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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 22:14

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Titre original : Argo

Film américain sorti le 7 novembre 2012

Réalisé par Ben Affleck

Avec Ben Affleck, Bryan Cranston, John Goodman,…

Thriller, Drame

Le 4 novembre 1979, au summum de la révolution iranienne, des militants envahissent l’ambassade américaine de Téhéran, et prennent 52 Américains en otage. Mais au milieu du chaos, six Américains réussissent à s’échapper et à se réfugier au domicile de l’ambassadeur canadien. Sachant qu’ils seront inévitablement découverts et probablement tués, un spécialiste de « l’exfiltration » de la CIA du nom de Tony Mendez monte un plan risqué visant à les faire sortir du pays. Un plan si incroyable qu’il ne pourrait exister qu’au cinéma.

      

Ben Affleck fait partie de cette catégorie assez rachitique d’acteurs qui sont plutôt brillamment passés derrière la caméra. Le plus grand porte-étendard de celle-ci demeure aujourd’hui encore l’inépuisable Clint Eastwood (Pale Rider, Sur la route de Madison, Impitoyable, Mystic River, Gran Torino) qui continue de sortir un film par an dans lequel il joue et/ou qu’il met en scène. Toujours dans les rangs des Américains, on peut aussi compter Sean Penn (The Pledge, Into The Wild) ou encore George Clooney (Confession d’un homme dangereux, Good Night and Good Luck et le prochain The Monument’s Men qui réunira Clooney lui-même, Cate Blanchett, Daniel Craig et Jean Dujardin). Ben Affleck s’inscrit parmi eux tout en constituant un cas un peu particulier. S’il a débuté comme scénariste, notamment pour le film sympathique mais assez consensuel de Gus Van Sant intitulé Will Hunting qu’il coécrivait avec son ami de longue date Matt Damon (les deux y jouaient également), Ben Affleck a d’abord été connu comme un acteur au potentiel très relatif. Ou en tout cas comme un interprète toujours très sous-exploité dans des productions d’intérêts plus ou moins variables comme Armageddon et Pearl Harbor de Michael Bay, Daredevil de Mark Steven Johnson ou encore Paycheck de John Woo.

La surprise est venue en 2007 lorsqu’il adapta à l’écran un très sombre roman de Dennis Lehane intitulé « Gone Baby Gone ». Il y faisait jouer son jeune frère Casey, un bien meilleur acteur que Ben qui a depuis prouvé sa capacité à affronter des rôles intenses, épuisants et « casse-gueule » dans le magnifique L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew Dominik et The Killer inside me de Michael Winterbotton. Le premier film de Ben Affleck fit l’effet d’un électrochoc, aussi bien pour la critique qui conspuait assez régulièrement ses fades interprétations que pour le public qui portait sur lui un intérêt jusque-là très superficiel. Pourtant son Gone Baby Gone allait déjà jusqu’à titiller quelques récents films américains classiques et ténébreux, dont le Mystic River lui-aussi adapté d’un roman de Lehane. Elle considéra aussi immédiatement Affleck comme le digne héritier du vieux réalisateur. Affleck confirma quelques années plus tard tout l’espoir qu’on avait placé en lui en réalisant le percutant The Town.

http://collider.com/wp-content/uploads/argo-ben-affleck-bryan-cranston1.jpgRetro

Doté du statut de « jeune réalisateur à suivre », Ben Affleck s’est ensuite attelé à Argo après avoir participé au tournage de To The Wonder d’un Terrence Malick enchainant plus de films qu’il n’en sort (bizarrement traduit par A la Merveille, le film est prévu pour sortir en France quelque part au cours des quatre premiers mois de 2013). Qu’est-ce donc qu’Argo ? Il s’agit de « deux » film. Le plus évident est celui d’Affleck sorti quelques jours plus tôt. Un long métrage d’espionnage à la sauce « seventies » renvoyant à quelques péloches engagées de l’époque comme Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula ou Les Trois Jours du Condor de Sidney Lumet. Un film tiré d’un scénario de Chris Terrio connu dans le milieu pour avoir été placé assez haut dans la « Black List » de 2010 regroupant les meilleurs scripts encore sans producteurs. En cela, Argo, en plus de son casting quatre étoiles réunissant Ben Affleck lui-même, John Goodman (Panic sur Florida Beach, Always, A Tombeau Ouvert, The Artist) Alan Arkin (Little Miss Sunshine), Bryan Cranston (Contagion, Drive, John Carter) ainsi que Kyle Chandler (Super 8, King Kong), était un long métrage très attendu dont on soufflait régulièrement le titre pour la future course aux oscars qui s’ouvrira dans une poignée de mois.

Argo c’est aussi un vieux projet de film à l’orée des années 80 surfant sur la vague de « S.F. Fantasy » popularisée par la série « Star Trek » à partir de la fin des années 60 et surtout par la saga Star Wars à la fin des années 70. Un projet dont le scénario fit pendant un temps le tour d’Hollywood et qui fut suffisamment auréolé de ce que l’on appelle aujourd’hui le « buzz » pour se retrouver sur le bureau de quelques grands réalisateurs de l’époque dont celui de Steven Spielberg. Sauf que cet Argo se révéla sous la présidence de Bill Clinton, qui rendit l’affaire publique, n’être qu’un faux film organisé par la CIA et les autorités du Canada dans le but de servir de couverture à une opération d’extradition de six Américains cachés dans l’Ambassade canadienne de Téhéran quelques semaines après d’importantes émeutes.

Un film dans le film donc avec ce long métrage de Ben Affleck qui relate l’élaboration puis le déroulement de ce plan saugrenu. Passons tout de suite sur les défauts du film afin de se concentrer au final sur ses très grandes qualités. Le film d’Affleck est un film « classique » qui emploi brillamment de nombreux codes de mise en scène et d’écriture ayant fait leurs preuves dans le cinéma américain. Ce n’est pas un film dont on sort époustouflé par le caractère foncièrement novateur de sa réalisation. D’un point de vue formel, Affleck voue une véritable déférence à une certaine période du cinéma U.S. connu sous le terme de « Nouvel Hollywood » et qui vit la prolifération de jeunes auteurs et de films dramatiques et engagés pendant la décennie 70. Affleck enveloppe minutieusement son film d’une esthétique faisant office d’ersatz de celle que l’on retrouvait dans les films de l’époque : images granuleuses, caméra portée, couleurs plus ternes,… Une tentative de rapprochement esthétique assez semblable à la démarche, néanmoins plus crade et « jusqu’auboutiste », de Steven Spielberg pour son Munich.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/87/65/10/19955631.jpg‘Welcome to Hollywood’

Leurs espions sont des figures typiquement « seventies » en apparence mais aussi foncièrement abattus à l’intérieur. Derrière leurs moustaches exubérantes, leurs lunettes et leurs costards délicieusement désuets se cachent des hommes parfois brisés, souvent angoissés et moins proprets qu’ils ne veulent bien le laisser paraitre. Les espions de Munich avaient beau être de jeunes hommes amicaux et biens sous tous rapport (des cuisiniers, des vendeurs de meubles, des constructeurs de jouets), ils finissaient par révéler une obsession morbide et un excès de zèle régulièrement déroutant dans l’accomplissement de leur sinistre mission. Les agents du « Cirque » que dépeignait récemment Thomas Alfredson dans le sublime La Taupe avaient la fausse apparence de fonctionnaires de bureau ou de bibliothécaires, mais étaient avant tout des hommes fatigués errant sans vie dans un Londres brumeux à la recherche d’un réconfort empathique illusoire que leur boulot carnassier est incapable de fournir. Comme le film d’Alfredson, Argo est une volonté de résurrection de cet esprit mélancolique, teinté de liberté et de macabre, devenu symbolique de ces « seventies » ayant débuté dans une exaltation communicative avant de s’achever sur une désillusion pesante, teintée de pessimisme dans l’avenir.

Si Argo n’est pas le plus époustouflant ou novateur film d’espionnage jamais réalisé, les vingt dernières minutes employant parfois des ficelles un peu éculées pour entretenir le suspense, il se révèle absolument passionnant et incroyablement subtil dans sa façon de traiter de manière sous-jacente cette confrontation entre l’esthétique sérieuse et impliquée des années 70 et l’ambiance plus légère et superficielle des années 80. Plus qu’un film d’espionnage, Argo est un film sur le cinéma. La première moitié du long métrage relatant l’élaboration de ce plan à Hollywood est sans ambages quant à cette volonté. Le scénario d’Affleck n’est d’ailleurs pas tendre avec ce milieu où règnent magouilles et mensonges au point que même un espion s’y sent perdu ou mal à l’aise. Quelques piques sont mémorables, pour la plupart lancées par le maquilleur oscarisé de La Planète des Singes, John Chambers (John Goodman, absolument excellent) et le producteur fictif Lester Siegel (Alan Arkin, encore meilleur que Goodman au point qu’il vole la vedette à tout le monde).

Si cela peut paraitre un peu cynique de la part d’Affleck, qui a bien bénéficié de cet Hollywood pour sa carrière, il ne faut pas mettre de côté le fait qu’il ait lui-même souffert de cette hypocrisie et de cette apologie du commercial à tout prix (une célèbre anecdote veut qu’il ait placé dans le script de Will Hunting une page inutile où le jeune héros faisait sans raison une fellation à son professeur-mentor afin de s’assurer que les producteurs aient bien lu le script avant de l’approuver ; Harvey Weinstein la remarqua en premier après que le scénario ait été accepté sans condition par plusieurs producteurs l’ayant soi-disant lu). Cela donne une bouffée d’air frais à un film qui débute sur une séquence des plus oppressantes et inquiétantes voyant l’assaut de l’Ambassade américaine par une foule en colère. Argo vire même temporairement à la comédie lors de séquences absolument hilarantes dépeignant un univers hollywoodien au moins aussi absurde, opaque et inattendu que l’Iran dans lequel s’infiltre le héros, Tony Mendez (Affleck).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/87/65/10/20280109.jpgNouvel Hollywood

Argo est un film sur la fin du Nouvel Hollywood. L’histoire se passe justement au tout début des années 80, c’est-à-dire à une date très proche de la sortie du four monumental des Portes du Paradis de Michael Cimino qui reste la borne chronologique finale communément admise pour ce mouvement cinématographique. Le film de Ben Affleck passe justement son temps à confronter deux univers. Le premier est celui d’un espionnage « old school » avec ses agents secrets torturés voyageant à travers un monde en proie à la désillusion et à l’autodestruction. Il y a d’un côté ce film engagé traitant de la Révolution iranienne et de la relation conflictuelle qui en a découlé avec ces Etats-Unis ayant joué avec le feu en soutenant jusqu’au bout, dans leurs intérêts économiques, un dictateur tortionnaire. Les Américains se trouvent devant les conséquences de leurs actes les plus sombres.

Après l’amusement, le contrôle, les manipulations et la somme monumentale d’argent qui a découlé de ces magouilles politiciennes vient le contrecoup rappelant à l’Amérique que rien n’est gratuit et que tout se paye tôt ou tard. Argo dépeint une Amérique qui se réveille et qui réalise que tout ne tourne pas forcément autour de ce simple conflit américano-russe de la Guerre Froide. Bien que cet état de fait ne soit pleinement perceptible qu’avec le 11/09, Affleck rappelle qu’il était en germe bien assez tôt. Steven Spielberg le sous-entendait dans l’ultime plan de Munich, Ben Affleck montre au cours d’une séquence finale que, si la situation en Iran finira par se « résoudre », le problème pourrait bien ne faire que se déplacer dans un autre pays (au hasard l’Irak si on suit le parcours d’un des personnages secondaires).

A ce contexte réaliste et pas forcément très divertissant s’ajoute une autre ambiance plus fantaisiste : celle de Star Wars et des univers de science-fiction. De façon un peu simpliste, on a toujours attribué la fin du Nouvel Hollywood à la sortie de Star Wars et des « blockbusters » de Spielberg (Les Dents de la Mer et Rencontres du 3ème Type). Outre le fait que le premier « blockbuster » ne soit techniquement rien de moins que l’absolument vénéré Le Parrain de Francis Ford Coppola, il est vrai que les longs métrages plus fantastiques et optimistes de Lucas et de Spielberg ont influencé les producteurs qui ne financèrent plus que ça lorsqu’ils se rendirent compte qu’un vaisseau spatial et quelques explosions remplissaient plus les salles que les états d’âmes d’anti-héros dépressifs. Ce fut dorénavant l’ère du « merchandising », du produit tout fait arrivant clé en main. Du scénario composé à part et choisit par le producteur désignant par la suite lui-même son équipe pour le servir docilement. Le meneur de l’opération prend non pas l’apparence d’un de ces réalisateurs dont le boulot pourrait être assimilé par un singe en un jour selon Chambers mais d’un producteur exécutif (c’est-à-dire « l’argent »).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/87/65/10/20016345.jpgOpposition

Le héros lui-même est tiraillé entre ces deux éléments. Il est un agent secret typique tel que se l’imaginait les productions dites « sérieuses » pendant les années 70. Mais pour réussir dans sa mission, il va devoir abandonner les « couvertures » traditionnelles pour en porter une plus moderne, plus dans l’air du temps, plus fiable et paradoxalement plus exubérante. Pour réussir sa mission sérieuse et réaliste, Tony Mendez doit s’appuyer justement sur ce Star Wars qui le fait passer pour une relique cinématographique. Ou comment la fantaisie de la S.F. et du film commercial finit par gangrener une intrigue foncièrement « terre-à-terre » à l’intention d’un public adulte. Argo est ainsi la parfaite métaphore de la fin d’une époque artistique qui touchait cette Hollywood dont le célèbre panneau était alors à moitié effondré. Le constat d’Affleck est doux-amer comme le sous-entend ces derniers plans où un texte explicatif rappelle l’issue de cette intrigue bien réelle tout en défilant sur fond de figurines enfantines provenant des franchises Star Wars, Star Trek et La Planète des Singes.

Une coexistence entre les deux styles est néanmoins possible. Ce « Argo » que personne ne voulait, et dont le mauvais script symbolise une absence d’originalité qui caractérisa l’ensemble de la production hollywoodienne des quarante années à venir qui se contentaient souvent de surfer sur un succès précédant (en l’occurrence celui de Star Wars), pourrait avoir plus d’écho que prévu avec la situation iranienne. Il s’agit en effet de l’histoire d’un homme ordinaire du peuple qui devient le « leader » d’une révolte populaire visant à destituer un tyran extraterrestre ; une histoire qui peut trouver une résonnance auprès d’une population révoltée après un shah institué illégalement par les Etats-Unis et ne comprenant rien aux traditions qu’il bafouait allégrement (il était un « alien » à leurs yeux, dans le sens d’« étranger »). Une affiliation qui pourrait avoir son importance dans la résolution de l’intrigue.

Et ce brave héros cherchant à récupérer son fils kidnappé par le méchant extraterrestre, n’est-il pas cet agent secret serviable et désintéressé qui met sa vie en danger en allant chercher en territoire ennemi des prisonniers qu’il ne connait pas afin de les sauver ? Et n’est-il pas surtout la représentation fictive et héroïque de ce père souffrant de ne pas voir son fils aussi souvent qu’il le souhaite à cause de son travail mais aussi de sa relation conflictuelle avec sa femme qui a pris le large ? Un fils dont le père est un agent secret « seventies » alors que sa chambre est recouverte de posters et de figurines provenant de ces « space operas » si populaires chez les jeunes Américains de l’époque. Deux générations différentes condamnées à ne dialoguer que par moyen interposé (téléphone, carte postale, télévision), que tout opposent mais qui vont finalement peut-être pouvoir se retrouver par cette opération « Argo » provenant du mélange de ces deux sensibilités. D’où une note finale plus optimiste amenant le film de Ben Affleck sur le terrain de la retrouvaille (entre un père et son fils), de la coopération (américano-canadienne) et de la cohabitation (la combinaison du Nouvel Hollywood et du côté plus artificiel des films populaires).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/87/65/10/20280118.jpgReprésentation

Cette intention de mélange entre deux esthétiques, deux approches très différentes (le ludique et la fantaisie contre la réalité et le sérieux) est perceptible dès l’introduction. Cette dernière résume de façon très pertinente et didactique l’histoire de l’Iran et ce qui a conduit le pays et sa population à se retrouver dans un tel état à la veille de la décennie 1980. Sur le principe, cette exposition est « bateau » puisqu’elle est relatée par une voix off. C’est formellement que cette introduction est des plus représentatives de la note d’intention du film puisque les images accompagnant cette explication sont un mélange entre des documents d’archives (la branche sérieuse du nouvel Hollywood) et des planches de « comics » (la branche fantaisiste annonçant la greffe du ludisme et de l’imaginaire à cette intrigue angoissante).

Argo est le représentant, disons presque le « bébé », de ce mélange. Affleck montre clairement sa préférence pour la mouvance réaliste et sérieuse du Nouvel Hollywood comme en témoigne la reconstitution historique maniaque et la mise en scène de son long métrage évitant le plus possible l’esbroufe. Mais s’il aborde constamment le point de vue de cet espion, relique du Nouvel Hollywood, il n’oublie pas de faire de son long métrage un film de divertissement extrêmement plaisant, au risque d’employer de petits « tours » et quelques artifices afin de donner aux spectateurs ce qu’il attend (une conclusion prenante et spectaculaire) au détriment peut-être de la véracité historique probablement un peu moins cinégénique. Argo est un des meilleurs « crowd pleasure » (« plaisir de foule ») que le cinéma américain ait fabriqué ces dernières années.

Une faiblesse qu’on peut lui pardonner sans problème tant le spectacle est généreux et tant celle-ci est en fait parfaitement cohérente avec le propos du film mêlant thriller d’espionnage et mise en abime du cinéma. Après tout, l’agent Tony Mendez tente de monter un faux film le plus honnêtement possible : trouver un sujet, des producteurs, un script puis vendre le sujet à la presse comme s’il s’agissait du prochain « blockbuster » alors que celui-ci n’est même pas encore tourné. Comme le veut sa mission, son équipe de tournage n’est autre que ces six hommes et femmes à qui il attribue un rôle particulier. D’une certaine façon, si on a donné à ces Américains des postes spécifiques, ils restent avant tout des acteurs devant apprendre à jouer et à incarner ces faux personnages afin que tout se déroule parfaitement lors de la grande et unique « première », à savoir leur passage dans l’aéroport. Il est donc acceptable que la très longue séquence finale se déroulant dans ce dernier soit plus rocambolesque, dans le sens hollywoodien du terme, puisqu’il s’agit de la représentation fictive et publique d’un scénario élaboré au préalable par une équipe.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/87/65/10/20199908.jpg‘Argo fuck yourself !’

On peut enfin retourner un ultime défaut mineur d’Argo. Celui du « contre-point ». Le film de Ben Affleck est logiquement très ethnocentré puisqu’il adopte le regard des Nord-Américains, organisateurs de l’opération « Argo ». Dès lors, le peuple iranien foncièrement anti-américain, même si des nuances seraient à faire d’un strict point de vue historique (mais Argo est une fiction), ne pouvait apparaitre que comme un antagoniste à part entière. N’étant pas un Républicain n’ayant qu’une vision bien arrêtée sur les populations étrangères, Affleck arrive à insuffler une certaine ambiguïté dans les deux camps : les Américains, de l’aveu même de ces derniers, sont en grande partie responsables de ce retournement populaire à leur encontre ; et s’il y a des « méchants » dans cette foule d’iraniens, il y a aussi des parents meurtris et des victimes de l’ancien shah protégé par les USA. Le personnage de la gouvernante représente à elle-seule cette part d’humanité dans la foule.

Mais cet englobement est utile et pertinent pour deux raisons. Cela accentue d’abord la menace à affronter puisque le rapport de force entre ces six êtres perdus et cette population entière dont on ne comprend que partiellement la langue, la culture et les réactions est constamment inégal. Plus librement, on peut aussi voir cela comme un clin d’œil aux films de zombis de George Romero qui devinrent populaires dans les années 70. La masse d’Iraniens fous de rage se déversant à flot dans les couloirs de l’Ambassade dans la tétanisante séquence initiale d’assaut fait penser à ces hordes de zombis désincarnés animés par un unique but obsessionnel et inexorable. Tony Mendez plonge en plein royaume zombifié, où chaque être désire profondément se venger de ces Américains responsables de leurs malheurs, afin d’en sortir six humains.

Même là où l’on pourrait taper sur le film, Affleck a retourné ces défauts en qualités. L’acteur-réalisateur, qui a eu le bon goût de ne pas s’accaparer l’affiche en laissant exister les nombreux acteurs autour de lui (Arkin, Goodman, le toujours excellent Cranston, les six « otages »), a bien l’intention de continuer son petit bonhomme de chemin dans le domaine de la mise en scène. Son film a déjà quelques places réservées pour la compétition aux oscars : il serait en effet surprenant de ne pas au moins voir Argo dans les catégories « meilleur costumes », « meilleur acteur dans un second rôle » (au hasard pour Arkin dont la réplique-phare « Argo fuck yourself ! » est en passe de devenir culte), « meilleur scénario », « meilleur réalisateur » ou encore « meilleur film ». Même Alexandre Desplat confirme, malgré sa cadence de travail infernal, qu’il est plutôt en forme en ce moment après l’excellente bande original du Moonrise Kingdom de Wes Anderson et sa prochaine musique, parait-il très brillante, pour le film d’animation DreamWorks Les Cinq Légendes (auquel il faut ajouter les B.O. du Cloclo de Florent Emilio Siri et du film de Jacques Audiard De Rouille et d’Os aussi composées cette année). Un récent fait a par ailleurs souligné la réussite totale d’Affleck qui devrait être définitivement reconnu par le public, la critique et les studios : il a eu l’audace de refuser un projet de la Warner visant à transposer sur grand écran la « Ligue des Justiciers » regroupant la plupart des super-héros de D.C. Comics (Superman, Batman, Wonder-Woman, Aquaman, Flash). Un geste qui confirme la pleine confiance d’un Affleck dorénavant capable de refuser les « blockbusters » et pouvant pleinement se consacrer à ses projets personnels. Inutile de dire que son prochain long métrage se fait déjà furieusement attendre.

NOTE :  8 / 10

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commentaires

M
Apparemment le "faux" film était en réalité une très grosse production en préparation. Un kickstarter financé avec succès va réaliser un docu à ce sujet:<br /> http://www.kickstarter.com/projects/scifilandmovie/science-fiction-land-a-stranger-than-fiction-doc
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