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16 avril 2014 3 16 /04 /avril /2014 23:32

Titre original : The Counselor

Film américain sorti le 13 novembre 2013

Réalisé par Ridley Scott

Avec Michael Fassbender, Javier Bardem, Cameron Diaz,...

Thriller, Drame

La descente aux enfers d'un avocat pénal, attiré par l'excitation, le danger et l'argent facile du trafic de drogues à la frontière américano-mexicaine. Il découvre qu'une décision trop vite prise peut le faire plonger dans une spirale infernale, aux conséquences fatales...

Le réalisateur qui avait si brillamment commencé avec Les Duellistes, Alien et Blade Runner ne cesse depuis vingt ans de surpasser les limites de la médiocrité. Après cet absurde sommet d'un cynisme dégueulasse qu'était son Prometheus, Scott s'efface derrière un script obscur et pessimiste écrit par le romancier Cormac McCarthy. Alignant une photographie somptueuse et un casting impeccable faisant mine de comprendre ce qu'il raconte, ce thriller où il ne se passe pas grand chose enchaîne les fausses provocations, une violence grotesque et d'interminables discours abscons se croyant profonds. On hésite entre le nanard autiste et le coup de griffe indolore.

Ce qui se passe dans la tête du réalisateur britannique Ridley Scott est un profond mystère qui fait de ce dernier l'un des cinéastes les plus fascinants de la récente histoire du cinéma. Fascinant malgré son oeuvre sacrément décevante. Son parcours n'est pas sans rappeler celui du prodige du Nouvel Hollywood qu'était autrefois George Lucas, de loin le plus complexe et passionnant des "movie brats" (les "sales gosses") qui officièrent au sein de la Mecque du 7ème art au cours de la décennie 1970. Ce dernier était un monteur de génie auquel on prédisait un avenir brillant - être l'héritier américain de Jean-Luc Godard - qui s'est retrouvé pris au piège par son succès monstre, La Guerre des Etoiles, avant de lentement décliner pour finir par carrément renier tous ses idéaux de jeunesse. A ses débuts, les capacités de Ridley Scott étaient immenses et indéniables. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder son premier long métrage intitulé Les Duellistes - injustement taxé à sa sortie d'être un "sous-Barry Lyndon" - tant celui-ci recèle de morceaux de bravoure et d'images de toute beauté (y compris l'un des plans les plus somptueux jamais composés). Il enchaina ensuite avec ces deux chefs d'oeuvre de la science-fiction moderne que sont les monuments Alien le huitième passager et Blade Runner. Pas la peine de revenir là-dessus tant ils ont été décortiqués et tant leur juste renommée suffit à parler en leur faveur.

Mais, comme épuisé par un tel départ furieux, Scott commença à montrer des signes d'essoufflement pendans les années 1980 avec une suite de longs métrages imparfaits bien qu'encore sauvés par de nombreuses qualités. Cela allait de l'"heroic fantasy" avec Tom Cruise en jupette (Legend) à un polar daté où Michael Douglas en manteau de cuir se baladait dans un Japon fanstasmé par la toute puissante Amérique reagannienne (Black Rain), en passant par une fresque très balourde mais néanmoins attachante où le "frenchy" Gérard Depardieu revêtait les oripeaux du portugais Christophe Colomb (1492, Conquest of Paradise). Passé un moment, il est quand même devenu évident que la carrière du bonhomme allait de plus en plus mal. Cela ne l'a pourtant pas empêché d'avoir jusqu'à aujourd'hui droit à un soutien indéfectible de la part d'une bonne partie des critiques et des cinéphiles, a priori suffisamment aveuglés par ses succès d'antan pour lui pardonner les erreurs invraisemblables qu'il commettait à présent. Si son Gladiator oscarisé continue de faire illusion, il est pourtant difficile de nier la déchéance d'un réalisateur enchainant G.I. Jane, le grostesque Hannibal, le ronflant Une Grande Année, l'abjecte Chute du Faucon Noir, le pantouflard Mensonges d'Etat (DiCaprio y livrait sa pire performance, ce qui en dit long sur l'étendue du désastre), le nullissime Robin des Bois, la demi-molle "pubarde" qu'était Kingdom of Heaven ou encore le sidérant Prometheus, sorte d'apogée inversée dans la recherche du nivellement vers le bas qui anéantissait le glorieux héritage d'un cinéaste tout puissant désormais atteint de sénilité artistique.

C'est peu de temps après la sortie de son précédent carnage que Ridley Scott a vécu une épreuve personnelle avec le suicide de son frère-réalisateur Tony Scott (Top Gun, Le Dernier Samaritain, True Romance, Man on Fire). Ce dernier, malgré un style marqué immédiatement reconnaissable et une carrière qui était pour le coup sur la pente ascendante, n'a jamais reçu les lauriers accordés à son grand frère. A peu près au même moment, Ridley Scott se retrouva à tenir les rênes d'un projet allant à l'encontre de ce qu'il avait accompli jusque-là : l'adaptation à budget relativement réduit d'un script forcément déprimant écrit par le romancier Cormac McCarthy (La Route, Blood Meridian et bien sûr No Country for Old Men). Un changement de style que l'on pouvait soupçonner ne pas être complètement déconnecté avec son humeur du moment. Scott allait-il transcender son chagrin comme il l'avait déjà fait d'une certaine manière avec la mort de son autre frère lors de la production du sombre Blade Runner ? On se mettait évidemment à espérer un sursaut de la part d'un cinéaste a priori vidé de toute ambition artistique, se contentant dorénavait de servir de la soupe commerciale asseptisée.

De prime abord, Cartel apparait comme un "coup de gueule". L'omniprésence d'une sexualité inquiétante, ses poussées de violence sans concession et le parcours résolumment dramatique de son personnage principal ne font qu'attester de l'agressivité quasi-infantile qui anime le long métrage. Cartel s'apparente à une tragédie dans son sens originel, à savoir telle qu'elle était conçue lors de l'Antiquité Grecque. A cette époque, ces pièces de théâtre à visée cathartique montraient l'inévitable chute d'un personnage victime de son "hubris" : un homme à l'égo hypertrophié osait se croire égal aux Dieux avant que ces derniers ne se chargent alors, sans la moindre once de pitié, de le ramener à sa place en lui rappelant son statut d'"être faible" n'ayant aucune prise sur son destin. Dans Cartel, Michael Fassbender incarne un avocat qui, par cupidité, va fricoter avec un cartel mexicain tout puissant - qu'on ne voit jamais et qui est désigné sous le terme indistinct de "they" ("ils") - pour s'y bruler les aîles. Réalisant qu'il n'est absolument pas de la trempe de ceux avec qui il a tenté de se comparer, le "counselor" qui se pensait tout puissant va se retrouver pris dans un engrenage aussi abominable qu'inébranlable visant à lui faire prendre toute la mesure, de la manière la plus horrible qui soit, de son impuissance réelle.

Et d'"impuissance", il en est question dans toute l'intrigue fumeuse du dernier film de Ridley Scott. Impuissance face au cartel, impuissance à contrôler sa destinée ou encore - et surtout - impuissance sexuelle puisqu'au fond, c'est bien uniquement de "cul" que parle le long métrage. On ne pigera rien à l'imbroglio mafieux dans lequel se retrouve Fassbender et le duo Scott/McCarthy ne fera pas le moindre effort pour tenter de l'expliquer ; d'ailleurs, cela a un effet (involontairement ?) réussi car cela nous met dans la peau de cet avocat ne comprenant pas ce qui est en train de lui arriver après s'être cru au même niveau que ce milieu criminel dont il n'a de toute évidence pas la moindre connaissance. L'ennui, c'est que cela nous amène à nous désintéresser très vite de toute cette (non)agitation vaine et dénuée de sens qui se déroule à l'écran. Les séquences s'enchainent sans véritable lien : on passe d'un convoi qui transporte de la drogue en traversant la frontière américano-mexicaine à de nébuleuses conversations cryptiques entre l'avocat et le protagoniste joué par un Brad Pitt cabotin, tout en s'attardant en chemin sur les divagations d'un Javier Bardem - définitivement l'ennemi juré des coiffeurs après le No Country for Old Men des frères Coen et le SkyFall de Sam Mendes - sidéré par sa vision d'une Cameron Diaz en mode "oscar whore" baisant le pare-brise d'une voiture au cours d'une séquence figurant sans mal comme l'une des plus lamentablement risibles de toute la filmographie pourtant très garnie de Scott.

Au bout d'une heure de séquences dialoguées inutilement alambiquées afin de faire croire qu'elles disent quelque chose d'intelligent et d'absolument inaccessible pour l'esprit de ce spectateur lambda que les producteurs de Cartel jugent trop "con" pour se rendre compte que l'on se moque ouvertement de lui, le convoi se fait attaquer et est récupéré par la méchante Diaz sans que l'on sache vraiment en quoi ce tour de passe-passe lui est bénéfique. A partir de là, l'engrenage tragique se met enfin en marche pour broyer Fassbender - qui joue évidemment très bien comme l'ensemble du casting, bien que l'on ne sache jamais ce que les acteurs sont en train de jouer (pourquoi pleurent-ils ? pourquoi se mettent-ils en colère ? pourquoi sont-ils contents ?...). Quelle drôle de sensation que de voir quelque chose d'aussi obscur être aussi magnifiquement orchestré ! Quel dommage aussi que ce soit autant en pure perte ! On ne parvient que sporadiquement à distinguer sur quoi semble vouloir porter Cartel : tantôt cela semble être une chronique sur la peur paradoxale du sexe fort envers ce si insoupçonnable sexe faible ; tantôt cela semble être une longue marche funèbre visant à montrer l'inéluctabilité sinistre qui nous attend tous.

Arrive alors la fin avec ce qui est sans aucun doute possible séquence centrale de Cartel : un personnage y fait comprendre au "counselor" que le monde qu'il a crée par chacun de ses actes - et tout ce qui est lié à celui-ci - doit et va, qu'il le veuille ou non, disparaitre en même temps que lui. Le jeu de Fassbender est impeccable, la séquence est bouleversante, la photographie de Dariusz Wolski (Pirates des Caraïbe, Sweeney Todd, Prometheus) éclaire de manière manifique cet échange téléphonique,... La noirceur et la souffrance désespérées de Cartel prennent à la gorge. Cela sera encore plus le cas lors d'une magnifique scène se déroulant un peu après et où, pour la première fois dans ce film, Scott et McCarthy acceptent enfin de la fermer pour se contenter de faire du cinéma en nous faisant comprendre quelque chose d'absolument terrifiant par le seul biais de l'image. Cela n'empêchera cependant pas que l'on ne saisit pas du tout le but et le message (nihiliste, ironique, pessimiste, sadique, machiste ?) qu'entend véhiculer Cartel. Impossible de déterminer ce qu'est ce film qui balance entre drame pseudo-désinhibé sur la sexualité, faux-thriller, geste provocateur d'une puérilité sans borne et oeuvre contestataire défonçant des portes ouvertes ("la prostitution et le trafic de drogue c'est mal, vous voyez !", "les gouvernements sont corrompus !", "les femmes sont soit des saintes, soit des putes vénales et castratrices !" - bref, rien de nouveau sous le soleil). Le tout est pétri d'un cynisme désabusé ainsi que d'une poignée d'instants d'humour noir complètement à côté de la plaque (la dernière scène de Brad Pitt).

Les seules certitudes à la fin de l'interminable projection sont qu'un romancier ne fait pas forcément un grand scénariste - on tend à oublier que la rédaction d'un scénario est un exercice d'écriture pouvant se révéler aussi honorable et délicat que la confection d'une nouvelle - et que Ridley Scott n'a définitivement jamais eu le moindre style puisqu'il reprend les modes du moment en les vidant de toute leurs forces. Cette fois, c'est le néo-western "coennien" qui en fait les frais. Après s'être essayé au pamphlet démocrate, au film de guerre républicain, au péplum rococo, au film de gangster "seventies", à la bluette façon Marcel Pagnol, au thriller gonzo et à l'épopée S.F. créationniste, voilà que Scott est à présent capable de livrer de pathétiques navets prétendument autistes, destinés aux festivaliers bourgeois adeptes de la masturbation intellectuelle et de la révolte de façade. Pour peu, on croirait que Scott est devenu comme le David Cronenberg de ces quinze dernières années. Vivement son Exodus, une épopée biblique sur Moïse prévu pour Noël prochain qui devrait être d'un pachydermisme encore inédit, avant qu'il n'enchaine sur de nouveaux territoires avec ses futurs premiers pas dans la comédie friquée avec l'impensable Prometheus 2. A ce rythme, Scott va creuser si profond qu'il risque de se retrouver de l'autre côté de la Terre.

2 / 10

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