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3 mai 2016 2 03 /05 /mai /2016 14:39

Les pérégrinations de deux hommes après le décès de leurs femmes respectives.

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ATTENTION, CETTE CRITIQUE CONTIENT DES SPOILERS !

 

À quelques jours de la Cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes, les hôpitaux du Sud de la France se préparent à la prochaine crise d’épidémie majeure qui, chaque année, fait son lot de victimes. Le syndrome rencontré est le suivant : les différents journalistes et critiques couvrant cet évènement tombent dans une transe profonde dès lors qu’ils posent un pied dans la ville. Enivrés par la foire aux tapins que représente ce Festival, les individus atteints n’ont plus qu’une seule idée en tête : entrer coûte que coûte dans la « légende de Cannes ». C’est ainsi que chaque année, on nous présente LE scandale de l’édition, et le journaliste, fier, sait qu’il pourra dire à sa descendance « J’y étais ».

Cependant, comme il est rare d’avoir des films réellement subversifs comme IRREVERSIBLE ou SOUS LE SOLEIL DE SATAN, le journaliste préfèrera généralement provoquer l’incident en éructant, convulsant et bavant sur son siège devant le malheureux film élu par on ne sait quelle méthode de désignation. Et quand ce n’est pas un film, c’est un micro-évènement monté de façon complètement artificielle qui remportera la mise. Cette année, on peut avancer sans trop se tromper que les crises d’hystéries auront lieu devant ELLE de Paul Verhoeven ou plus probablement, vu qu’il n’est pas charitable de tirer sur l’ambulance, devant THE NEON DEMON de Nicolas Winding Refn. 

LA DEMOLITION DE NOS SOUVENIRS

Durant la précédente édition, donc, ce fût NOS SOUVENIRS – alors titré LA FORÊT DES SONGES – de Gus Van Sant qui en avait fait les frais. Le film fût, pendant la projection presse, copieusement hué et conspué, avant d’être littéralement démonté par une critique quasi-unanime dans la détestation, au point qu’à l’heure qu’il est, il n’est toujours pas sorti en salle aux Etats-Unis. Constater que des journalistes payés pour participer à l’un des évènements les plus importants du cinéma mondial profitent de leur séjour pour se comporter de cette façon, confondant allègrement 7ème art et jeux de cirque, alors que des milliers de cinéphiles amateurs souhaiteraient être à leur place, peut légitimement nous interroger quant à la compréhension qu’ils ont de la notion de décence. Mais surtout, à la vue du nouveau film de Van Sant, on se retrouve bien en peine de s’expliquer de telles réactions consternantes.

NOS SOUVENIRS, donc, montre les errances d’un homme (Matthew McConaughey) qui décide de mettre fin à ses jours suite au décès de sa femme. Il ne choisit pas n’importe quel lieu puisqu’il part au Japon, plus précisément dans la forêt d’Ahokigahara, « mer d’arbres » particulièrement connue pour être le théâtre d’un grand nombre de suicides depuis les années 50. C’est en effet là que, chaque année, des dizaines, voire des centaines de personnes choisissent de mourir, parfois après avoir fait un long voyage. Notre héros, lui, vient des Etats-Unis. Récemment devenu veuf, il redécouvre en lui, alors qu’il est au bord du passage à l’acte, un fond d’humanité qui le pousse à venir en aide à un Japonais (Ken Watanabe) qui a raté sa sortie avant de se rendre compte que la vie valait finalement la peine d’être vécue. C’est alors qu’ils se décident à s’entraider pour sortir de ce purgatoire.

Les longues séquences dans la forêt délivrent leur lot d’images fortes, qui tantôt surprennent par leur beauté mystique, tantôt dérangent par leur noirceur. NOS SOUVENIRS rejoint ainsi la cohorte de « survival » initiatique montrant leurs héros s’enfoncer dans les profondeurs de la nature pour mieux se relever. On peut ainsi le rapprocher de DELIVRANCE  de John Boorman ou, plus récemment encore, de THE REVENANT d’Alejandro Gonzales Inarritu. Profitons de cet aparté pour souligner que Matthew McConaughey livre une excellente performance, ridiculisant au passage cruellement un Leonardo DiCaprio en prouvant qu’il ne suffit pas de grogner de douleur à tout bout de champ pour livrer une performance d’acteur complexe. À cet égard, on note en particulier une séquence de monologue – faisant figure de « révélation finale » - d’une intensité assez rarement égalée. À n’en pas douter, le rôle a passionné l’acteur, ce qui rend d'autant plus regrettable l'accueil fait au film.

LA DEMOLITION DE NOS SOUVENIRS

NOS SOUVENIRS n’est pas exempt de défauts évidemment. À incriminer, donc, les nombreuses scènes de « flashback » qui viennent régulièrement couper le rythme de la narration – c’est pourtant l’excellentissime Pietro Scalia qui est au montage – afin d’expliquer ce qui aurait très bien pu être sous-entendu. On peut ainsi légitimement regretter leur caractère démonstratif et leurs choix esthétiques contestables – à commencer par les chansons à côté de la plaque et les très faibles profondeurs de champs en courte focale donnant un aspect très « soap opéra » à l’ensemble.

Cependant, il serait malhonnête de dire qu’elles n’apportent pas de profondeur au récit, en permettant au passage à Naomi Watts de montrer toute l’étendue de son talent dans le rôle de la femme délaissée et désabusée. Le problème tient sans doute au fait qu’elles donnent le sentiment d’en montrer trop ou pas assez. Il n’en reste pas moins que ces scènes dressent le portrait intéressant et sans concession d’un couple qui part à la dérive malgré l’amour sincère mais dissimulé qui le cimente. Le film se veut alors être une peinture des erreurs, des mensonges et des regrets qui se cachent derrière l’image proprette du mariage.

Pourtant, il semblerait que les critiques aient été moins dérangés par l’intrigue « domestique » que par la partie surnaturelle que constituent les errances dans la forêt. Au point que la promotion changea sa stratégie : le très beau titre « La Forêt des Songes », traduction adaptée de « The Sea of Trees », est devenu un froid et plat « NOS SOUVENIRS », et la bande-annonce occulte complètement cet aspect pourtant fondamental du récit. Ce qui est regrettable tant ce segment, pâtissant certes de certaines sur-explicitations – notamment lorsqu’est révélée la véritable identité du Japonais, que tout le monde avait déjà devinée – est riche et puissante émotionnellement. Il s’agit effectivement de mener par là une réflexion sur ce qu’impliquent le pardon et la rédemption et, à moins d’être le dernier des cyniques, il est difficile de considérer qu’un film qui provoque autant d’émotions puisse être aussi malhonnête que certains le prétendent. Il y a certes une lourdeur dans la symbolique utilisée – pourtant bien moins lourdingue que dans le très loué HARVEY MILK par exemple - mais il n’y a en tout cas rien qui justifie le traitement ordurier et incompréhensible qui a été réservé à cette œuvre.

LA DEMOLITION DE NOS SOUVENIRS

Hasard du calendrier, un autre film aux thématiques similaires est sorti sur nos écrans quelques jours plus tôt. Il a été réalisé par une autre figure du cinéma queer qui avait notamment permis de sacrer aux oscars l’acteur… Matthew McConaughey. Comme tout se recoupe fabuleusement bien, il met également en scène Naomi Watt dans un rôle qui répond au précédent. DEMOLITION, puisque c’est de lui qu’on parle, suit un homme qui perd également sa femme dans un accident de la route : l’apparition du couple se fait ainso, exactement comme dans NOS SOUVENIRS, à l’intérieur d’une voiture conduite par une femme délaissée reprochant à son mari son manque d’attention. Mais contrairement au film de Gus Van San, le film de Jean-Marc Vallée prend le parti d’expliciter dès le départ la mort du personnage féminin. Le personnage principal, devenu veuf, va alors adopter un comportement inverse de celui décrit dans le premier film : plutôt que de laisser les souvenirs le ronger pour mieux le pousser au suicide, il va entrer dans un processus de déconstruction, voire de destruction, non pas de lui-même mais de son passé, pour mieux se reconstruire par la suite.

L’interprète qui a l’honneur d’avoir un film à sa gloire, ici réalisé par un grand directeur d’acteur, n’est autre que Jake Gyllenhaal, définitivement imposé comme un grand de sa génération par sa collaboration avec Denis Villeneuve (ENEMY et PRISONERS) et Dan Gilroy (NIGHT CALL). Il faut dire qu’il est plutôt bien aidé par ses collègues qui partagent l’écran avec lui. Chris Cooper et Naomi Watts, qui joue non plus la femme disparue mais celle qui va relever le héros, reprenant alors le rôle de Ken Watanabe. Apparaît également sur la scène un jeune acteur très prometteur en la personne de Judah Lewis sur lequel nous reviendrons.

D’un point de vue technique, il y a assez peu de choses à dire. On retrouve les mêmes qualités et les mêmes défauts que dans les précédents films de Jean-Marc Vallée comme cette fâcheuse tendance à porter la caméra à l’épaule pour faire « cinéma vérité », et un montage qui part parfois dans des digressions éphémères mais suffisamment hors de propos pour briser la dynamique. Reste toutefois une superbe direction d’acteurs, tirant le meilleur de chacun des interprètes et donnant par la même occasion à Naomi Watts l’un de ses meilleurs rôles. Le scénario, quant à lui, réserve son lot de surprises, même si l’on peut regretter qu’il s’égare à certains moments, abandonnant en cours de route des idées qui auraient pu s’avérer excellentes si elles n’étaient pas tristement avortées. Le meilleur exemple est justement ce protagoniste interprété par le jeune Judah Lewis, qui aurait sûrement mérité un film à lui tout seul. Hélas, DEMOLITION en dit là-aussi soit trop, soit pas assez, et il est clair que les problématiques soulevées par ce personnage tombent comme un cheveu sur la soupe tant la force de sa caractérisation et de son histoire tranche trop nettement avec les enjeux qui avaient été traités jusque-là.

LA DEMOLITION DE NOS SOUVENIRS

Reste que DEMOLITION et NOS SOUVENIRS sont deux films touchants et forts sur la façon d’accepter l’inacceptable, deux récits initiatiques sur la rédemption et la solidarité humaine. Si leurs approches des enjeux sont radicalement différentes sur le fond comme sur la forme, ils se répondent de façon intéressante aussi bien hors-champ que devant la caméra. Si le premier confirme, s’il en était encore besoin, le talent de Jean-Marc Vallée, le second montre, contrairement à ce que la critique prétend, qu’il y a encore des choses à attendre de Gus Van Sant. Ne reste plus qu’à attendre quelques jours pour savoir quel sera le prochain scandale cannois qu’il faudra s’empresser de voir…

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