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23 novembre 2012 5 23 /11 /novembre /2012 00:09

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Titre original : Jagten

Film danois sorti le 14 novembre 2012

Réalisé par Thomas Vinterberg

Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp,…

Drame

Après un divorce difficile, Lucas, quarante ans, a trouvé une nouvelle petite amie, un nouveau travail et il s’applique à reconstruire sa relation avec Marcus, son fils adolescent. Mais quelque chose tourne mal. Presque rien. Une remarque en passant. Un mensonge fortuit. Et alors que la neige commence à tomber et que les lumières de Noël s’illuminent, le mensonge se répand comme un virus invisible. La stupeur et la méfiance se propagent et la petite communauté plonge dans l’hystérie collective, obligeant Lucas à se battre pour sauver sa vie et sa dignité.

      

Thomas Vinterberg est un nom qui ne dira quelque chose qu’aux cinéphiles. C’est avec ce dernier que le danois Lars Von Trier (Dogville, Antichrist, Melancholia) fonda un courant stylistique appelé le « Dogme95 ». Une nouvelle manière de filmer se contentant du strict minimum syndical et nécessitant le respect de certaines règles bien spécifiques (pas de lumière artificielle, pas de décors construits pour le film, caméra portée à la main, pas de truquage en post-production). Le Festen de Vinterberg en fut le manifeste au côté des Idiots de Von Trier. Un film nauséabond se complaisant dans un script morbide et faussement provocateur à l’intention de petits bourgeois venant à Cannes pour voir des films soi-disant dévergondés avant de crier au loup pour pas grand-chose. En plus d’être racoleur au possible avec son enchainement de scènes obscènes et de dialogues glauques n’ayant d’autre but que celui de pénétrer l’intimité d’une famille bourgeoise pour mieux voir son unité partir en éclat sur fond de secrets pédophiliques, Festen était aussi et surtout l’un des films les plus laids et visuellement douteux de ces vingt dernières années.

En 1998, le Festival de Cannes était alors tombé dans le panneau de cette farce embarrassante en lui conférant un Prix du Jury. Inutile de dire que, même quinze ans plus tard, il était difficile d’être enthousiaste pour La Chasse. Si le film adoptait de toute évidence une bien plus supportable facture classique, moins tape-à-l’œil et permettant un meilleur engagement du spectateur dans l’histoire, il était difficile de ne pas se remémorer de douloureux souvenirs lorsque le synopsis de La Chasse révéla que le long métrage traiterait à nouveau de pédophilie. Thomas Vinterberg s’était-il acheté un trépied et avait-il lu le « petit manuel de la subtilité » depuis Festen et la traversée du désert qui a suivi, ayant vu une succession de « flops » artistiques, critiques et publics (It’s all about Love, Dear Wendy) ? Rien n’était moins sûr mais le dernier long-métrage de Vinterberg avait pour lui un argument de poids en sa faveur : Mads Mikkelsen.

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/74/11/20271614.jpgLe petit ogre et le méchant agneau

Pour ceux qui ne le sauraient pas, il s’agit de l’un des plus grands acteurs au monde aux côtés de Tom Hardy, Benedict Cumberbatch, Michael Fassbender ou encore Song Kang-ho. Découvert dans les deux premiers épisodes de la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn, Mikkelsen avait fait forte impression dans le percutant Valhalla Rising du même Refn ou encore le Coco Chanel & Igor Stravinsky de Jan Kounen. Il est surtout connu du grand public pour avoir été l’un des plus marquants méchants de la série « James Bond » en incarnant Le Chiffre dans le Casino Royale de Martin Campbell. Après s’être de temps à autres fourvoyé dans quelques médiocres « blockbusters » avec Le Choc des Titans de Louis Leterrier et Les Trois Mousquetaires de Paul W.S. Anderson, des films dans lesquels il parvenait malgré tout à ressortir avec les honneurs, Mads Mikkelsen revenait ici avec un drame dans lequel il tenait à nouveau le premier rôle.

Soyons clair : Mikkelsen est pour au moins 50% dans la réussite de La Chasse. Si son personnage est plutôt bien écrit, c’est son interprétation qui rend ses faiblesses et ses angoisses absolument tangibles. Mikkelsen trouve à ce jour son plus beau rôle chez ce quadragénaire soudainement accusé à tort de pédophilie et qui voit par la suite son monde se dérober sous ses pieds. Pour le coup, le Festival de Cannes a eu la judicieuse idée de lui décerner un Prix d’Interprétation Masculine, faisant de Mads Mikkelsen le successeur de Jean Dujardin dans The Artist de Michel Hazanavicius. Si on pourra regretter que Vinterberg n’exploite pas l’ambiguïté dont peut brillamment faire preuve Mikkelsen dans ses interprétations, son personnage restant intègre et au-dessus de tout soupçon jusqu’à la toute dernière image du film, on lui sera finalement gré de ne pas céder à cette conclusion facile qui aurait vu le spectateur s’interroger sur la nature et les actes du personnage principal sans qu’il n’ait pleinement le droit à une réponse (comme la dernière scène ratée du Shame de Steve McQueen).

C’est peut-être l’absence de culpabilité de ce personnage qui a pu bêtement offusquer quelques « mères la pudeur » lors de la projection cannoise du long métrage de Vinterberg. Le fait est que Vinterberg brise par là un tabou persistant voulant la pureté irrémédiable et complète d’un enfant dans de pareilles situations. Si on admet d’un commun accord qu’un enfant peut mentir quand ça l’arrange (pour ne pas se faire gronder), le fait qu’il puisse mentir sur un tel sujet (la sexualité) capable de mettre mal à l’aise des adultes semble régulièrement inenvisageable. Comment pourrait-il mentir sur ça ? Cette sacralisation en toute circonstance de la parole de l’enfant qui est soudainement remise en question par Vinterberg met mal à l’aise. D’abord parce que la pédophilie est, à raison, un sujet éminemment sensible, douloureux et monstrueux au sein de notre société. Aussi parce que l’on ne sait pas vraiment au départ ce que le réalisateur entend prouver (les enfants ont une part de responsabilité dans ce qui leur arrive ? La séparation entre le faible et le fort, la victime et le bourreau pourrait être occasionnellement flou ?).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/74/11/20271610.jpgElle court, elle court la rumeur

Cette inversion du rapport de force surprend et place le spectateur dans une situation certes inconfortable mais à même de le faire réfléchir. Là où la majorité des films sur le sujet se plaçait du point de vue de la victime et diabolisait le tueur ou violeur d’enfants, ce qui était notamment le cas des chefs-d’œuvre qu’étaient La Nuit du Chasseur de Charles Laughton et Les Nerfs à vifs de Martin Scorsese, Vinterberg place l’accusé en victime et la victime en responsable coupable. Néanmoins, Vinterberg évite la charge douteuse qui aurait été de blâmer complètement l’enfant. Le portrait de la petite fille est plutôt bien nuancé et elle est interprétée avec conviction par une Annika Wedderkopp qui parvient à tenir ce lourd rôle sur ses petites épaules (le genre de rôle qui pourrait pourtant effrayer les plus grands des acteurs). De petite fille amoureuse n’ayant pas encore résolu son complexe d’Œdipe et vexée par un refus de l’adulte dont elle s’est temporairement éprise, elle passe subtilement à une gamine qui se retrouve embarquée dans un engrenage mensonger qu’elle ne maîtrise pas. Elle aura beau répéter qu’elle a tout inventé, les adultes, emprisonnés dans leurs tabous et leurs présupposés tenaces, n’y verront plus qu’une forme de déni, réflexe protecteur classique à l’encontre d’un acte aussi horrible.

Ce point de départ est assez similaire avec celui du grand et somptueux drame romanesque de Joe Wright intitulé Reviens-moi. Le réalisateur anglais se focalisait cependant davantage sur le point de vue de la « menteuse » jalouse et bien trop jeune pour mesurer les effroyables conséquences de son mensonge (ou du moins, dans le cas du film de Wright, de son témoignage biaisé). La répudiation que le personnage accusé incarné par James McAvoy subit n’était par contre pas dévoilé puisqu’une ellipse le montrait directement après en soldat presqu’intégralement détaché de son passé. Le film de Vinterberg se consacre beaucoup plus à cette campagne de dénigrement, à ces persécutions incessantes, à ces regards accusateurs que reçoit le personnage principal. La Chasse est moins un film sur la pédophilie (puisqu’il n’y a pas d’acte pédophile) qu’un long métrage sur les dégâts que peuvent causer la rumeur et le persifflage.

Le décor utilisé est évidemment celui d’une petite ville campagnarde dans laquelle les ragots et les soupçons se diffusent en une poignée de journées tel un poison. Et comme tout le monde connait tout le monde, les répercussions et les vengeances personnelles fusent très vite. Lucas (Mikkelsen) voit son monde partir en fumée d’autant plus vite que les parents des victimes qu’il aurait soi-disant abusé se trouvent être ses amis et ses proches voisins. Alors que lui-même tentait de faire table rase de son passé (il vit seul après son divorce, commence une nouvelle relation sentimentale et parvient de nouveau à communiquer avec son fils), Lucas voit ses efforts réduit à néant. Que faire ? Fuir pour conforter l’opinion de ses accusateurs tout en perdant ce qu’il possède encore ? Rester et affronter la calomnie à ses risques et périls ? Le dernier quart d’heure dans lequel Mikkelsen parvient à sauver des séquences hautement « casse-gueule » comme celle de la messe de Noël, est particulièrement poignant et étonnement optimiste de la part du réalisateur de Festen (ce dernier est en fait le miroir inversé de La Chasse). Néanmoins, rien ne sera plus jamais comme avant malgré les réconciliations (deux seulement apparaissent véritablement sincères). Et les derniers plans sont terrifiants dans ce qu’ils annoncent et dans leur manière de montrer que ce poison pourrait se transmettre de génération en génération. Une ultime facilité à la Shame vient un peu parasiter le plaisir mais qu’importe. Loin d’être la purge innommable qu’a bien pu clamer le public de Cannes, La Chasse est, malgré ses défauts, une vraie bonne surprise.

NOTE :  6,5 / 10

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