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10 décembre 2011 6 10 /12 /décembre /2011 13:41

                                     

 - Titre original : Shame

 - Film britannique sorti le 07 décembre 2011

 - Réalisé par Steve McQueen

 - Avec Michael Fassbender, Carey Mulligan, James Badge Dale,…

 - Drame

                Brandon, trentenaire new-yorkais, vit seul et travaille beaucoup. Il vit surtout avec un secret terrible : il est victime d’une addiction sexuelle. Quand sa sœur Sissy arrive sans prévenir à New York et s'installe dans son appartement, Brandon aura de plus en plus de mal à dissimuler sa vraie vie...

                Le réalisateur Steve McQueen (un nom difficile à porter) avait secoué Cannes il y a quelques années avec son premier film, Hunger, remportant au passage le prix de la Caméra d’Or. Il avait par la même occasion révélé l’un des plus impressionnants jeunes acteurs de sa génération : le germano-irlandais Michael Fassbender. Ce dernier, quelques temps après avoir fait des tours remarqués chez Snyder, Tarantino et Vaughn, retrouve en grandes pompes le metteur en scène qui l’a dévoilé au grand public.

                Etant forcément lié à l’homme qui lui a donné un de ses plus beaux rôles (comme le sont Viggo Mortensen et David Cronenberg ou Leonardo DiCaprio et Martin Scorsese), Fassbender a à peu près  tout accepté pour satisfaire son metteur en scène. Cela a payé puisqu’il a reçu la coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la dernière Mostra de Venise. Et ce nouveau rôle que McQueen lui a confié est loin d’être d’une simplicité extrême : un homme souffrant d’une addiction au sexe. Outre la sensibilité du sujet, magnifique et rare mais difficile à traiter dans un film grand public, le rôle nécessite une certaine implication et une donation de soi. A ce niveau-là, Fassbender s’est montré généreux et n’hésite pas à se mettre complètement nu et à apparaitre dans des scènes de sexe plutôt explicites. 

                Néanmoins, ce Shame n’a rien d’un film érotique. Il est même d’une certaine froideur. On peut d’ailleurs le voir comme l’un des premiers films sur le sexe volontairement désincarné et distancié depuis l’Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Pendant presque la totalité du long-métrage, Steve McQueen ne s’apitoie pas sur le personnage principal. Il refuse de tomber dans le pathos ou la caractérisation à outrance. Le problème est, en contrepartie, qu’il est difficile de s’attacher à lui. On n’a en effet aucune prise sur lui. Steve McQueen a d’ailleurs l’intelligence de ne pas expliquer  son addiction par un traumatisme psychologique antérieur. Mais cette absence de repère ou d’indication sur son passé empêche de pleinement comprendre la relation houleuse qu’il entretient avec sa sœur. 

                Celle-ci est visiblement plutôt immature, mais cette explication ne suffit pas à expliquer le rejet assez fort que le héros éprouve pour sa sœur (il ne l’appelle par exemple jamais sans que l’on sache pourquoi). On réalise cependant tout le long du film que cette relation amour/haine est encore plus entachée par l’arrivée soudaine et encombrante de la sœur dans l’univers bien réglé de son frère. Un univers parfaitement organisé pour assouvir son addiction sans que les autres ne s’en rendent compte et sans être perpétuellement tenté. Il utilise tous les moyens annexes : masturbation, sites et journaux pornographiques, prostituées, coups d’un soir,… Avec l’arrivée de sa sœur, il se retrouve avec une présence féminine constante dans son propre appartement et une présence « voyeuse ».   

                Une présence embarrassante pour deux raisons. D’abord parce qu’elle voit malencontreusement des indices embarrassants : elle tombera sur un site porno, l’apercevra en pleine masturbation. Elle le surprendra à plusieurs reprises en pleine satisfaction de son « vice honteux » (le « shame » du titre). L’autre raison est montrée de façon moins directe et est pourtant bien plus importante et dérangeante. Sa sœur est une présence féminine fortement « sexuée ». La première fois qu’il tombe sur sa sœur, elle est complètement nue sous sa douche après être entrée chez lui sans l’avoir prévenu. A un autre moment, elle vient dans son propre lit avant que Brandon ne la rejette violemment. Cela culminera avec la scène où elle le voit en train de se masturber, ce qui le rendra fou de rage au point de l’empoigner et de lui demander si elle « en veut un peu ». 

                C’est ici qu’on s’aperçoit du vrai côté pervers de cette addiction : le personnage est près à tous les extrêmes pour satisfaire ses pulsions irrépréhensibles. S’il repousse aussi violemment sa petite sœur, c’est parce son caractère aguicheur, probablement inconscient, l’incite à passer à l’acte. Et qu’il serait capable de « violer » celle-ci si elle se montrait involontairement trop entreprenante (en plus de perpétuellement l’inciter à atteindre ad nauseam cette jouissance). De même, dans sa décente aux enfers finale, il ira jusqu’à changer momentanément de bord pour se satisfaire et à accepter une fellation faite par un homme, alors que Brandon est clairement caractérisé comme un « homme à femmes ». Une spirale qui va l’entrainer dans les bas-fonds de New-York où il mettra en danger sa propre vie, s’adonnant sans restriction à ses pulsions incontrôlables comme porté par un désespoir irrémédiable. Ces moments de perditions, montés de façon désordonnée sur une magnifique musique, sont particulièrement réussis. 

                Shame peut cependant aussi être vu comme la peinture sociale assez sombre d’un environnement urbain neutre et froid où des âmes viennent se perdre dans des bureaux et des appartements vides et lisses. Des âmes perdues cherchant dans cette société quelques secondes de réconfort, et certaines d’entre elles, dans leur désespoir, cède à une forme d’addiction « salutaire ». Une volonté du « toujours plus » qui les coupe des autres. Des âmes qui n’arrivent donc plus à véritablement s’aimer ; Brandon refusant le mariage et ne pouvant avoir une relation sérieuse qui dépasse les quatre mois. L’un des aspects les plus passionnant et subtil du récit est cette relation que le héros tisse avec Marianne, une de ses collègues de bureau. Une relation qui n’est pas immédiatement articulée sur le sexe puisqu’il l’invite au restaurant pour apprendre à la connaitre (ce qu’il ne faisait pas avec les autres femmes qu’ils prenaient directement comme « objet de plaisir »). Le plan séquence qui les montre lors de leur premier ébat est intéressant dans le sens où il montre une réaction anormale chez Brandon. Une réaction qui dévoile son intimidation face à une relation autre que purement sexuelle. Une réaction anormale qui sous-entend une perception « anormal » de cette relation, ce qui lui confère justement ce caractère à la fois unique et tragique. 

                Cependant, le film de McQueen recèle quelques faiblesses. D’abord par cette propension à vouloir à tout prix faire de son film une « œuvre d’auteur distanciée ». On ne coupe donc pas aux long plans-séquences statiques, qui se complaisent un peu trop à s’étirer inutilement presque dans le but d’agacer une partie des spectateurs. De même, l’actrice Carey Mulligan n’est jamais aussi bonne que quand elle reste silencieuse, Drive en avait été une preuve assez flagrante. Le sort final de son personnage est aussi assez facile et détonne avec le reste du long-métrage qui avait su se montrer sobre et éviter les gros sabots du tire-larmes et du misérabilisme. Les défauts de Shame surviennent donc principalement au cours des vingt dernières minutes faussement provocatrices. La fin est par exemple problématique. Là où il aurait pu conclure son long-métrage par cette image d’un Michael Fassbender jouissant en même temps qu’il fond en larmes (ce qui résume assez bien la souffrance et le tragique d’une telle situation), McQueen préfère faire une fin ouverte roublarde à la Inception. Mais là où la conclusion du film de Nolan était un trompe-l’œil (le véritable intérêt de la scène n’étant pas la toupie), Shame s’achève sur un faux suspense que rien ne justifie à part une volonté perverse de jouer au petit malin et de faire inutilement jaser critiques et cinéphiles. 

                C’est d’autant plus dommage que le film est souvent assez captivant malgré son peu de dialogues, ses longs plans et ses interminables regards. Mais il pâtit d’une approche beaucoup trop froide, à deux doigts d’être moralisatrice, et surtout tellement premier degré qu’elle ne laisse aucunement place à des moments plus légers qui aèreraient le récit. Le personnage de David, joué par James Badge Dale, essaye bien d’ajouter quelques notes d’humour mais celles-ci apparaissent très vite comme mécaniques et répétitives. Shame reste un film qu’il faut voir pour une raison principale : Michael Fassbender. Si les oscars ont l’audace de le nominer, les autres concurrents risquent de ne pas peser bien lourds face à lui. 

NOTE à 7,5 / 10

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