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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 15:35

Et si la catastrophe cataclysmique qui a bouleversé la Terre et provoqué l'extinction des dinosaures n'avait jamais eu lieu ? Et si les dinosaures ne s'étaient jamais éteints, et vivaient parmi nous de nos jours ?  Arlo, jeune Apatosaure au grand cœur, maladroit et craintif, qui va faire la rencontre et prendre sous son aile un étonnant compagnon : un petit garçon sauvage, très dégourdi, prénommé Spot. 

* * * * *

Depuis la sortie de leur premier long métrage TOY STORY en 1995, les studios Pixar se sont progressivement imposés comme les leaders du film d’animation occidental, dont ils ont redéfinis les codes sur le fond comme sur la forme. Après une bonne poignée d’excellents films – LE MONDE DE NEMO, WALL-E, LA-HAUT, LES INDESTRUCTIBLES… - le studio connut le déclin, au profit des studios DreamWorks qui avaient fini par prouver qu’ils étaient malgré tout eux-aussi capables du meilleur avec notamment DRAGONS et LES CINQ LEGENDES.

Aussi, entre le film original mais malade qu’était REBELLE et la poignée de suites pas toujours heureuses que constituaient CARS 2, TOY STORY 3 et MONSTRES ACADEMY, on pouvait craindre que la suprématie de Pixar soit arrivée à son terme. Un triste constat qui était d’autant plus renforcé que de très nombreuses suites avaient été annoncées l’année dernière, certes par leurs propres instigateurs, à commencer par celle des INDESTRUCTIBLES et du MONDE DE NEMO, ainsi qu’un quatrième épisode pour la franchise pourtant bien exploitée TOY STORY… 

LE VOYAGE D'ARLO

C’est alors que VICE-VERSA sortit sur les écrans au cours de l’été dernier. L’originalité du script, la virtuosité du montage, la beauté des images et l’universalité du propos en faisait aussitôt l’un des sommets cinématographiques de l’année 2015. Tout le monde s’est accordé à y voir la preuve que les studios étaient de nouveau dans la course et que cela était une très bonne nouvelle. Pour cette raison, l’accueil relativement froid qui fut réservé au VOYAGE D’ARLO, dont la sortie fut, sinon confidentiel, du moins beaucoup plus discrète que le précédent film, pose la question suivante : faut-il y voir là une confirmation de la crainte que le rythme plus soutenu des sorties des longs-métrages de Pixar implique une baisse de leur qualité ?

Un questionnement pourtant d’autant moins légitime qu’en réalité, si LE VOYAGE D’ARLO est sorti quelques mois après  VICE-VERSA, c’est surtout parce que le film, initialement prévu pour le printemps 2014, a été retardé suite à des problèmes de production et au changement express de son réalisateur – chose qui s’était déjà produite pour REBELLE. Au vu du coût des métrages Pixar, du changement permanent du paysage de l’animation et d’une concurrence de plus en plus massive et féroce, il était évidemment absolument impensable de sortir un film imparfait et non fini. En cela, la décision de retarder la sortie était plutôt courageuse, et il serait de fait injuste de considérer LE VOYAGE D’ARLO comme un film bâclé.

Ce dernier conte les mésaventures d’Arlo, un petit diplodocus faible et craintif évoluant dans un monde où les siens n’auraient pas été exterminés par une météorite. Les reptiles ont alors eu tout le loisir de se développer avec l’agriculture à la place des hommes, qui eux sont (jusqu'ici ?) restés à l’état de bêtes sauvages. Sur ce postulat pour le moins stimulant, le studio déroule une histoire plus simple qu’à l’accoutumé, du moins en apparence. Car en réalité, le récit linéaire n’est qu’un prétexte pour creuser des aspects bien particulier et revenir au cinéma pur et dur, celui qui se nourrit principalement des images et du découpage tout en réduisant le dialogue au strict minimum.

LE VOYAGE D'ARLO

Par ailleurs, si LE VOYAGE D’ARLO exploite un thème récurrent dans la filmographie Pixar, à savoir le « retour à la maison », il le fait cette fois-ci en s’attardant davantage sur la construction mythologique du héros. Jamais en effet les studios n’ont produit un film d’aventure suivant d’aussi près les étapes établies par l’anthropologue et mythologue américain Joseph Campbell, à qui l’on doit le fameux livre « Le Héros au mille et un visages » (une « Bible » qui reposait sur la table de chevet de George Lucas, Gary Kurtz et Lawrence Kasdan lorsqu’ils élaborèrent la trilogie originale de STAR WARS).

De par son récit logiquement balisé, on pourrait être amené à penser de prime abord que LE VOYAGE D’ARLO a été formaté, ce qui serait cependant réducteur. Car le film se démarque en réalité de la concurrence sur bien des points. À commencer bien sûr par les graphismes qui constituent sans conteste le sommet de ce que les studios étasuniens sont capables de créer à ce jour. Si les personnages ont volontairement des looks très « cartoonesques », les paysages, eux, sont effarants de réalisme et de beauté, tranchant nettement avec ce qui s’est fait jusqu’ici chez Pixar. De la texture aux éclairages en passant par l’animation elle-même, la réussite est totale et écrase toute la compétition à ce jour. Ce point justifie à lui seul l’attention qu’aurait dû susciter le film à sa sortie.

Mais c’est sur le plan émotionnel que LE VOYAGE D’ARLO surprend. Après la tempête que fut VICE-VERSA, il pouvait effectivement sembler difficile d’atteindre des sommets semblables, surtout dans la foulée directe du long métrage de Pete Docter. Et pourtant LE VOYAGE D’ARLO y arrive en allant beaucoup plus loin. Il ne faut pas se laisser berner par la bande-annonce dégoulinante de guimauve qui laissait présager un « buddy movie » gentillet puisque le film tient finalement beaucoup plus du DELIVRANCE de John Boorman que du PETER ET ELLIOT LE DRAGON de Don Chaffey. 

LE VOYAGE D'ARLO

Ne soyez pas surpris si, au cours du visionnage du VOYAGE D’ARLO, des enfants pleurent en suppliant leur mère de les ramener à la maison. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que, d’ici une dizaine d’années, le long métrage de Peter Sohn soit cité comme un traumatisme générationnel. Si on n’atteint certes pas la violence graphique d’un FANTASIA, certaines séquences peuvent clairement provoquer un sentiment de malaise d’une intensité rarement atteinte dans un film de Pixar.

Bien que l’idée du film soit de partir du postulat qu’un cataclysme planétaire a été évité, il n’en demeure en effet pas moins que le métrage baigne constamment dans une ambiance de fin du monde, où prophètes et mystiques errent, comme si la nature voulait finalement réparer son erreur en laissant les catastrophes se produire et les esprits malfaisants la hanter. C’est d’ailleurs peut-être dans la caractérisation si poussée des paysages que l’on peut trouver la clef de lecture primordiale du VOYAGE D’ARLO. Si le métrage dresse un portrait aussi ambivalent de la nature, représentée à la fois comme une entité sublime et dangereuse, c’est peut-être bien parce que tout le film n’est qu’un jeu de faux semblants dans lequel les apparences sont trompeuses et les intentions cachés, mais jamais sous un angle humoristique comme cela avait été par exemple le cas du gentil requin Bruce du MONDE DE NEMO.

À de nombreuses reprises, Arlo et son petit comparse humain se laisseront ainsi berner par des êtres malveillants qui dissimulent sciemment leurs intentions et où des créatures a priori mauvaises se révèlent être des alliés de poids. Et cela va jusqu’à s’appliquer aux méchants principaux lors de leur première séquence d’apparition alors qu’ils sont sans conteste les plus flippants antagonistes jamais créés par le studio. Au passage, leur deuxième apparition dans le cadre de l’intrigue relève carrément du pur génie représentatif du strict point de vue de la mise en scène.

LE VOYAGE D'ARLO

Le film livre par ailleurs des pics émotionnels qui égalent ceux de VICE-VERSA, à commencer par les diverses séquences de séparation et de retrouvaille qui émaillent le parcours du héros, et qui justifient du même coup pleinement la présence de l’enfant humain. Ce dernier, contrairement à ce que l’on pouvait croire, n’est pas qu’un gimmick astucieux visant à donner une illusion d’originalité auprès de ces aficionados de Pixar qui exigent du studio une perpétuelle virtuosité scénaristique. Même s’il aurait pu prendre la forme de n’importe quelle autre créature puisque le film fonctionnerait tout aussi bien s’il se déroulait avant l’apparition des hommes, cet enfant humain demeure avant tout un moyen de questionner les apparences mais également notre propre animalité, laissant du même coup planer la menace d’une malgré tout possible extinction des dinosaures par le biais cette fois d’une autre espèce alors en pleine évolution.

Car la conclusion du film, c’est finalement qu’hommes et dinosaures ne peuvent cohabiter ensemble puisqu’il est évident que les seconds, de par leur corpulence et leur morphologie, ne sauraient faire le poids face aux premiers qui n’ont sûrement pas vocation à demeurer à l’état d’animaux de compagnie. On ne saurait donc limiter l’histoire du long métrage de Sohn à une basique inversion des rôles.

En définitive, LE VOYAGE D’ARLO est une très bonne surprise, bien que son script soit moins virtuose en apparence que ceux des plus inoubliables réussites du studio. Si les adultes lui préféreront sans doute VICE VERSA avec ses multiples références et ses différents niveaux de lecture, il n’y a aucun doute que les plus jeunes spectateurs et tous les enfants qui sommeillent en chacun de nous seront aussi séduits par ce film évoquant sans ambages nos peurs les plus primales. Dans un registre similaire, LE VOYAGE D’ARLO invoque un autre chef d’œuvre naturaliste de l’animation, BAMBI, dont il est très proche narrativement parlant, et peut se targuer de tenir sans difficulté la comparaison. En cela, il serait bien dommage de bouder notre plaisir. 

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