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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 00:05

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Titre original : SkyFall

Film britannique sorti le 26 octobre 2012

Réalisé par Sam Mendes

Avec Daniel Craig, Javier Bardem, Judi Dench,…

Action, Espionnage, Aventure

Lorsque la dernière mission de Bond tourne mal, plusieurs agents infiltrés se retrouvent exposés dans le monde entier. Le MI6 est attaqué, et M est obligée de relocaliser l’Agence. Ces évènements ébranlent son autorité et elle est remise en cause par Mallory, le nouveau président de l’ISC, le comité chargé du renseignement et de la sécurité. Le MI6 est à présent sous le coup d’une double menace, intérieure et extérieure. Il ne reste à M qu’un seul allié de confiance vers qui se tourner : Bond. Plus que jamais, 007 va devoir agir dans l’ombre. Avec l’aide d’Eve, un agent de terrain, il se lance sur la piste du mystérieux Silva, dont il doit identifier coûte que coûte l’objectif secret et terrifiant…

      

Cette critique contenant un certain nombre de spoilers, j’incite à attendre d’avoir vu le film avant de la lire

Un nouvel épisode de James Bond est toujours un évènement en soi. Le retour sur les écrans du plus célèbre et séduisant des agents secrets est devenu une tradition presque biannuelle depuis une bonne moitié de siècle. Une nouvelle aventure de 007 est toujours l’annonce d’un « blockbuster » pas forcément intelligent mais souvent généreux en termes de scènes d’action. Pour les fans, la raison de cette éternelle attente (ils sont déjà tournés vers l’épisode qui suivra celui venant tout juste de sortir) est d’autant plus compréhensible. Cette attente, SkyFall a su l’élever à un niveau encore inédit dans l’histoire de la franchise. N’importe quel cinéphile qui s’est un peu penché sur le parcours de 007 au cinéma n’aura aucun mal à avouer que ces aventures n’ont jamais brillé par leurs mises en scène.

Les producteurs avaient jusque-là mis un point d’honneur à ne confier les rênes du personnage qu’à des « yes-men » pas forcément mauvais mais bien dénués de la moindre empreinte ou identité visuelle. Cela a-t-il contribué à l’incroyable longévité de Bond au cinéma ? Peut-être. Le personnage passait avant tout. Empêcher tout changement radical de styles ou de thématiques permettait de conserver une très relative cohérence dans l’évolution du héros et de son univers. Relative car de nombreuses problématiques temporelles étaient visibles depuis bien avant Casino Royale que certains considèrent à tort comme le premier « reboot » du personnage. Si l’on regarde bien, 007 subit en fait un ravalement de façade au moindre changement d’acteur : le Bond vieillissant de Dangereusement Votre n’avait quasiment aucun rapport avec le loup solitaire et froid de Tuer n’est pas jouer ; le jeunot romantique d’Au Service Secret de sa Majesté ne correspondait en rien au Bond grotesque et légèrement bedonnant que composa Sean Connery deux ans plus tard dans Les Diamants sont éternels ;…

On fit maladroitement de Casino Royale un épisode rayant purement et simplement de la carte les vingt épisodes l’ayant précédé, et ce, même si cela pouvait avoir été l’intention initiale d’une production ayant déjà tentée d’enterrer l’époque Moore avec Dalton ou d’effacer le douloureux souvenir du très violent Permis de tuer avec un GoldenEye plus enjoué. Si « reboot » il y a vraiment eu avec Casino Royale, c’était avant tout à l’encontre du ridicule et dépassé (voire insultant) Meurs un autre jour. Un épisode qui s’était chargé lui-même de caricaturer le personnage jusqu’à la nausée. Une renaissance était nécessaire afin que celui-ci reparte sur de bons rails et puisse avancer vers de plus prometteurs horizons.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/46/03/20079592.jpg‘James Bond will return’

Contrairement à ce qu’on a pu croire, Casino Royale n’est pas vraiment la renaissance du personnage. L’épisode racontait la première mission de 007 et expliquait comment ce dernier était devenu tel qu’il est maintenant connu. Il s’agissait donc moins d’une renaissance que d’un dépoussiérage à l’aune des plus sombres Batman Begins de Christopher Nolan et La Mémoire dans la Peau de Doug Liman. Le film de Martin Campbell faisait plus office de « prequel » : un épisode montrant des évènements antérieurs à un autre film. Il ne faut en effet pas chercher une cohérence temporelle dans la franchise (sinon Casino Royale aurait dû se dérouler au début des années 60) qu’une évolution du personnage. Balayons du revers de la main cette théorie pour le moins vaseuse empoignée par les adeptes du « tout doit être rationnel et expliqué » ; une portion de spectateurs ayant fait un immense bond numéraire après les travaux de Nolan, aux résultats parfois bien plus pervers qu’on pouvait l’imaginer à leurs sorties. Cette théorie veut que « James Bond » ne soit qu’un pseudonyme que l’on filerait à divers agents. Acceptons que James Bond soit un personnage qui ait miraculeusement traversé les générations, au même titre qu’un Batman, un Spider-man ou un Spirou, vivant un certain nombre de relectures et d’aventures de plus en plus modernes défiant cette loi de la temporalité voudrait que ces héros soient des grabataires à notre époque.

La finalité de Casino Royale était une sorte de paradoxe temporel montrant un Bond en 2006 qui aboutissait schématiquement à celui que l’on a connu en 1962 (quelques différences sont évidemment repérables). En cela, Quantum of Solace fut un épisode superflu qui tentait de surfer sur la vague de l’immense succès critique et commercial de Casino Royale en s’inscrivant comme sa suite directe. Le surestimé Marc Forster, pas aidé par une préproduction pour le moins chaotique et précipitée, tentait de poursuivre le fil conducteur du précédent épisode, à savoir comment Bond est devenu James Bond. La fin de Casino Royale annihilait pourtant cette piste en se concluant très judicieusement sur un iconique « The name is Bond, James Bond » amenant la naissance effective (et non la renaissance) du personnage.

Quantum of Solaceétait à plus d’un titre une quête identitaire. Le personnage, endeuillé par la mort de la femme qu’il aimait après qu’elle l’ait trahie, cherchait encore à connaitre la voie qu’il allait emprunter. En colère, il passait le film à chercher à se venger ; moyen détourné pour lui permettre au final de faire son deuil et d’aller de l’avant. Quantum of Solace était aussi un épisode qui cherchait la meilleure façon formelle de représenter James Bond au XXIème siècle. C’est sur ce point que le film se montrait le plus faible mais aussi plutôt intéressant. Ce « Bond movie » perdait toute spécificité au point de singer la réalisation de son concurrent Jason Bourne et d’enlever purement et simplement à 007 ses attributs caractéristiques. Si utilité il y a à l’épisode de Forster, elle se concentre avant tout dans son constat d’échec. Quantum of Solace montrait, au même titre que l’affreux Meurs un autre Jour, vers où il ne fallait absolument pas se diriger si on voulait que Bond survive à notre siècle et qu’il conserve ses particularités faisant de lui un agent secret souvent copié mais jamais égalé. La fin de Quantum of Solace s’achevait sur une promesse, la même que Casino Royale, à savoir l’arrivée du « vrai » James Bond par le biais d’une entorse presqu’hérétique plaçant le célèbre « gunbarrel » à la fin du film afin de marquer les prémices de sa prochaine aventure.

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/46/03/20239399.jpgPrise du pouvoir

C’est là que vient le cas SkyFall. Nombreux pourront être surpris par la tournure du film si ceux-ci pensent encore que Casino Royale est un « reboot » (on recommence à zéro en faisant fi du passé) plutôt qu’une « prequel » (ce qui s’est passé avant). De leur point de vue, SkyFall aurait dû être une aventure lambda. Or SkyFall fait un bon(d) dans le temps. L’aventure de Mendes se déroule après Meurs un autre jour et ramène justement tout ce parcours de cinquante ans comme un lourd héritage écrasant 007. L’épisode est très particulier à plus d’un titre. Comme nous l’avons vu précédemment, les épisodes « bondiens » n’ont jamais brillé par leur réalisation, à quelques exceptions près (Terence Young avec Bons Baisers de Russie et Opération Tonnerre). Casino Royale avait vu le retour de l’artisan honorable avec Martin Campbell, réalisateur sachant gérer ce type de production et étant capable occasionnellement d’élever son scénario par une mise en scène, pas forcément inspirée, mais plutôt dynamique. Quantum of Solace avait vu une envie plus marquée des producteurs de confier leur « bébé » à des mains plus expertes après avoir refusé les appels du pied des américains (sacrilège !) Spielberg, John McTiernan ou Brian De Palma. Marc Forster, réalisateur de drames « oscarisables » et très académiques, fut choisi pour tenir les commandes de ce « blockbuster » (non sans dommages). Contre toute attente, les producteurs ont réitéré l’expérience en confiant le boulot à quelqu’un d’encore plus confirmé : Sam Mendes, réalisateur d’American Beauty et des Sentiers de la Perdition.

Un choix audacieux et inattendu pour plusieurs raisons. On pourra d’abord remarquer qu’il s’agit du premier metteur en scène oscarisé qui dirige un « James Bond movie ». C’est aussi un réalisateur adepte du drame, bien qu’il ait à plusieurs reprises indiqué sa volonté de faire un « blockbuster ». Les producteurs ont ainsi à nouveau envie d’écarter leur franchise du domaine du cinéma d’action pyrotechnique. Contrairement aux apparences, tous les James Bond ne sont pas des films d’actions. Si l’on met à part les périodes de Roger Moore et de Pierce Brosnan, assez enclines à enchainer les morceaux de bravoure tapes-à-l’œil, bon nombre d’épisodes sont assez chiches en courses-poursuites pétaradantes et explosives. Les premières scènes d’action d’Au Service Secret de sa Majesté ou de Bons Baisers de Russie (outre un ou deux corps-à-corps rapides) n’apparaissent qu’au bout d’une heure. Casino Royale se déroule autour d’une table de poker pendant près de quarante-cinq minutes. De manière générale, moins il y a de scènes d’action dans un film de James Bond, meilleur celui-ci est.

L’autre avantage de l’ajout du plutôt respecté Sam Mendes est que celui-ci a pu faire pression sur les producteurs pour leur faire accepter un petit changement d’équipe. Pour la première fois sur un film de James Bond, c’est le réalisateur qui impose sa « team ». Le très inégal David Arnold a temporairement quitté le poste de compositeur pour laisser la place au musicien habituel de Mendes : le plusieurs fois nominé Thomas Newman (Les Evadés, Les Sentiers de la Perdition, Le Monde de Nemo, Wall-e). Bien mieux encore, il parvient à placer Roger Deakins (le meilleur chef op’ au monde à qui l’on doit les derniers films des frères Coen) à la place de « directeur de la photographie ». Ce dernier est l’un des principaux instigateurs dans la belle réussite de SkyFall. Sous les noms de Mendes et de John Logan, scénariste ayant beaucoup remanié le script initial des ennuyeux Neil Purvis et Robert Wade, se rallia le plus beau casting de toute la franchise : les habituels Daniel Craig et Judi Dench, Javier Bardem en méchant, Ben Whishaw en Q, Ralph Fiennes, Naomie Harris, Helen McCrory, Albert Finney et l’inconnue Bérénice Marlohe. Le réalisateur de seconde équipe est celui de Casino Royale et non plus celui de La Mort dans la peau de Paul Greengrass, et les autres membres de l’équipe (décors, costumes, effets spéciaux) sont ceux qui bossèrent sur la saga Harry Potter et Les Fils de L’Homme d’Alfonso Cuaron, soit les meilleurs d’Angleterre dans chacun de leurs domaines.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/88/95/51/20301389.jpgCrise de la cinquantaine

En l’état, SkyFall ne paraissait pas pouvoir se planter à moins d’un sérieux accident en cours de tournage. Il est vrai que, dans le monde actuel du cinéma, il est de plus en plus difficile d’obtenir un grand « blockbuster », même en réunissant une équipe de rêve. Mais il était dur de ne pas partir confiant devant un tel projet formé sous de si beaux auspices (les problèmes financiers de la MGM retardant le nouveau Bond aidèrent à améliorer sa préparation). La désillusion n’est heureusement pas là. Quelques défauts sont évidemment perceptibles (comme dans tous les films de James Bond) et on ne peut pas vraiment dire que ce soit le plus grand « Bond movie » à cause de son ambiance si particulière qui le démarque des autres opus de la série (s’il fallait choisir, le film de Mendes se hisse quand même sans mal et de très loin comme l’un des trois-quatre meilleurs épisodes). Mais il est clairement exaltant de voire aujourd’hui encore une grande production visant un public large et qui ne lui soutire pas son argent en se contentant de faire le minimum syndical. Il y a un amour de la belle ouvrage qui fait très plaisir à voir (peu de CGI, cascades réelles, direction artistique irréprochable). SkyFall essaye de hisser au plus haut point tous les aspects du film : photographie, lumière, décors, musique, réalisation, acteurs,… SkyFall est le plus élégant et le plus prestigieux film de James Bond. Un magnifique hommage au personnage et un somptueux cadeau pour les fans afin de célébrer les cinquante ans de 007 au cinéma.

Ce dernier aspect est un détail non négligeable dans le long métrage de Mendes. On se souvient encore douloureusement de la première célébration d’un anniversaire dans la franchise avec Meurs un autre jour sorti en octobre 2002, soit quarante ans après la sortie de Dr. No. Les producteurs avaient souhaité le célébrer en enquillant un nombre incalculable de clins d’œil aux épisodes précédents. Le scénario cousait carrément de fil blanc diverses idées anciennes afin de former un vague tout soi-disant cohérent. Douloureux souvenirs que l’on pouvait légitimement craindre de voir se réitérer pour ce 50ème anniversaire. On n’échappera pas à quelques références pas immensément subtiles, quoique toujours plus discrètes que dans le film de Lee Tamahori. Cela va de la sympathique réutilisation d’un gadget de Permis de tuer (qui trouve son utilité dans l’intrigue), à la référence gratuite (« For her eyes only »), voire un poil « fan service » puéril (l’allusion au célébrissime siège éjectable de l’Aston Martin).

L’idée intelligente est par contre d’incorporer directement cet anniversaire dans l’intrigue de SkyFall. Pour l’une des uniques fois dans l’histoire de la franchise, Bond a sensiblement le même âge que la série cinématographique dont il fait partie. Comme le héros d’American Beauty, premier film réalisé par Sam Mendes et incarné par Kevin Spacey, Bond vient d’atteindre un âge canonique et est victime de la fameuse crise de la cinquantaine. Il remet ainsi en question son propre choix : a-t-il bien fait de choisir ce métier qui le prive de toute vie normale ? N’est-il pas tant de passer à autre chose après autant d’années au service de sa Majesté ? Alors que le héros d’American Beauty regrettait de ne pas pouvoir voir un film de James Bond, probablement pour s’évader de son cadre de vie infernal et monotone, il s’avère que le dit-James Bond est lui-même atteint de vague à l’âme.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/88/95/51/20301381.jpgChuter…

Néanmoins, SkyFall ne « psychologise » pas à outrance son propos ; un danger qui guettait pourtant quand on regarde le caractère bavard et parfois moralisateur des précédentes œuvres du metteur en scène britannique. Cette dégradation du personnage est à la fois psychologique (surtout dans la première demi-heure qui le retrouve un peu perdu et complètement alcoolique) mais aussi physique. Pour la première fois dans la franchise, et si l’on écarte le non-officiel Jamais plus jamais d’Irvin Kershner qui en jouait de façon un peu moqueuse, on suit un James Bond vieillissant. A ce titre, il est assez impressionnant de noter la maturité qui imprègne les traits plus fatigués de Daniel Craig alors que celui-ci avait incarné six années auparavant l’un des plus jeunes Bond de la série. On pourra sans conteste dire que Craig est l’acteur qui aura le plus donné de sa personne pour jouer l’agent 007.

Cette déchéance physique débute lors d’un prégénérique où rien ne se déroule comme prévu et qui voit le héros être blessé par balle à deux reprises avant de faire un vertigineux plongeon du haut d’un pont (« skyfall » signifiant ici moins « le ciel qui tombe » que « tombé du ciel »). Après ce cuisant échec qui faillit à plusieurs reprises lui couter très sérieusement la vie (Mendes ne fait pas le rapprochement mais il est à deux doigt de mourir de la façon dont ses parents sont décédés), Bond déprime et se perd dans une remise en question existentielle qui l’amène à disparaitre temporairement afin d’échapper aux radars du MI6. Le Bond d’antan semble avoir disparu : barbu, les yeux fatigués et parfois injectés de sang, blessé, constamment alcoolique et se bourrant de pilules… Cet ancien homme de l’ombre n’est plus que l’ombre de lui-même ; le somptueux travail de Deakins est encore à saluer puisqu’en puisant parfois dans l’expressionnisme et les silhouettes du « film noir » il rend évident par l’image cette perte d’identité. Mais Bond ne saurait rester trop longtemps éloigné de son Angleterre et revient à la « maison » après que celle-ci ait été attaquée.

Mais on ne réintègre pas comme ça un « mort-vivant » au sein des services secrets. 007 doit passer une série de tests afin de prouver qu’il est redevenu comme avant. Et malgré le mensonge de cette manipulatrice de M, il est évident que James Bond est tout sauf prêt à repartir en mission : il s’épuise plus rapidement sous l’effort, il ne tire plus aussi bien qu’auparavant et un exercice d’association psychologique montre qu’il est beaucoup plus secoué par l’accident qu’il ne veut bien le laisser transparaitre. Cela ajoute une nouvelle tension aux scènes de suspense, notamment au cours d’une impressionnante montée en ascenseur, puisqu’il n’y a plus la garantie que Bond exécute sans risque une pirouette périlleuse. Toutes les premières scènes d’action sont intenses car elles mettent soudain en avant la possible faillibilité physique de Craig. Le jeune homme qui traversait le chantier en détruisant tout sur son passage au début de Casino Royale n’est plus. Bond est une « épave » comme le dira le terrible Silva (Javier Bardem).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/88/95/51/20301382.jpg… pour mieux remonter

C’est en cela que SkyFall est l’épisode qui fait « renaitre » James Bond. Elle voit d’abord sa « mort » au début du long métrage, image symbolique entérinée par un générique malsain mais un peu foutraque où se mêlent tombes gaéliques, pluies de sang, ruines et silhouettes fantomatiques. Et si la première demi-heure qui suit pose un agent secret ayant perdu son panache et ses multiples atours, tout le reste du long métrage le voit tenter de les récupérer pour redevenir un nouveau James Bond plus resplendissant que jamais. Une fois sur le terrain, 007 va lentement redevenir James Bond en se réappropriant peu à peu tous les éléments de sa mythologie. Ce lent retour à la vie culmine dans une somptueuse séquence à Macao où l’agent de terrain Eve (Naomie Harris) vient elle-même raser Bond avant que celui-ci ne revête un smoking afin de pénétrer en barque dans un casino flottant qui a tout d’un royaume des morts carnavalesque (une séquence bondienne qui condense l’essence et les gimmicks du personnage de Ian Fleming).

SkyFall est aussi l’épisode de James Bond le plus morbide à ce jour. Bien qu’il soit clairement le plus enjoué et le plus riche en répliques cinglantes de la période de Craig, ce qui est aussi assez inattendu de la part d’un Mendes souvent plus enclin au mélodrame déprimant, ce nouvel épisode emprunte régulièrement une imagerie à la limite du fantastique. L’hallucinant passage à Shanghai, clairement le plus visuellement étourdissant et audacieux de toute la franchise, dépeint Bond comme une vague silhouette, un fantôme immatériel qui se reflète sur une multitude de miroirs. Si le fantôme revient d’entre les morts après être sorti de ce casino de Macao, c’est pour mieux réintégrer un monde déliquescent. Le travail appuyé sur les décors, relativement inédit dans la franchise qui se contentait souvent de construire d’immenses plateaux extravagants, rend encore plus fort cette atmosphère crépusculaire, parfois à la limite de l’apocalyptique. Bond traverse une île japonaise complètement abandonnée uniquement composée d’une ville en ruine que les habitants quittèrent du jour au lendemain ; il parcourt les sombres dédalles souterrains de Londres tel un cadavre cherchant à tout prix à rejoindre un extérieur plus lumineux et moins étouffant ; il achève son aventure dans sa demeure familiale ayant tout du manoir écossais hanté perdu au milieu d’une lande déserte.

Mort, destruction, décadence, ruines,… Tout se mêle et se ressent par le biais d’un brillant travail conjoint de la photographie, des décors et des acteurs. Daniel Craig adopte une démarche nettement plus calme et lente que dans les deux précédents épisodes où il passait son temps à courir et à sauter à travers le monde (cela ne veut pas dire qu’il a sombré dans l’immobilisme comme nous le verrons plus tard). Cette chute de Bond s’accompagne d’un regard de plus en plus dépréciatif de la part de son entourage. Certains détracteurs ont bien vite condamné SkyFall d’être un épisode se moquant de James Bond et de son « old fashion ». C’est ne pas faire attention à qui Mendes fait porter ce discours. Bond doit non pas essuyer les moqueries de son réalisateur, qui passe justement son temps à rappeler que la modernité à tout prix peut être néfaste, mais celles du jeune Q (excellente relecture du personnage) et du méchant Silva qui le considèrent comme une relique dépassée à l’ère du numérique et de l’immobilisme.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/46/03/20017165.jpgRemodelage

A 50 ans, aux portes de la vieillesse, James Bond est remis en question non seulement par son âge mais aussi par son époque. En 1962, en pleine Guerre Froide et à une période où les services secrets se basaient avant tout sur le renseignement humain, un héros comme Bond était clairement envisageable voire souhaitable. Qu’en est-il en 2012 ? Un homme de terrain est-il encore utile alors que l’on peut faire de l’espionnage « assis en pyjama avec son ordinateur sur les genoux » comme le dira Q ? Les critiques ont souvent bêtement rapproché SkyFall au The Dark Knight de Christopher Nolan. S’il est vrai qu’ils partagent bien quelques points communs comme le fait d’être des « blockbusters » plutôt matures et crépusculaires inscrivant leurs figures héroïques dans un univers plus réaliste et angoissé, le film de Mendes ressemble davantage au Mission Impossible : Protocole Fantôme de Brad Bird avec qui il partage le concept théorique initial. Ces deux films, en plus d’être pour l’instant les derniers grands « blockbusters » de notre époque, ont réinventé la figure « old school » de l’espion par le biais de deux franchises concurrentes (une anglaise et une américaine). Bird prenait ces fantasmes irréalistes d’espions à gadgets et aux aptitudes physiques hors norme afin de les confronter aux dures lois de la physique et de la malchance qui règnent dans le vrai monde mais dont leur univers cinématographique était jusque-là dépourvu. Par ce film d’action très régulièrement brillant et intense, Bird parvenait au final à remettre en avant le cœur même de la série télévisée, à savoir la coordination et le travail d’équipe en lieu et place de la débauche pyrotechnique.

Mendes fait sensiblement la même chose avec James Bond. Il débute le film avec le 007 typique des années 2000s. Le prégénérique est dans la même lignée que les scènes impressionnantes et « over the top » de Casino Royale. A ceci près que cette démonstration de force d’un James Bond disposant du moindre de ses atours échoue ; au même titre que l’équipe d’Ethan Hunt voyait ses missions ultra planifiées partir peu à peu à vau-l’eau. Il est ainsi confronté à un univers qui ne l’accepte plus comme tel, le moque, le raille, souligne son inutilité et son archaïsme. SkyFall poursuit la problématique post-Guerre Froide (« and now, what’s next ? ») que GoldenEye effleurait du bout des doigts par le biais de quelques scènes (la première rencontre de 007 et de la nouvelle M, sa confrontation avec le « bad guy » Trevelyan au milieu des ruines du communisme russe). Q ne donne presque plus de gadget à la grande déception de Bond ; Silva rit souvent de lui en soulignant à quel point il est dépassé ; le subalterne de M, Mallory (Ralph Fiennes), met en doute les compétences de 007 jusqu’au dernier acte du film ;… Même l’actuelle M doute un moment des capacités de son agent secret préféré, perd son sang-froid au cours du prégénérique et décide d’intervenir maladroitement au lieu de laisser Bond résoudre le problème comme il a toujours su le faire (à l’exception du Monde ne suffit pas et de Meurs un autre jour, le prégénérique a toujours été une glorieuse séquence à l’honneur de Bond).

Cette défiance vis-à-vis de ce héros autrefois adulé oblige celui-ci à se renouveler afin de correspondre à son époque tout en conservant sa spécificité initiale (ici, l’agent secret séducteur terriblement classe). Cela se fait par un retour en arrière et une déconstruction de la mythologie. Mission Impossible : Protocole Fantôme réduisait à néant les gimmicks de la franchise (les masques, les fausses mises en scène, l’autodestruction du message) pour mieux se concentrer sur l’aspect humain et non technologique de l’équipe. SkyFall fait par un retour en arrière temporel (« back in time » dira James Bond) devant permettre à 007 de traverser les différents périodes et ambiances stylistiques qu’il a connu depuis le début des années 60.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/24/76/20276143.jpg‘Back in Time’

SkyFall dégage tellement d’ambiances différentes que l’on peut trouver de prime abord que le film de Mendes est trop lourd. Pourtant le long métrage trouve une cohérence formelle à rebours. SkyFall commence comme un film d’action moderne privilégiant l’épate (et il le fait très bien avec l’un des plus étourdissant et galvaniseur prégénérique de la franchise) avant d’opter pour une ambiance de film d’espionnage 90s voyant l’immiscion de l’ordinateur dans les services secrets. Il poursuit son retour dans le temps avec la séquence de Shanghai, faisant certes écho à Hitchcock (notamment Fenêtre sur Cour et Sueurs Froides), mais qui rappellera surtout la mégalopole tentaculaire, désincarnée et luminescente du « eighties » Blade Runner de Ridley Scott. 007 passe ensuite par les décors extravagants d’un Bond de la période Roger Moore (dont la base surréaliste d’un méchant haut en couleurs) avant de retourner dans le Londres plus sinistre et angoissé d’un thriller réaliste du tout début des « seventies ». Ce retour en arrière fait enfin renaître le Bond de Goldfinger (début des années 60) avant que le film ne s’achève dans une ambiance de western, ce dernier étant l’un des plus vieux genres cinématographiques de l’Histoire du 7ème art.

D’une certaine manière, SkyFall est le premier James Bond purement science-fictionnelle voyant le héros remonter le temps pour revenir à l’endroit où il est né (véritablement mais aussi cinématographiquement). Pourquoi un tel retour en arrière ? Parce que 007 n’est apparemment plus l’homme de la situation. Il ne l’est plus effectivement mais aussi aux yeux de jeunes modernisateurs (Q, Mallory). Mais qu’est-ce qui a fait que la situation a dérapée pour 007 ? Hitchcock disait que plus le méchant est réussi, mieux le film est. Une maxime que la franchise a régulièrement pris au pied de la lettre, sauvant parfois des épisodes entiers grâce à un antagoniste « bigger than life » attirant toute l’attention du spectateur. Si les deux premiers épisodes avec Daniel Craig n’étaient pas dépourvus de méchants iconiques (on pense particulièrement au Chiffre de Casino Royale incarné magnifiquement par Mads Mikkelsen, le Dominic Green de Mathieu Amalric dans Quantum of Solace étant une belle occasion loupée), ceux-ci avaient une stature nettement moins grandiloquente (un banquier, un homme d’affaires philanthropiste). Raoul Silva renoue avec cette tradition de « bad guy » baroque et exubérant. Une menace intéressante à plus d’un titre amenant le personnage de 007 face à ses limites.

Il est d’abord la cinquième némésis de James Bond après Red Grant (Robert Shaw) dans Bons Baisers de Russie, Francisco Scaramanga (Christopher Lee) dans L’Homme au pistolet d’or, Alec Trevelyan (Sean Bean) dans GoldenEye et Gustav Graves (Toby Stephens) dans Meurs un autre jour. Point de redite néanmoins. Beaucoup résumeront Silva comme un James Bond ayant mal tourné. Il a en effet suivi un parcours similaire : agent de génie, il est une victime collatérale des douloureux choix face auxquels est confrontée M. Un agent torturé, humilié et blessé par ce soudain manque de confiance de la part de sa patronne qu’il a un peu tendance à considérer comme sa mère de substitution. Nombreux sont les fans à avoir été gêné par l’arrivée de Judi Dench dans le rôle de M. Au lieu d’un « père de substitution », Bond se retrouvait soudain face à une « mère de substitution » ayant parfois un peu trop tendance à considérer 007 comme un gamin. Ce rapport un tantinet infantilisant, explicable dans Casino Royale vu l’inexpérience de 007 dans cet épisode mais plus agaçant dans Quantum of Solace ou Meurs un autre jour, se retrouve ici hypertrophié dans le lien unissant M et Silva. Bien qu’un peu trop présent, ce dilemme freudien est justement amplifié avec Silva comme pour en soigner son personnage-miroir, Bond. La conclusion de cette intrigue rassurera d’ailleurs les fans quant à la poursuite de cette approche plus féministe du personnage.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/46/03/20239397.jpgHobbies

Silva est donc le pendant pervers de Bond. Mais ce qui suit est encore plus intéressant. Silva apparait comme l’incarnation outrancière et pathétique du Bond léger et amusant de Roger Moore et de Pierce Brosnan tandis que Daniel Craig persiste dans la veine sérieuse et angoissée de son personnage (moins proche de Sean Connery que de George Lazenby et surtout de Timothy Dalton). Les deux ennemis incarnent alors les deux faces d’une même pièce. Les deux visages d’un même personnage qui emprunta soit l’un, soit l’autre, pendant ces cinquante dernières années. Là où Craig choisit la voie du réalisme, Silva est sur le chemin de l’excentrisme. Silva est une extrapolation grotesque de ce Bond décérébré, détaché et coquet que peignirent Moore et Brosnan. Silva n’est pas un être foncièrement menaçant. Son introduction, lors d’un judicieux plan séquence et d’un monologue génial, le montre plutôt comme un dandy maniéré et efféminé ; la révélation de la bisexualité de Silva reste le grand moment humoristique du film, mettant Bond dans une situation inédite bien embarrassante et faisant un clin d’œil à la fois à une scène similaire de Casino Royale et au fantasme « gay » qu’a généré Craig lors de sa fameuse sortie de l’océan dans le film de Martin Campbell. Silva est un mélange entre l’aspect aristocratique du Bond de Moore et le côté plus fragile et délicat du 007 de Brosnan ; bien qu’une particularité physique révèlera littéralement qu’une « monstruosité se cache derrière cet emballage soigné.

La critique a beaucoup comparé Silva au Joker de The Dark Knight. Outre le fait que Nolan, en grand fan de la franchise, ait réalisé sa trilogie comme s’il s’agissait de films de 007 (d’où le peu d’intérêt qu’il y aurait à le voir s’atteler directement à la franchise) et qu’il ait par conséquent amené son Joker à être plus proche d’un ennemi de Bond que du personnage des « comics », le maniéré Silva au plan démesurément compliqué et « terre-à-terre » (tuer sa « Mère ») n’a pas grand-chose à voir avec le clown paradoxal, psychotique et adepte de l’anarchisme. Silva est plus un mélange de Trevelyan, ancien agent britannique qui ourdit une terrible vengeance personnelle contre le MI6, et de Max Zorin (Christopher Walken dans Dangereusement Vôtre) pour son côté fou, peroxydé et sexuellement ambigu. Ou alors, quitte à jouer le jeu des comparaisons, un blond maniéré à la tête d’une petite armée personnelle, préparant un piège complexe visant à l’humiliation et si possible la mort d’un ancien ennemi tout en faisant dérailler un train dans une grande ville ferait instinctivement plus penser à l’inoubliable méchant composé par Jeremy Irons dans le génial Die Hard 3 de McTiernan.

Mais Silva et le Joker se rapprochent en un point. Celui d’être l’élément détraqué qui bloque le fonctionnement de cet univers faisant mine d’être crédible et logique. Si The Dark Knight était aussi bon, c’est parce que le Joker, en plus de pourrir la ville de Gotham City, faisait voler en éclat, probablement inconsciemment, l’obsession « nolanienne » du réalisme et de la cohérence à tout prix. Silva est le grain de sable qui vient s’immiscer dans l’univers dorénavant réaliste de Bond. La personnification même des plus grands délires grotesques de la franchise qui tente de réduire à néant la volonté de sérieux de Craig. Némésis enfin, parce que Silva est l’incarnation d’un 007 qui aurait cédé aux injonctions méprisantes de Q et de Mallory. Un agent secret qui n’est plus un homme de terrain, qui se fatigue au moindre mouvement et pour qui le summum de l’espionnage exotique est de cliquer sur une souris d’ordinateur. « Tout le monde a droit à un hobby » dira méprisamment Bond à son adversaire. 007 ne mange pas de ce pain-là. Vaincre Silva, c’est aussi un moyen pour 007 de montrer qu’il peut être la cure de ce mal moderne qu’est le tout numérique. Et que, pour battre un ennemi employant un ordinateur, il faut bouger, le chercher et le lui retirer des mains.

http://heyuguys.co.uk/images/2012/10/Ralph-Fiennes-in-Skyfall1.jpgFocalisation

C’est pour cela que SkyFall n’est en rien un film méprisant envers la franchise puisque Mendes adopte et approuve le point de vue de son héros. Par son aventure, Bond doit prouver qu’il n’est pas bon pour la casse. Lorsque Q fera une grave erreur par le biais de son ordinateur, c’est Bond qui tachera de la réparer. Lorsque le bureaucrate Mallory se retrouvera en difficulté et qu’il ne pourra plus protéger M du terrible Silva, c’est l’homme de terrain 007 qui viendra l’appuyer. Lorsque M sera mise en doute et clouée au piloris par son administration, c’est James Bond qui courra à son secours. Le sort qui s’abat sur cette dernière fait d’ailleurs écho à celui de Bond dans cet épisode : jugée trop vieille, elle risque de finir maladroitement et dans la disgrâce sa brillante carrière en ne sachant pas se retirer au moment opportun. De par son parcours similaire, on peut considérer que Judi Dench est la « vraie » James Bond Girl de cette aventure (ou la première « Bond lady »), ce qui n’est pas la moindre des torsions que SkyFall fait aux conventions bondiennes. Le plan machiavélique de Silva ne vise d’ailleurs pas à sa mort. Son meurtre n’est que le point final. Tout ce qui précède auparavant vise à son humiliation complète et à la destruction totale de ce qu’elle a achevée pendant la période où elle a occupé son poste. Le tout doit se finir par son assassinat devant les caméras, au nez et à la barbe de la commission d’enquête dirigée par la Ministre de la Défense (Helen McCrory) en vue de sa répudiation. Le reste de la mission n’est que prétexte à quelques « McGuffins » (la liste des agents de l’OTAN, la valise pleines de billets, l’ordinateur de Silva) afin de se concentrer sur ce « matricide » et ce qu’il implique émotionnellement et symboliquement parlant (comme le film de Bird).

Ce jeu pervers du « chat et de la souris » s’achève au cours du final le plus étrange mais aussi le plus allégorique et potentiellement polémique de toute la série. Autre immense torsion au genre, ce n’est plus 007 qui prend d’assaut la base du méchant mais bien le « bad guy » qui attaque le camp du héros. Une séquence de western moderne lorgnant du côté de l’Alamo de John Wayne et des Chiens de Paille de Sam Peckimpah*** et pendant laquelle 007 et M se réfugient en catastrophe dans la maison familiale des Bond, perdue en Ecosse. Deux références cinématographiques assez inattendues dans un épisode de la franchise. Une ambiance particulière aussi, plus glaciale et apocalyptique. La photographie absolument merveilleuse de Deakins devient bichrome (noir/bleu puis noir/orange). Accompagné d’un vieux garde-chasse (le sympathique et rassurant Albert Finney), Bond et sa patronne tentent de résister sans aide extérieure à l’attaque particulièrement violente de Silva. Plus d’extravagance ou de superficialité. Plus de Q, de Mallory, de MI6. Il n’y a plus que Bond, accompagné régulièrement par des morceaux du célèbre thème de Monty Norman (la musique de Thomas Newman suit aussi cette évolution temporelle et retrouve davantage de sonorités « john barryenne » vers la fin).

Si certains pourront rejeter ce choix très clairement audacieux qui est, à un moment près, un anti-climax complet, on pourra féliciter Mendes et son équipe d’avoir opté pour un final plus humain, symbolique et intimiste là où la totalité des « blockbusters » actuels s’élancent dans une surenchère graduelle. Les scènes d’action, aussi brillantes et magnifiques soient-elles, ne sont d’ailleurs pas le point fort de SkyFall. La plus impressionnante séquence du point de vue des cascades n’est autre que la première, et elle n’arrive pas au niveau des plus grandes scènes d’action de James Bond (au hasard la scène du chantier dans Casino Royale). Si les courtes mais percutantes bagarres sont prenantes, particulièrement celle en plan séquence à Shanghai qui montre deux ombres chinoises s’affrontant sur fond d’hologrammes bleus marines, la poursuite dans le métro londonien est un peu avare en prouesses inédites. La fusillade autour du manoir « SkyFall » en Ecosse est du même acabit : divertissante, très jolie mais pas aussi spectaculaire que les séquences d’action du dernier récent « blockbuster » d’espionnage, Mission Impossible : Protocole Fantôme. Mais Mendes contrebalance cette absence d’épate en insérant un paquet d’enjeux et de symboliques dans ces séquences, les rendant plus prenantes et impliquant davantage le spectateur dans l’action (le final du prégénérique, la scène de l’ascenseur, la bagarre dans le casino interrompue par une « surprise »). Bird suivait sensiblement la même démarche en faisant perpétuellement échouer les gadgets des espions, rendant la mission bien plus « impossible » que les précédentes et rajoutant un danger supplémentaire.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/46/03/20079576.jpg‘Let The Sky Fall’

L’assaut final de « SkyFall » répond à ce principe. D’un strict point de vue technique, ce ne sont qu’une quinzaine d’hommes et un hélicoptère qui attaquent un manoir dans lequel sont retranchés trois ennemis. Mais la symbolique de la scène est toute autre. Dans SkyFall, Dench représente bien plus le pays de Bond que sa propre mère (la relation filiale concerne davantage le rapport M/Silva) ; si elle est attaquée, c’est la Grande Bretagne qu’on attaque. Il s’agit donc de James Bond qui protège l’Angleterre dans un manoir représentant sa famille de sang. Quelle plus belle métaphore de James Bond que cette image montrant 007 n’hésitant pas à réduire en cendre son passé et son lien familial pour protéger le pays (la chef des services secrets britanniques qui est la seule à qui il doive rendre des comptes) ? Mendes détache de nouveau l’agent secret de son passé familial pour le montrer à nouveau, non plus comme le fils d’Andrew et de Monique Delacroix Bond, mais comme le protecteur désormais sans attache et « désincarné » de la Grande Bretagne.

D’où une certain désinvolture (feinte ou réelle ?) de James Bond lorsque celui-ci fait exploser son héritage parental. A l’inverse, il a une réaction beaucoup plus colérique lorsque son Aston Martin, la voiture « symbolique » de 007 depuis Goldfinger en 1964, est détruite sur un ordre totalement gratuit de Silva. Là encore, la raison est imagée. En détruisant cette voiture, le méchant Silva, et non pas le réalisateur Sam Mendes, s’attaque ouvertement à la figure de James Bond. C’est cette raison, et non sa folie ou son extravagance, qui en font l’un des « bad guys » les plus marquants de la série. Son geste entraine légitimement la colère de James Bond, qui voit un de ses principaux atours se faire annihiler, mais aussi celle du spectateur pour qui cette voiture renferme à elle-seule l’héritage cinématographique de 007. La destruction de ce symbole n’est absolument pas le reflet d’une volonté du metteur en scène de détruire les codes de la franchise et de se moquer du « vieux » James Bond. L’explosion de l’Aston Martin est justement filmée comme un acte cruel et triste. Mais peut-être que celle-ci est aussi un mal nécessaire. Pour mieux faire avancer James Bond, il faut peut-être un peu le délester de ce lourd legs. Pour être encore moderne, James Bond doit remodeler quelques vieux atours tout en les conservant d’une certaine manière.

Mendes détruit les codes du personnage pour mieux les lui rendre à la fin. Bond coule dans la rivière après sa chute à la fin du prégénérique, Mendes lui permet de remonter à la surface lors du final. Entrainé dans sa propre tombe au manoir SkyFall lors du générique d’Adele, 007 réapparait d’entre les morts en « deus ex machina » dans ce même cimetière où se déroule son dernier affrontement avec Silva. Ce dernier n’a alors plus aucune chance. Loin de tout ordinateur, ce Julian Assange maléfique a perdu son « pouvoir » et ne parvient pas à s’adapter en homme de terrain. Il ne fait plus que se trainer lamentablement à travers la lande. Bond continue quant à lui de courir, de gesticuler, de lutter et parvient ainsi toujours à sauver la situation à temps. Cette mobilité est la force et la particularité de Bond. C’est un « globe-trotteur », pas un homme de bureau ou un informaticien. Eve, quelques mois après l’avoir involontairement laissé pour mort en lui tirant dessus, lui conseillera de rester toujours en mouvement pour survivre.

http://www.devildead.com/thriller/skyfall02.jpg‘Old Dog, New Tricks’

Malgré un dernier rebondissement très osé et plutôt dramatique, qui confirme pour l’instant que l’ère Craig réserve un sort assez néfaste aux femmes, l’ultime séquence de SkyFall se montre à la fois plus enjouée et surtout plus optimiste voire triomphante que l’ensemble crépusculaire du long métrage. S’il y a eu de nombreuses modifications, tout n’a pas complètement changé. L’apparence n’est plus tout à fait la même, à quelques coups de coudes près, mais le fond reste similaire. On regrettera le « twist » sur le personnage d’Eve. Non pas qu’il ne soit pas cohérent ou mal amené, mais il aurait été préférable de le révéler bien plus tôt afin de ne pas apparaitre comme un ajout tardif et superficiel faisant du « fan service » servile, rappelant au passage une autre désagréable révélation « imprévisible » de The Dark Knight Rises au sujet du personnage de Joseph Gordon Levitt. Mais la scène finale amène deux réjouissances. D’abord le fait que Ralph Fiennes devrait réapparaitre dans de futurs épisodes (ce qui suffirait à faire de SkyFall un chef d’œuvre, en toute objectivité bien sûr). Mais aussi l’arrivée tant attendue du « gunbarrel », sciemment placé à la fin pour ne pas gêner un étourdissant premier plan qui iconise 007 comme jamais. Si sa signification a changé, il n’a pas perdu sa force. Le « gunbarrel » n’est pas ici la mise en bouche jubilatoire introduisant James Bond et son aventure, mais la confirmation de sa complète victoire et de sa renaissance. Doté d’une nouvelle jeunesse, James Bond n’attend même plus la fin de son aventure pour se lancer dans la suivante.

Après la lecture de cette critique, on pourrait croire qu’il n’y a quasiment aucun défaut à relever dans ce film. Ce n’est évidemment pas vrai. Quelques scories viennent émailler le déroulé de l’intrigue. On pourra toujours, mais inutilement, arguer que le stratagème ultra élaboré de Silva pour se venger ne tient que par le plus grand des hasards. Remarque que l’on ne se faisait pas avant ce réalisme maladif dont fit preuve Nolan avec ses Batman, principe qu’il ne respectait pas lui-même lors de certaines occasions. La bande originale de Thomas Newman est variée et bien plus aboutie que n’importe quelle B.O. de David Arnold, mais on regrettera pas mal l’absence d’un thème fort comme savait les composer John Barry.

Pour des raisons évidentes, Dench étant le personnage féminin principal et Eve étant un cas particulier, on peut légitimement regretter le retrait des Bond girls dans cet épisode. Eve disparait pendant tout le dernier acte, Severine (Bérénice Marlohe) n’a qu’un temps de présence réduit d’une vingtaine de minutes et la grecque Tonia Sotiropoulou hérite du rôle de la Bond girl la plus faire-valoir de toute la franchise (elle apparait dans trois plans dont un complètement nue). Et s’il est rafraichissant de retrouver beaucoup plus d’humour que dans les épisodes précédents, bien que Casino Royale soit loin d’être dépourvu en remarques cinglantes, on pourra s’attrister de quelques vannes qui tombent un peu à plat comme les forcées « c’est le cycle de la vie », « je vais vous éjecter » et « c’est triste de gâcher un si bon scotch » (écossais évidemment, et de 50 ans d’âge).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/88/95/51/20301385.jpgRésurrection

Mais les défauts sont vite effacés devant les qualités si évidentes et exacerbées de SkyFall. En premier lieu, une photographie en tout point mémorable qui propose une centaine de plans figurant parmi les plus beaux de la franchise et du cinéma d’action en général. Des images somptueuses dont la beauté et la force évocatrice ne devraient pas être dépassées avant un bon bout de temps (si Deakins ne remporte pas l’oscar cette année, c’est qu’il y a bien un complot à son encontre). Mendes s’éclate autant à réaliser les scènes de dialogues que de poursuite, les « story-boardant » précisément et refusant de céder à la mode actuelle de la caméra portée et du montage effréné pour illusoirement dynamiser l’action. Sa principale réussite est d’avoir réussi à intégrer sa personnalité sans trop s’écarter de l’esprit de la franchise. La plupart des héros de la filmographie de Sam Mendes (Kevin Spacey dans American Beauty, Tom Hanks dans Les Sentiers de la Perdition, Jake Gyllenhaal dans Jarhead ou encore Kate Winslet dans Les Noces Rebelles) sont des personnages trahis par un système (la mafia), un milieu (l’armée) ou une idéologie (l’« American way of life »). 007 ne déroge pas à la règle puisqu’il met soudain en doute la patronne de ce MI6 dont il fait partie. Mendes greffe aussi à ce récit cette thématique de l’héritage et du conflit générationnel qui transparaissaient dans ses trois premiers films.

De même, le scénariste John Logan poursuit en toute logique en faisant de Bond un héros en disgrâce qui retrouve une rédemption finale l’élevant de nouveau au statut de « figure héroïque ». 007 rejoint ainsi les rangs de Maximus (Russell Crowe) du Gladiator de Ridley Scott, de Nathan Algren (Tom Cruise) dans Le Dernier Samouraï d’Edward Zwick ou encore de Rango dans le film éponyme de Gore Verbinski, tous écrits par Logan. Ce laxisme artistique de la part des producteurs est peut être une bonne chose puisqu’il amène une nouvelle ère pour Bond, peut-être bien plus ambitieuse que les cinquante années précédentes. On se prend à rêver à des combinaisons et à des collaborations autrefois impossibles. Mendes vient d’accomplir un travail assez prodigieux en permettant à un héros du XXème siècle de passer enfin sans risque le cap du XXIème. Et il réalise au passage, et de très loin, le meilleur film de divertissement depuis le dernier long métrage de Brad Bird. James Bond est mort. Vive James Bond.

NOTE :  8,5 / 10

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/46/03/20079575.jpg

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