montage particulièrement efficace, maniant l’ellipse avec une rare dextérité, Siri dévoile l’ascension de Claude François. Il est d’abord simple batteur de tumbas dans un orchestre à Monaco. Un musicien parmi d’autres, ce qui « oblige » sa mère à annoncer fièrement à ses voisins de tables qui assistent à l’un de ses spectacles que son fils se trouve à la droite de l’orchestre. La célébrité n’est pas encore là, mais il a le droit de faire ses premiers pas sur la scène. On remarque aussi qu’il dispose d’un certain charisme à l’encontre de la gente féminine même s’il déclame sa chanson en restant droit comme un piquet. C’est aussi à Monaco qu’il fait la rencontre de son « premier amour », la danseuse anglaise Janet Woollacott. Une relation au départ idyllique qui va rapidement montrer de légers signes annonciateurs de la future rupture. La jalousie maladive de Claude François ne lui permet notamment pas de supporter l’idée même que la femme qui l’aime puisse donner son amour à un autre que lui.

Cette peur de l’abandon le rend à plusieurs reprises assez insupportable à son encontre : entre les disputes incessantes, Claude François lui interdit de tourner dans un film italien, car elle risquerait de se retrouver entourée de bellâtres méditerranéens lubrique, et va jusqu’à l’enfermer à clé pour éviter qu’elle n’aille voir ailleurs pendant son absence. Cette relation à la fois passionnelle et chaotique ne les empêchera pas de se marier ; comme s’ils pensaient tous les deux que cette institution avait le pouvoir de résoudre leurs problèmes et de les garder réunis toute leur vie. Mais les choses changent à Paris. Pendant que Claude s’acharne à amadouer le patron de Philips à coups de chocolat et de sourires, Janet danse à l’Olympia, au grand dam de son mari qui est victime d’un fort complexe d’infériorité. Et c’est un lieu où se côtoient de vraies célébrités alors bien plus charismatiques que le petit Claude qui désespère de sortir un disque. Le résultat était presqu’inévitable : Janet quitte Claude François pour le chanteur séducteur bien plus assuré et stable, Gilbert Bécaud.

Nouveau grand choc dans la vie de Claude François qui pique ensuite une colère monstrueuse, tenant plus de la supplication désespérée, avant d’enchainer sur une crise de larmes immense. Claude est de nouveau la victime d’un abandon qui lui semble à la fois effrayant et insurmontable. Sa quête d’amour est loin d’être terminée. En parallèle, il essaye de se hisser au niveau de ces célébrités à l’aura si lumineuse. Ce n’est pas chose facile quand on adore le jazz américain pendant que la jeunesse se trémousse sur du rock. Une ombre imposante surplombe Claude François : celle de « The Voice » Frank Sinatra. Une sorte de maître pour le jeune chanteur, une idole qu’il regarde avec une déférence absolue et qu’il trouve si impressionnante qu’il n’osera jamais lui parler. Après avoir pioché sans succès dans les œuvres de Sinatra, avant de se rendre compte qu’il ne lui arriverait pas à la cheville dès son premier disque, il trouve une idée absurde : faire un twist franco-arabe. François se lance dans ce projet qu’il imagine novateur et stimulant mais il se rend vite compte que ses goûts sont loin d’être ceux du public.

Dans une séquence où la caméra effectue des mouvements rotatifs semblables à celle du disque « Nabout Twist » qui tourne, Siri montre en une poignée d’images seulement (des gens quittant la piste de danse, un vendeur renvoyant le lot de 33 tours à l’expéditeur qui ne sait lui-même plus trop quoi en faire, pour finir sur un Claude François déprimé cassant son disque) que le tube est un terrible flop très en retard sur son temps. Doublé de cette rupture amoureuse inattendue, Claude François est au plus bas. C’est là qu’a lieu le tournant de sa carrière, puisqu’en reprenant une chanson anglophone il fera le tube célébrissime « Belles, belles, belles ». S’en suit alors la rencontre décisive dans sa carrière professionnelle avec le producteur Paul Lederman. Ce dernier est interprété par Benoit Magimel qui, bien qu’il s’en tire plutôt correctement, apparait comme l’unique « erreur » de casting vraiment préjudiciable entre son coussin sous sa chemise, ses tonnes de maquillages et de perruques, ainsi que son accent « pied-noir » assez saugrenu.

http://img.filmsactu.net/datas/films/c/l/cloclo/xl/4dfb5d0748d65.jpgCette année-là

Disposant d’un bras droit qui connait le milieu, Claude François est maintenant prêt pour partir à la conquête des étoiles. Après un montage brillant qui mêle si efficacement images d’archive et images fictives qu’il est parfois impossible de distinguer le vrai du faux, on retrouve Claude François à l’Olympia, désormais sur la scène où se trouvait auparavant ses concurrents si brillants et charismatiques que le chanteur complexé jalousait. Après un plan séquence impressionnant qui commence des coulisses pour finir sur la scène après avoir survolé tout le public, on aperçoit un Cloclo métamorphosé (ce ne sera pas son unique transformation comme nous le verront plus tard). Désormais bête de scène se servant de son hyper-nervosité pour livrer des shows épuisants de dynamisme, il semble déjà au sommet de sa gloire. Il est exactement à la place où il a vu quelques temps auparavant Johnny Hallyday, alors chanteur préféré des Français. Un spectacle où Claude, jaloux, résistait comme il le pouvait pour ne pas se mettre à danser devant l’énergie impressionnante que dégageait le chanteur belge lors de son concert. Maintenant, ce sont ses fans qui s’évanouissent et qui « cassent les fauteuils ».

Entre alors en scène un nouveau personnage capital dans le parcours de Claude François. Celui-ci a l’apparence d’une frêle jeune fille blonde, encore en pleine adolescence et perdue dans ses rêves de petite ingénue, qui observe fascinée ce jeune homme un peu plus âgé qu’elle. La maturité ne viendra pourtant pas de celui que l’on croit. Interprétée parfaitement par la belle révélation Joséphine Japy (oubliez l’interprétation grotesque de Sara Forestier dans le film de Sfar), France Gall est le nouvel amour de Claude François. Celle qui tente de remplacer Janet pendant que Claude lui chante encore « Je sais ». Plus fragile que sa prédécesseur de part son âge et ses idéaux, son innocence ne fait que souligner un peu plus les conséquences douloureuses que la maniaquerie et la jalousie de Claude a sur elle. Encore une fois, très rapidement, des signes avant-coureurs laissent sous-entendre que ça ne marchera pas comme dans un conte de fée. L’avertissement se fait cependant cette fois de façon plus musicale. 

Et c’est l’une des autres très grandes différences pertinentes entre Cloclo et le biopic lambda. Là où ce dernier ne fait intervenir les chansons d’un artiste que dans un ordre chronologique (apparaissant dans la scène où elle est censée être composée), le long-métrage de Siri les fait apparaitre dans le « désordre ». Mais pas n’importe comment puisqu’elles servent à souligner les séquences. Siri fait ainsi coup double puisqu’il intègre les chansons dans la narration pour transformer son Cloclo en « comédie musicale (où les chansons doivent révéler les pensées et les sentiments des personnages) et se permet en plus de montrer que Claude François est un auteur car il faisait des œuvres qui parlaient avant tout de lui. La chanson « 17 ans » retentit lorsque l’on découvre ses jeunes années de galère tandis que des chansons plus joyeuses comme « Belinda » ou le « Lundi au Soleil » retentissent au cours de séquences a priori sans nuage où Claude semble au sommet de son parcours professionnel et privé (on peut aussi noter le « Mal Aimé » dans une séquence artificielle dévoilant le côté « mise en scène » de la plainte du chanteur). Et pendant que Claude François déclame dans son micro la douleur qui le ronge depuis que Janet l’a quittée, France Gall le prévient de « laissez-tomber les filles » au risque de le regretter un jour pendant que Claude prend ses premiers bains de fans enamourés. Siri se permettra même de refaire, au détour d’une scène faussement anodine, le premier couplet du futur classique « Comme d’habitude » ; sous-entendant ainsi le lien entre Gall et la chanson avant même qu’elle ne puisse être composée.

http://img.filmsactu.net/datas/films/c/l/cloclo/xl/cloclo-photo-4f197c5295b30.jpgJe sais

Le point culminant de leur relation est atteint avec le fameux épisode de l’Eurovision où Claude François refuse d’écouter sa « princesse » chanter une chanson « qui n’est pas du tout son genre ». Malheureusement pour lui, le destin en voulut autrement et transforma la charmante princesse de conte de fée en rivale potentiellement dangereuse. Une « trahison » que Claude ne supporta pas puisqu’il la laissa dormir à sa porte (bien que la vraie rupture n’intervienne que des mois plus tard). En même temps, la maniaquerie et la mégalomanie de Claude François ne cessent de s’accentuer. Là où il ne faisait auparavant que plier dans une méticulosité excessive ses vêtements (même avant de faire l’amour ce qui donne une scène assez comique) ; le nouveau Claude François passe son temps à crier, à virer ses musiciens sous le coup de l’énervement (avant de les réengager pour la septième fois en se faisant pardonner à coups de bijoux Cartier), à critiquer l’aménagement délirant de son nouveau moulin à Dannemois,… De plus en plus capricieux, Claude François révèle son talon d’Achille qui finira par lui être fatal : une attention extrême portée au moindre détail pour que tout soit absolument parfait. Sinon, comment être le numéro 1 si on laisse passer des erreurs même minimes ?

Cette course à la perfection révèle aussi une dépréciation de sa personne. Conscient de ses défauts handicapants (un nez trop large, une « voix de canard » et des jambes arquées), peut-être exagérés par sa personnalité complexée qui ne pouvait que se détester, Claude François ne cesse de se plonger dans un univers factice à paillettes visant à cacher sous un apparat glorieux, joyeux et valorisant ses propres faiblesses. L’emploi de longs plans séquences prend ici son sens car la caméra suit au plus près le chanteur dans son parcours faussement linéaire puisqu’il ne cesse de faire des détours pour replacer tel tableau ou rallumer telle lampe. Au point que ces détours deviennent une habitude et que les spectateurs finissent par être conditionnés par cette obsession maniaque. Obsession qui est importante puisque c’est elle qui le conduira à sa perte.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997973.jpgL’amour c’est comme ça

Maintenant que Claude François est de nouveau en mal d’amour avec le départ de France Gall, un amour que sa mère parfois collante et accroc au jeu ne peut complètement pallier, il est temps pour lui de trouver une nouvelle remplaçante dévouée qui acceptera enfin de rester toujours auprès de lui (de préférence loin de la scène et à la maison). La nouvelle proie se prénomme Isabelle, jeune danseuse elle-aussi blonde qu’il avait repéré et abordé de manière presque sexuellement agressive (se plaçant devant la porte de sa caravane comme pour l’empêcher de sortir tout en enlevant d’un même mouvement sa chemise pendant que la jeune femme se retrouve surprise à moitié dénudée). Mais, première nouveauté, celle-ci se refuse à lui. Une anomalie qui la rend d’autant plus unique au milieu de cette horde de fans toutes acquises à sa cause et prêtes à se glisser dans son lit ; bien que Claude ne la voit au départ que comme la remplaçante de France Gall (lors de son arrivée au moulin, Isabelle porte presque la même robe que lors de la première apparition de la jeune chanteuse).

La chasse n’en sera que plus intense. Siri filme cette cour romantique comme s’il s’agissait d’un thriller. La scène où Isabelle est enfermée dans son appartement pendant que ne cesse de retentir la sonnerie de la porte et du téléphone a même des accents hitchcockiens. La scène suivante pousse encore plus loin cette logique et constitue rien de moins que l’un des meilleurs moments du film. Il s’agit d’un plan séquence où Claude François poursuit en pleine nuit la petite voiture blanche d’Isabelle au volant de son immense et inquiétant véhicule noir. Une scène qui pourrait être tirée d’un film d’action à suspense si la chanson « Comme d’habitude » ne retentissait pas pendant la course poursuite. Car le chanteur n’est évidemment pas conduit par une folie meurtrière mais par un besoin obsessionnel de retrouver ce bonheur qui a disparu avec Gall. Faire « comme d’habitude ». Avant que le plan séquence ne s’achève sur un accident de voiture qui voit Isabelle, vaincue, abandonner la lutte inégale face à Claude François et accepter de se laisser « enfermer » comme un petit oiseau en cage (accessoirement il s’agit aussi de l’un des plus beaux baisers de cinéma depuis quelques temps).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997974.jpgComme d’habitude

Siri ne perd pas de temps et enchaine avec une légèreté déconcertante sur une ellipse de quelques mois qui révèle la naissance du premier enfant de Claude François. Nouveau bouleversement dans la vie de ce « grand enfant » qui se retrouve père. Un bouleversement privé mais aussi professionnel car il apparait maintenant comme un chef de famille. Et Lederman lui rappelait déjà lors de sa relation avec France Gall qu’il fallait impérativement qu’il contrôle son image pour rester un « cœur à prendre » et ainsi ne pas se mettre à dos les jeunes filles qui l’adulent. Ce contrôle de l’image va devenir à ce point permanent qu’il va entrainer de nouvelles métamorphoses chez Claude François. Il lui faut entre autres s’attirer les faveurs d’un public masculin pas vraiment enclin à aller aux concerts de ce « chanteur pour minettes ». C’est en voyant Otis Redding que Claude François trouva l’idée des célèbres « Clodettes » (un aspect malheureusement trop éludé du long-métrage bien que leur première apparition soit pour le moins iconique et efficace) au point qu’il reprendra au départ deux des danseuses du chanteur noir américain. Il faut noter un point sur cette séquence de concert à Londres car elle fait écho à la scène qui voit Johnny Hallyday à l’Olympia : en effet, là où Claude François s’était restreint de danser dans la salle avec ce dernier (à l’inverse de Janet qui l’accompagnait), il n’hésite pas à s’élancer devant Redding, reprenant les mouvements de l’artiste sur scène avec une énergie et un mimétisme qui a toujours caractérisé la carrière du chanteur français.

Ce contrôle absolu de son image visant à le mettre sur le devant de la scène et à lui permettre de garder la première place devant son rival principal, Johnny, va passer une nouvelle étape plus ambigüe lors du faux malaise qu’il fera au cours d’un concert à Marseille. Un acte médiatique à la fois contestable et intelligent qui montre sa volonté d’être prêt à tout pour ne pas être abandonné par ses fans. La mise en scène intelligente de Siri ne nous ayant pas mis dans la confidence, on se retrouve piégé, presque trahi par le chanteur (lui-même montre une certaine gêne à avoir trompé son public pour mieux le garder). Là où Lederman pense enfin qu’ils vont pouvoir se reposer, Claude François n’est pas d’accord. Cette séquence est le moment central du long-métrage puisque Claude annonce fièrement dans la clinique qu’il va « passer à la vitesse supérieure » (est-ce alors possible ?) et qu’il « va nous étonner ».

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997975.jpgLe Lundi au soleil

Nouvelle ellipse, cette fois plus longue puisqu’on retrouve le chanteur pas moins de trois ans après. Et il s’en est passé des choses. On peut au départ croire qu’il est enfin au sommet de sa carrière. Méconnaissable, les cheveux beaucoup plus longs, on le voit faire une toilette interminable (à la différence de son père beaucoup plus sobre dans la séquence d’introduction) pour révéler au final le nouveau Claude François qui s’admire dans un gigantesque miroir. Le choc est d’autant plus grand que l’on a bien du mal à reconnaitre le jeune chanteur ambitieux que l’on voyait trois quarts d’heure avant. Un « second film » commence. Poussant son narcissisme à son paroxysme, Claude François ressemble en quelques sortes à un Tony Montana avant l’heure. Il n’est d’ailleurs pas hasardeux de considérer ce Cloclo comme le « Scarface français ». Non pas que le chanteur yéyé s’éclate à trucider une flopée de trafiquants sud-américains à coups de sulfateuse et de cocaïne dans le nez ; mais il est assez évident que le film de Siri est un peu dans le même esprit que le monument de Brian de Palma : le portrait d’un mégalomane narcissique en pleine ère du disco ; celui d’un enfant colérique qui se retrouve dans le corps d’un adulte et qui dispose des moyens financiers suffisants pour assouvir ses moindres caprices (l’emploi régulier de plan séquence est d’ailleurs commun aux deux).

Tout comme le quotidien d’un Tony Montana parait délirant au commun des mortels, celui du Claude François du milieu des années 70 l’est au moins tout autant. Pour montrer l’ampleur hystérique de celui-ci, Siri fait un emprunt évident au chef d’œuvre de Martin Scorsese, Les Affranchis. Ce dernier relatait en deux bonnes heures près de trente ans de mafia new yorkaise, sur un rythme donc au moins aussi épuisant et elliptique que le biopic de Siri. Mais Scorsese brisait soudain ce rythme en insérant une vingtaine de minutes qui racontait vingt quatre heures de la vie du héros (après une longue ellipse justement) afin de montrer ce qu’il était devenu et à quel point la situation avait changé. Siri reprend cette méthode en racontant lui-aussi une journée de la vie de Claude François. Cela n’est pour autant pas une pause dans le récit puisque le chanteur ne s’arrête évidemment jamais (on pense aussi à Casino, autre fresque de Scorsese, par le côté très « bling bling » du personnage).

C’est au cours de cette longue scène qu’intervient le meilleur plan séquence de Cloclo. La caméra le suit quittant son appartement, lisant les innombrables graffitis inscrits à son intention par les fans sur les murs de l’immeuble tout en enregistrant des mémos saugrenus sur son magnétophone. Une fois dehors, il est accueilli par une nuée de jeunes filles qui l’enserrent avant de parvenir à enfin rentrer dans sa voiture. Ce n’est pourtant pas fini car il est encore assailli alors qu’il roule vers son lieu de travail. Celui-ci ne se trouve pourtant qu’à deux cents mètres de son appartement (preuve qu’il lui est impossible de les faire à pied tant le phénomène est délirant) et d’autres fans l’y attendent déjà (pendant que celles qui l’attendaient devant chez lui apparaissent en courant dans son rétroviseur). Claude François n’a plus de vie privée. Il la cache d’ailleurs : il ne rejoint sa femme « officielle » que le week-end, cache son deuxième enfant (révélé dans un dernier plan séquence très judicieux), et ne se serre de l’aîné que dans le but de faire des photos promotionnelles. Une image forte le montre en pleine transe, se jetant dans un public en délire qui l’engloutit littéralement tel un monstre vorace. Pour l’amour de quelques uns, Claude François est prêt à donner sa vie.

On n’arrête plus Claude François. Quand il ne répète pas pour ses chansons, il s’occupe du journal « Podium » qu’il a acheté pour se mettre plus en valeur. Il se diversifie aussi. Toujours soucieux d’être entouré de jolies jeunes femmes (en plus de ses fans), il a l’intelligence machiavélique de lancer une entreprise de mannequinat et de commencer une carrière de photographe de charme. Quand il n’est pas occupé par le lancement d’un nouveau parfum, il consacre tout le reste de son temps à « Flèche », sa maison de disques qui lui a permis de sortir de la tutelle de Lederman et de contrôler pleinement sa carrière en ayant une indépendance artistique totale. Le personnage est maintenant clairement multiple : à la fois chanteur, danseur, photographe, homme d’entreprise… Son caractère aussi : totalitaire, colérique, excessif, soupe-au-lait, triste, joyeux. Il peut-être insupportable puis beaucoup plus touchant cinq minutes après. Au cours de ces années-là, Claude François est à l’apogée de sa carrière.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997956.jpgSoudain il ne reste qu’une chanson

En temps normal, si Cloclo avait été un film américain, on aurait encore eu droit à quarante minutes avant la fin. Car leurs « success stories » sont basés sur un schéma narratif très codé qui est le « rise and fall », soit l’élévation du personnage jusqu’à son apogée avant une chute inévitable (parfois accompagnée d’une rédemption finale). Sauf que de chute ou de décadence à proprement parler, Claude François n’en a jamais eu. Il n’a jamais eu le temps d’en avoir. Cloclo n’est qu’un « rise movie ». Son succès ne s’est pas démenti avant sa mort. Il était encore plein de projets de grandeurs comme la conquête de l’Amérique qu’il était sur le point d’aborder au début de l’année 1978. L’Histoire ne nous dira jamais si ce virage dans sa carrière aurait amené ce « fall » ou si au contraire il lui aurait permis d’être « immortalisé » à l’échelle internationale. Sa mort précoce n’intervient pas après une longue addiction à la drogue ou à l’alcool qui l’aurait tenu longtemps à l’écart de la scène. Ce « fall » n’est contenu que dans ce flash lumineux qui cache la chute physique de son corps.

C’est une autre originalité du biopic de Siri : le personnage n’a pas le temps de voir sa vie derrière lui. Il l’a encore devant lui et elle est coupée brutalement. Siri montre cette idée dans une scène étonnamment pudique alors qu’elle aurait pu sans problème virer au ridicule, au larmoyant ou au malsain. Une séquence qui arrive pourtant à instiller un suspense assez palpable alors que l’issue est connue à l’avance. La mise en scène de Siri est tellement pertinente qu’il est fort probable qu’un public ne connaissant pas le chanteur (au hasard les Américains) réussira quand même à anticiper son geste. L’apparition en intertitre de cette date précise sans autre indication laisse déjà présager qu’un évènement important va suivre. La longueur de la séquence pour un acte aussi anodin qu’une douche instille une tension : quelque chose doit clocher si le film s’attarde sur cet acte alors qu’il a passé les deux heures et demie à aller à toute allure. Et lorsque la lampe de travers apparait dans le cadre, la réalisation de Siri nous a suffisamment habitué à ces « détours et gestes maniaques » pour que l’on sache à l’avance ce qu’il va faire. Plus incroyable encore, Siri rend ce geste presque naturel : il doit le faire car il ne peut en être autrement. C’était un point capital de sa nature comme si le destin avait déjà prévu cette issue tragique bien des années auparavant.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997959.jpgMarche tout droit

La mort incroyablement ironique du chanteur ne fait que renforcer son aura. La mise en scène de Siri est d’ailleurs en adéquation avec le sort de son personnage. Car cette quête désespérée d’amour est symbolisée par cette quête de lumière. La séquence d’introduction est sans ambages à ce niveau-là. La voyante disait bien à la mère de Claude encore enceinte qu’elle voyait son fils « dans une grande lumière » et que son nom était écrit « en lettres de feu ». Le personnage et le titre apparaissaient d’ailleurs au milieu des paillettes. Pendant tout le récit, Siri ne cessera de mettre en valeur les lampes, les spots, les rayons lumineux ; non pas tant pour symboliser l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête (quoique) mais pour montrer la volonté de Claude à être éternellement sous la lumière (d’être vue et donc de ne pas être oublié).

Le biopic de Claude François est beaucoup plus fascinant que ceux sur Piaf ou sur Gainsbourg car Siri lui donne un véritable arc narratif. Par ce biopic, Siri montre un Claude François tel un papillon qui, trop aveuglé par la lumière qui l’éclaire, s’en approcha bien trop près pour s’y bruler les ailes. Il y a un aspect presque mythologique dans le parcours du chanteur. Cloclo, c’est la relecture moderne du mythe d’Icare. C’est un film sur la recherche de l’immortalité (François craignant la mort, le moindre signe de vieillesse et faisait tout pour qu’elle n’arrive pas). On peut faire un parallèle avec un autre grand film musical : Les Chaussons Rouges de Michael Powell. Le conte central de ce dernier est celui d’une danseuse qui n’arrive plus à s’arrêter de danser avant de mourir d’épuisement. L’histoire de Claude François est sensiblement la même. Celle d’un homme fasciné par son art et cherchant la consécration à tout prix. Un homme qui ne s’arrêtera jamais de danser comme pour repousser de façon illusoire une mort qui le cueillera au moment où il s’y attend le moins (au moment où il souhaite pour une fois ne pas se presser). C’est aussi un film sur l’hybris et la façon dont elle dévore l’âme. Ce dernier point est la constante de la filmographie de Siri : « l’ennemi intime » pour reprendre le titre du précédent très bon film du cinéaste. Tous ses long-métrage parlent de la façon dont un personnage finit par voir ses idéaux se faire gangréner de l’intérieur, au point de se perdre complètement. Son film d’action Nid de guêpes ne racontait pas autre chose : le véritable ennemi n’était pas tant les multiples assaillants anonymes et surarmés que le petit groupe d’assiégés qui risquait à tout moment de voir son unité voler en éclat.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997957.jpgJ’attendrai

Difficile de croire que ce jeune homme ambitieux et blessé par le mépris de son père et ce chanteur égocentrique, excentrique et capricieux sont la même personne. Et pourtant son parcours est d’une cohérence implacable. Un portrait complexe évidemment car la personnalité d’un homme n’est jamais unique contrairement à ce qu’essayait de faire croire Dahan ou Sfar. Le Claude François du film n’est pas un génie musical indiscutable. Il n’est pas non plus un sombre enfoiré contrairement à ce que croient certaines personnes après avoir vu le long-métrage (oubliant aussi le fait que les fils du chanteur ont quand même eu un droit de regard sur Cloclo). Siri est de toute façon beaucoup trop intelligent pour tomber dans le piège inverse, tout aussi facile et méprisable, de l’hagiographie. Il ne déteste évidemment pas son personnage comme le montre le dernier quart d’heure qui amène la conclusion de l’arc narratif.

Et à ce niveau-là, il y a deux séquences majeures (les meilleures du film, c’est dire le niveau). La première intervient vers le milieu du long-métrage. C’est une séquence à moitié inventée qui voit Claude François recevant le CD sur lequel se trouve « My Way » de Frank Sinatra. Pour les rares incultes, il s’agit de la célébrissime reprise américaine de « Comme d’habitude ».  Sauf qu’au moment où le chanteur, après avoir mécaniquement épousseté l’objet, s’apprête à le poser sur le tourne-disque, le mur de sa loge s’ouvre pour révéler le jardin de son enfance. Dans cette séquence onirique, révélatrice de la psyché de l’artiste, Claude marche jusqu’à un autre tourne-disque pour le faire écouter à son père. Le chanteur, bouleversé et fier, s’adresse alors à ce père qui ne lui répondait plus, lui disant que « The Voice » Frank Sinatra a aimé l’une de ses chansons et qu’il la chante. Le père se tourne alors et lui fait le sourire qu’il ne lui a jamais donné. Ce sourire qui aurait pu tout changer et après lequel court Claude François. Et ce dernier de remarquer, tout de suite après dans une scène d’une audace folle pour un biopic, qu’il ne sera jamais à la hauteur de Sinatra. Il y a quelque chose à la fois de tragique et de magnifique à voir l’artiste central du biopic se rendre compte de son « infériorité » et d’écouter, avec un mélange de fierté et de désespoir, ce qu’il ne peut qu’indirectement créer. Lui, le petit Français complexé face au grand artiste américain. La grande réussite artistique de Claude François n’est pas tant d’avoir crée que d’avoir été repris.

C’est là qu’on arrive à ce dernier quart d’heure crucial qui voit la résolution des enjeux établi dans l’introduction. Une résolution personnelle d’abord. Claude François, qui a toujours couru derrière l’amour, a poursuivi pendant des années une image d’Epinal. Celle qu’il a vu dans son jardin pendant son enfance : deux parents aimants accompagnés d’enfants joyeux. L’incarnation d’un bonheur familial parfait. D’un vrai bonheur. Cette obsession d’être un père de famille heureux entouré de ses proches revient à plusieurs reprises dans le long-métrage. Elle apparait d’abord comme une envie lorsqu’il demande à France Gall, pendant le mariage de sa sœur, si elle ne souhaite pas fonder une famille. Ce à quoi elle répondra : « comme Johnny et Sylvie ? ». Cet envie deviendra un rêve apparemment inatteignable lorsqu’en pleine dépression il regardera la première page d’un magasine people montrant son principal rival, heureux, avec sa femme et son bébé. S’il semble s’en approcher avec Isabelle et ses deux fils, il ne s’agit pourtant que d’une illusion. Elle n’est encore que ce dessin d’enfant que Claude observe ému : un dessin simple qui montre le couple et leur deux enfants joyeux dans leur jardin, sans leurs invités intéressés et sans que Marc, le cadet, ne soit obligé de se cacher. Cette image de bonheur familial, d’un instant T où le temps semble arrêté, Claude François arrivera à l’atteindre à la fin de sa vie lorsque, pour Noël, seuls ses intimes l’entourent dans son beau salon. Comme s’il était un chef de famille normal. Plein de projets que le destin interrompra.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/52/69/19997967.jpgMy Way

Bien qu’il ait à plusieurs reprises clamé auparavant que chacune de ses conquêtes le calmaient, Claude François semblent enfin apaisé avec sa nouvelle fiancée. Moins colérique, il se fait pour la première fois remettre à sa place par sa sœur. Parce qu’elle est la seule à lui tenir tête ? Parce qu’il la respecte plus que toute autre femme ? Parce qu’il est véritablement serein ? Peu importe en fin de compte. Le chanteur semble avoir accompli sa dernière métamorphose. Ne lui manque plus que l’aboutissement artistique. Après avoir réussi à être pris au sérieux en s’attribuant les services du gauchiste, et acclamé par la critique, Etienne Roda-Gil, il atteint le véritable sommet de sa carrière au Royal Albert Hall qui devait être le point de départ de sa conquête de l’Ouest.

Reprenant de façon complémentaire « Comme d’habitude » et « My Way », Claude François semble adresser un double message. En reprenant la chanson de Sinatra, qui n’a pas le même sens que la sienne puisqu’elle parle d’un artiste qui arrive à la fin de sa carrière, il semble déjà annoncer ses adieux à la scène. En mêlant les deux versions, il se réapproprie ensuite sa création, rappelant qu’il est à l’origine de l’un des plus gros succès musicals de ces dernières décennies. Et lorsqu’il achève sur une ovation aussi grisante que celle qu’il recevait sur fond de Sinatra lors de la scène onirique, montrant que c’est cette fois-ci bien de lui qu’elle part, il murmure la dernière ligne de texte de la chanson américaine : « Yes, I did it my way ». Claude François a donc, le temps de quelques secondes, de faire ce fameux « bilan » : « oui, je l’ai fait à ma façon ». Qu’on aime ou qu’on n’aime pas. L’écho avec la séquence du casino est rendu évident par la disposition des tables près de la scène. C’est lui le centre d’attention. Sa mère n’aura plus jamais besoin de dire aux autres qu’il s’agit de son fils sur scène.

On pourrait encore dire pleins de choses sur les milliers de subtilités de ce scripts minutieux et cohérent, de cette mise en scène quasiment parfaite et audacieuse qui se permet de tutoyer, malgré son budget limité, quelques grands maîtres comme Scorsese, de cette direction artistique en tout point magnifique (si les Césars ne lui attribue pas l’année prochaine la majorité des récompenses techniques se sera un scandale) et de ce casting incroyable. Jérémie Rénier vient de passer une étape primordiale dans sa carrière en livrant une interprétation juste phénoménale et Siri montre définitivement qu’il est le plus grand réalisateur français à l’heure actuelle (nul doute qu’un succès commercial comme Cloclo risque de lui donner quelques coudées franches alors qu’il peinait à monter des projets). Le cinéma français se porte décidément très bien en enchainant en moins de six mois trois très grands films populaires (Cloclo, The Artist et L’Ordre et la Morale), qui ne sacrifient pas l’exigence esthétique et narrative sur l’autel du divertissement. Quelques uns pourront être déçus par la BO fade d’Alexandre Desplat et la structure linéaire du récit, même si elle n’est en aucun cas différente de la structure soi-disant originale et tant vantée par les critiques de Gainsbourg – Vie héroïque. On ne pourra vraiment regretter qu’un flash back final qui surligne un peu trop ce qui était déjà compréhensible. Mais reste cette dernière image très évocatrice du petit Claude François qui, dans un geste dénué encore de tout danger, plie minutieusement ses affaires avant de plonger dans la surface brillante de l’eau du canal de Suez.

NOTE : 9 / 10

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commentaires

W
Cloclo is still in the hearts of the people and he will never die away from the memories of the people. This is regarding the best song that he has ever written "My Way". I have heard this one a million times over.
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B
Bravo pour cette excellente critique, très détaillée, qui m'a fait redécouvrir pas mal de scènes du film, ou qui me les fait voir d'un autre oeil. Si je n'avais pas déjà vu "Cloclo" plusieurs fois, votre critique aurait assez aiguisé ma curiosité pour que je le fasse tout de suite. :)
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J
Trop ! Vous en faites trop ! On voit clairement que vous êtes un fan de CloClo d'une façon qui me donne envie de vomir malgré que j'apprécie cet artiste. Vous méprisez des longs-métrages de Biopic<br /> assez réussit. Coluche est nul, ça, c'est claire ! Mais La Môme est assez émouvant et d'une ressemblance frappante... malgré une mauvaise réalisation je vous l'accorde. quant à Gainsbourg, il n'a<br /> rien de lent, ni de prétentieux,ni de faussement originel il est Gainsbourg avec une fantaisie ajoutée par Sfar.<br /> <br /> Cloclo est un assez bon film, mais rien d'exceptionnel, avec en plus, un montage baclé du début à la fin.<br /> <br /> Soyez objectifs( si vous y arrivez ) et mettez votre foutue arrogance à la porte avant de vous attaquez au Artx.
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K
<br /> <br /> D'abord je ne suis absolument pas fan de Claude François, donc pas la peine de vous faire mal au bide. <br /> <br /> Ensuite, je maintiens que, sans être des navets (il y a bien pire j'en conviens), "La Môme" et "Gainsbourg" sont assez inintéressants et peu aboutis malgré leurs sujets et les artistes dont ils<br /> dépeignent la vie. Et qu'à la revoyure (parce que j'ai donné une seconde chance à chacun de ces deux films) c'est même pire que dans les souvenirs de mes 1ères visions. Ca arrive qu'on n'aime pas<br /> un film, rien de grave, il n'y a pas mort d'homme. Je ne pense pas avoir été arrogant, j'ai juste exprimé un point de vue personnel qu'on est tout à fait libre de réfuter.<br /> <br /> Ce qui m'amène au second point : la critique d'un film ne peut pas être objective sachant qu'elle est le point de vue d'une personne et la retranscription de son ressenti (le mieux étant d'y<br /> expliquer pourquoi on a aimé ou pas). Si la critique était objective, il n'y aurait besoin que d'un "critique" sur Terre. Ce n'est pas le cas puisqu'on a, au contraire, une pluralité d'opinions.<br /> Je reconnais que je ne suis pas objectif, je ne m'en cache pas et d'ailleurs je n'en ai pas envie. La seule chose "objective" qu'on puisse dire d'un film dans une critique serait de lister les<br /> personnes ayant participées à sa production, ce qui n'est pas super passionnant.<br /> <br /> Je pense avoir suffisamment expliqué (trop de l'avis de certains) en quoi je trouvais le film de Siri très beau, mais je préfère faire de l'excès de zèle dans la critique positive plutôt que de<br /> me contenter d'un lapidaire "c'est bien.". J'éprouve généralement plus de plaisir à faire l'éloge d'un film que sa descente en flammes. Je suis certain qu'il existe des articles aussi longs que<br /> le mien louant toutes les qualités que leurs auteurs ont pu trouver dans "Gainsbourg - vie héroique" ou "La Môme" (et peut-être qu'eux-mêmes détesteront "Cloclo" pour des raisons aussi légitimes<br /> que les miennes). Encore une fois rien de grave et le fait que je dise du mal de "La Mome" ne veut pas dire que je considère Piaf comme une artiste médiocre par rapport à Claude François.<br /> <br /> Vous dites que le montage est baclé du début à la fin ; je trouve au contraire qu'il élève le film et qu'il est en parfaite adéquation avec ce "personnage" hyperactif n'arrivant pas à s'arrêter.<br /> De ces deux avis, lequel est "objectif" ? Aucun, puisqu'on peut très bien être rebuté par ce montage éfreiné en considérant qu'il survole pleins de choses. Vous affirmez aussi que "Coluche" est<br /> nul (je serai le premier a être d'accord) mais il existe aussi des admirateurs du film qui qualifiraient votre phrase d'"arrogante" et seraient capables, pour vous contredire, de composer une<br /> longue argumentation sur les qualités qu'ils perçoivent dans le long métrage d'Antoine De Caunes.<br /> <br /> Quoi qu'il en soit, sans rancune évidemment et je vous remercie d'avoir pris le temps de poster votre avis sur ma critique. <br /> <br /> <br /> <br />
A
C'est de très loin la critique la plus pointue, la plus pertinente que j'ai pu lire jusqu'à présent !! Remarquable analyse et passionnante à lire de bout en bout !
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K
<br /> <br /> Merci beaucoup ! C'est vrai que je me suis un peu donné du mal sur celle-là. Mais le film valait le coup.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Excellente critique. Très intéressante.
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