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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 06:08

Her

Film américain sorti le 19 mars 2014

Réalisé par Spike Jonze

Avec Joaquim Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams...

Comédie dramatique

Los Angeles, dans un futur proche. Theodore, un homme sensible et inconsolable suite à une rupture difficile, fait l'acquisition d'un programme informatique ultramoderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il fait la connaissance de 'Samantha', une voix féminine intelligente et drôle. Les besoins et les désirs de cette dernière grandissent et évoluent, tout comme ceux de Theodore. Peu à peu, les deux tombent amoureux l'un de l'autre...

Récit sombre d'un point de vue thématique mais néanmoins coloré, histoire d'amour déchirante et absurde et film de science-fiction, le quatrième long métrage de Spike Jonze est sans conteste l'un des films les plus atypiques de l'année. Cet OVNI, servi par un scénario riche et une interprétation éblouissante, réussi à surprendre par son pitch original sans jamais tomber dans le piège du décalage facile. 

Les histoires d’amour impossibles ont toujours inspiré la création artistique, et le cinéma n’échappe pas à la règle, fournissant un nombre spectaculaire de chefs-d’œuvre, comptant King Kong,  West Side Story, les adaptations cinématographiques de « Roméo & Juliette » ou de La Belle et la Bête. La question des sentiments de l’artificiel a aussi été traitée sans modération, de ceux du simple logiciel de 2001, l'Odyssée de l'espace à ceux du robot humanoïde du brillant Artificial Intelligence. On pourrait croire que tout a été dit sur le sujet. Oui mais voilà : notre époque est celle qui a connu l’arrivée du net et les progrès spectaculaires de l’électronique, qui ont révolutionné durablement nos rapports avec l’autre – notamment via les réseaux sociaux – et avec la machine. C’est dans ce contexte que Spike Jonze, réalisateur atypique habitué aux synopsis originaux grâce au génial Charlie Kaufman, écrit pour la première fois un scénario en solo, espérant rien de moins que de décrire au mieux la relation amoureuse entre un homme et un système d’exploitation ultra perfectionné : bonne initiative, si l’on en juge par la quantité de prix qui ont récompensé ce script. Car tout cela est parfaitement mérité, et bien loin des faux scénarios originaux adaptés de faits réels (Le Discours d’un Roi, Harvey Milk), des pensums inoffensifs (Juno) ou des débilités (Django Unchained) qui parsèment en partie la liste des derniers lauréats à l’oscar du meilleur scénario original, Her est un film intelligent qui nous interroge en plus de nous offrir des dialogues brillants.

Le film commence par un plan fixe sur le héros, Theodore, déclarant son amour pour un homme. On comprend finalement qu’il ne s’adresse pas à une personne mais à son ordinateur, lequel est en train d’écrire une lettre que son utilisateur, employé dans une société qui envoie de fausses lettres, lui dicte. Dès le départ, le film annonce la couleur : ici, les liens sociaux sont sans valeurs humaines, monétisés, et si un enfant doit passer par une société privée pour que sa grand-mère reçoive des lettres, les machines, elles, sont aptes à écouter les êtres humains. Pourtant, même s’il est témoin de la vacuité des rapports sociaux de son époque – Los Angeles en 2025, aseptisé et bien loin de la proposition de Ridley Scott pour Blade Runner - Theodore jalouse ses clients qui vivent dans l’illusion de l’amour au prix de fausses lettres enflammées. Divorcé, seul, Theodore déprime alors qu’il fût heureux autrefois. Il décide finalement d’acquérir un système d’exploitation vanté pour sa capacité d’écoute, lui attribuera une voix féminine et se liera à elle. Celle-ci, qui choisira de s’appeler Samantha et parlera avec la magnifique voix de Scarlett Johansson – qui livre avec sa seule voix une performance éblouissante – fera preuve de douceur et de tact, et se révèlera à terme indispensable à notre héros.

Le thème principal du film est donc naturellement la valeur des sentiments. Her montre comment, malgré l’omniprésence des intelligences artificielles, l’homme ne sait plus à qui parler, au point que le héro s’identifie à un personnage de jeu vidéo rendu aigri par sa solitude (factice ?). Le film ne traite en fait pas tant des rapports aux machines que de la fragilité des rapports humains. Car dans le monde réel dépeint dans le long métrage, les hommes divorcent, se séparent après des années de vie harmonieuse et sont frappés de dépression. Il faut d’ailleurs noter une incroyable séquence de ménage à trois, qui n’est pas sans évoquer un autre modèle d’écriture, Ghost, et que l’on peut certainement considérer comme l’une des scènes les plus dérangeantes vues ces derniers temps au cinéma. C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de ce film : être capable de filmer l’horreur en la rendant acceptable dans un décor aseptisé mais coloré – saluons au passage l’excellent travail qui a été fait sur la direction artistique. Car si le premier plan de Her fait craindre au spectateur de regarder une œuvre Instagram, il faut reconnaître que d'un point de vue esthétique le film est une réussite incontestable en arrivant à donner un cadre cohérent à cet improbable mélange de comédie dramatique, de science-fiction et de romance.

Une romance qui traite l’amour non pas comme un fardeau, un cadeau ou une malédiction, mais comme une addiction. Le spectateur lui-même se prend au jeu en s’émouvant de cette belle relation, avant que quelques détails réguliers ne viennent lui rappeler perfidement qu’objectivement, le personnage principal ne fait que parler à un ordinateur, c'est-à-dire tout seul. L’idée astucieuse de Spike Jonze a été de ne pas faire de Theodore une exception, mais un cas sur plusieurs millions de personnes isolées, à tel point que l’annonce de sa relation avec Samantha ne semble surprendre personne mis à part son ex-femme, la caution humaine et lucide du film. À terme, ces nouveaux modes de vie amoureuse sont traités sous l’angle du changement sociétal plutôt que technologique, et ce choix est plutôt heureux puisqu’il s’accorde mieux avec le style résolument arty du film de Jonze qui, s’il pouvait inquiéter au départ, offre finalement un cachet à ce film frais sur la forme et profondément pessimiste sur le fond, aboutissant sur une fin ouverte douce-amère. On sent d’ailleurs que trouver un dénouement convenable à une telle histoire relevait de la gageure : comme tous les films partant d’une excellente idée de départ, Her souffre de lenteur et donne le sentiment de tourner en rond dans son dernier tiers, sentiment d’autant plus palpable que les deux premiers tiers sont enthousiasmants.

Cela est néanmoins compensé par les interprètes, tous constants dans l’excellence. Scarlett Johansson incarne merveilleusement l’esprit du film, tout en tendresse et d’une justesse émouvante. Pour compléter ce casting féminin, Rooney Mara et Amy Adams incarnent les deux espoirs désespérés du film, la première résolue à la solitude, la seconde s’isolant avec les machines pour se consoler. Un dernier mot enfin : après avoir livré la plus incroyable performance de sa carrière jusqu’alors dans le dernier film de James Gray, The Immigrant, Joachim Phoenix relève encore la barre et montre de nouveau l’étendu de son génie, incarnant avec une sensibilité époustouflante un homme perdu dans une société d’autant plus connectée qu’elle isole, mais survivant avec le secret espoir de trouver quelqu’un pour l’écouter. C’est à lui qu’auraient dû finir tous les prix d’interprétation cette année. Encore raté pour cette fois, mais après tout, que valent de tels prix lorsque le talent est aussi flagrant ?

8 / 10

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