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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 00:23

Titre original : Extremely Loud and Incredibly Close

Film américain sorti le 29 février 2012

Réalisé par Stephen Daldry

Avec Tom Hanks, Thomas Horn, Sandra Bullock,…

Drame

Oskar Schell, 11 ans, est un jeune New-Yorkais à l'imagination débordante. Un an après la mort de son père dans les attentats du World Trade Center, le "jour le plus noir", selon l'adolescent, il découvre une clé dans les affaires du défunt. Déterminé à maintenir un lien avec l'homme qui lui a appris à surmonter ses plus grandes angoisses, il se met en tête de trouver la serrure qui correspond à la mystérieuse clé. Tandis qu'il sillonne la ville pour résoudre l'énigme, il croise toutes sortes d'individus qui, chacun à leur façon, sont des survivants. Chemin faisant, il découvre aussi des liens insoupçonnés avec son père qui lui manque terriblement et avec sa mère qui semble si loin de lui, mais aussi avec le monde déconcertant et périlleux qui l'entoure...

      

S’il y a bien un sujet sensible aux Etats-Unis, c’est le 11/09. C’est un peu leur « Shoah », leur évènement traumatisant sur lequel repose le tabou de la représentation cinématographique. D’autant plus qu’il est encore très récent ce qui n’arrange pas les choses à ce niveau-là. La première attaque externe sur le territoire des Etats-Unis depuis l’indépendance américaine n’a été traitée au cinéma qu’en filigrane, que de façon détournée et indirecte. Quelques œuvres majeures se sont fait l’écho de ce trauma post 11/09, comme La Guerre des Mondes de Spielberg, mais rares ont été celles qui ont osé montrer l’évènement. Il y a bien le pâlichon World Trade Center d’Oliver Stone, projet audacieux qui n’avait accouché que d’un banal film catastrophe encore plus handicapé par cette idée d’hors champ que La Liste de Schindler. Un résultat peu convaincant car Stone avait été incapable de montrer en quoi l’attentat du WTC était fondamentalement différent et bien plus marquant qu’un simple remake de La Tour Infernale.

Mais le 11 septembre a clairement un potentiel mélodramatique démesuré. Peut-être est-on sur le point de voir se populariser un « genre 11/09 » qui verra de nombreux long-métrage prendre cette toile de fond pour avoir un air « sérieux », faire pleurer le public et pleuvoir les récompenses ; un peu comme les films sur la Shoah, véritablement un genre en soit depuis plusieurs décennies en Europe avant de passer aux Etats-Unis. Peut-être faut-il encore attendre le « grand film » sur le 11/09 avant de voir des œuvres véritablement sérieuses apparaitre enfin sur le sujet, débarrassé de ce fardeau de la représentabilité. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas avec Extrêmement fort et incroyablement près (quel titre pompeux !) que cela va changer. Ici, le 11/09 est la toile de fond de ce drame déjà très lacrymal qui ne va pas hésiter une seule seconde à utiliser ces images de camions de pompiers passant en trombe, de cette pluie de feuilles blanches, de ces panneaux de personnes décédés pour faire jaillir des torrents de larmes chez le spectateur.

Machine lacrymale

Alors autant le dire tout de suite, des larmes, vous risquez d’en verser. Et d’avoir envie de pleurer pendant les trois quarts du film. Le long-métrage de Daldry n’épargne rien et utilise toutes les ficelles imaginables pour que vos yeux soient humides de la première à la dernière minute. Mais attention, vous ne pleurerez pas parce que telle séquence est l’aboutissement émotionnel d’une action ou d’un personnage. Non, vous pleurerez parce qu’on vous l’ordonne à coups de plans de mère/enfant/vieil homme effondré qui s’énerve/déprime/pleure devant ce monde laid/triste/injuste qui se révèlera en fait beau/joyeux/plein d’amours. La recette est éprouvée et Daldry la suit à la lettre. Vos pleurs seront mécaniques et c’est parfois aussi agréable que d’avoir un pistolet sur la tempe pendant qu’on vous ordonne de vider toutes les larmes de votre corps.

Extrêmement fort… est un film beaucoup trop mécanique pour être honnête. Une machine pensée dès le départ comme une œuvre tire-larmes devant faire sensation aux cérémonies de prix. Et pour cela, tout est réuni. Adaptation d’un roman réputé pour être bouleversant ; mise en scène par Stephen Daldry, maitre dans l’art du drame boursouflé et larmoyant à l’intention des oscars comme The Reader ; scénario d’Eli Roth, adepte des formules lacrymales qui ont fait leur preuve comme dans l’excellent Forrest Gump et L’Etrange histoire de Benjamin Button ; casting de stars… Le tout produit par un Scott Rudin qui, depuis No Country for Old Men, a décidé de se spécialiser dans la production de « films à oscars ». Sauf que le long-métrage final ne marche pas vraiment. Cela ne l’a pas empêché de voler une nomination à l’oscar du meilleur film il y a près d’un mois, prenant la place d’œuvres infiniment supérieures comme Drive ou Millenium. Mais il n’y a qu’à voir la réception critique et publique complètement désintéressée qu’il a reçu, au point d’apparaitre aux yeux de tous comme la grosse erreur de casting à la dernière cérémonie des oscars, pour se rendre compte de la limite du procédé.

Le film n’est pas pour autant atroce. Mais comme il est mécanique, il est juste trop classique et prévisible. Il n’y a presqu’aucune surprise au cours du récit. Au point que lorsque le jeune héros déclare avoir réalisé quelque chose au sujet d’un des personnages, le spectateur a déjà réalisé autre chose à son sujet autrement plus crucial depuis déjà dix bonnes minutes. Il faut ajouter à cela l’une des plus barbantes voix off de film depuis plusieurs mois. Elle est abominablement explicative et démonstrative comme pour souligner jusqu’à l’écœurement des détails ou des idées que l’on avait pourtant déjà remarqué par l’image. Un moyen sûrement pour décrire précisément ce que pense l’enfant, chose qu’un livre peut faire de façon plus subtile et efficace. Ici, c’est purement et simplement l’abandon de l’image pour raconter une histoire, alors qu’elle est l’aspect principal d’une adaptation cinématographique, afin de privilégier la parole. Un langage visuel qui est limité à une simple illustration, sans audace ou fulgurance involontaire, du roman.

La clé du bonheur

Le casting de têtes connus n’est pas forcément très judicieux. Si Max von Sidow s’en tire admirablement dans un rôle muet assez touchant, Tom Hanks ressort son jeu de l’adulte aimant et idéaliste. Un rôle qui lui va comme un gant mais qui est tellement évident qu’il symbolise parfaitement l’absence constante de prise d’audace. John Goodman hérite d’un rôle absolument ingrat où il n’a bien que trois lignes de dialogues à dire ; c’est d’ailleurs à se demander ce qui a bien pu le motiver à part un bon chèque. Le bilan pour Sandra Bullock est plus mitigé et il serait malhonnête de dire qu’elle n’arrive pas à rendre attachant son personnage de mère ne parvenant pas à reprendre la place de ce père si formidable dans le cœur de son jeune fils. Ce dernier est interprété avec conviction par Thomas Horn, bien que sa voix off omniprésente le rende un tantinet agaçant et que la psychologie de son personnage est parfois tracée de façon assez aléatoire.

Dans l’ensemble, il n’y a pas grand-chose de véritablement marquant à en retirer. On peut s’émouvoir du parcours de cet enfant cherchant à tous prix à avoir une réponse à la mort « illogique » de son père. Un petit garçon qui devient terriblement angoissé après la disparition de cet être autrefois si protecteur qui l’incitait à aller vers les autres pour ne plus vivre dans la peur. Une quête désespérée où le jeune Oskar Schell devra faire son deuil plutôt que de s’acharner à déterrer des secrets enfouis bien profondément dans le cœur de chaque être (le symbole de la clé n’est évidemment pas un hasard). Sur sa route il ne rencontra que des âmes charitables que l’on aperçoit le temps d’un ou deux plans. Puisque l’on ne nous donne pas les récits annexes que doivent lui raconter ces hommes et femmes réduits à l’état de photographies dans un album souvenir, on est obligé de rester collé au point de vue d’Oskar. Mais l’enquête ne faisant en gros que piétiner, il n’est pas étonnant que l’on finisse par regarder plus que régulièrement sa montre pendant la seconde moitié du long-métrage.

Restent quelques séquences vraiment touchantes comme la dispute entre la mère et son fils qui lui déclare qu’il aurait préféré que ce soit elle qui meurt dans la tour, ou encore cette scène où le mystérieux vieux locataire, devenu muet à cause d’un abominable traumatisme, écoute les six messages qu’a laissé le personnage de Tom Hanks sur un répondeur avant de mourir. La conclusion est elle aussi assez touchante puisque l’on se rend compte que la finalité de cette enquête involontaire est le rapprochement de la mère et du fils qui ne se parlaient plus depuis des mois. Mais fallait-il vraiment en faire autant dans le pathos et l’emphase inutile pour aboutir à une conclusion aussi évidente et « intime » ? Le résultat reste qu’Extrêmement fort… pâtit énormément de cette boursouflure émotionnelle tellement exagérée et répétée qu’elle finit par être artificielle. Un beau ratage donc pour ce qui aurait pu être un beau drame sur l’appréhension de la mort par un jeune enfant bouillonnant de vie.

NOTE :  4  / 10

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 14:56

Titre original : Les Infidèles

Film français sorti le 29 février 2012

Réalisé par Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Emmanuelle Bercot, Fred Cavayé, Michel Hazanavicius, Eric Lartigau et Alexandre Courtès

Avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Guillaume Canet,…

Comédie

L’infidélité masculine et ses nombreuses variations, vues en courts-métrage par sept réalisateurs.

      

Le film aura fait un peu parler de lui avant sa sortie, même si cela n’a pas souvent été en de bons termes. Au départ il a eu cette polémique tellement ringarde qu’elle a même fait pouffer les Américains qui découvraient soudain à quel point ces Français, qui se moquent pourtant souvent du puritanisme outre-Atlantique, étaient en fait de véritables « Mères la Morale » coincées. Une polémique engendrée par une affiche soi-disant choquante pour l’image de la femme, critiquée par des lobbies féministes qui n’ont pas pris le temps d’envisager le fait que cette image rétrograde pouvait avoir été préméditée afin de dévaloriser les deux gus machos et crétins qui posaient au centre de la photographie. Le film risque ensuite dans désarçonner plus d’un parmi ceux qui iront en salles en croyant qu’il s’agit d’une comédie un peu beauf.

Ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’un film est mal vendu, ou assassiné selon l’humeur, surtout depuis quelques années où les équipes marketing révèlent régulièrement une incompétence crasse encore jamais égalée (bonne chance à John Carter, littéralement sabordé et qui pourrait devenir à cause d’une poignée d’imbéciles surpayés et sans talent l’un des plus gros flop de tous les temps). Cette parenthèse étant faite, que peut-on dire du film lui-même ? D’abord qu’il est, d’un strict point de vue formel, une bien belle anomalie dans le paysage dévasté de la « comédie française ». Entre une cinquantaine de productions minables surbudgétées mettant en stars principales des comiques télé tous moins drôles, charismatiques et talentueux les uns que les autres et un Intouchables bien rassurant au succès démesuré et délirant, Les Infidèles apparait même comme l’un des projets français les plus osés de ces dernières années.

La taille ne compte pas

D’abord par sa structure inhabituelle évidemment, le film étant composé de quelques courts-métrages séparés chacun par un petit gag. Peu de lien entre eux apparemment si ce n’est ce fil rouge de « l’infidélité masculine » et la récurrence de ces deux acteurs principaux dans divers rôles. C’est autour de ces deux derniers que le film a pu voir le jour : Gilles Lellouche, acteur au potentiel très variable mais qui s’en tire ici plutôt honorablement, et évidemment Jean Dujardin, tout fraichement oscarisé et l’un des rares Français à être suffisamment bankable pour soutenir des projets parfois extrêmement « casse-gueule » (en plus d’être accessoirement la seule chose vraiment excellente à être passé de la TV au cinéma français au cours de ces dix dernières années).

Et Dujardin a bien l’intention de mettre à profit son immense popularité et les nombreux succès qu’il a à son actif afin de donner naissance à des films ambitieux, de temps en temps clairement imparfaits voire ratés, mais qui ont justement comme mérite d’exister. Quel est le principe des Infidèles ? Raconter en plusieurs petites histoires les différentes facettes de l’adultère chez l’homme. Autant de facettes à explorer dans diverses situations et mises en scène par des réalisateurs ayant des sensibilités bien distinctes. Le résultat est par conséquent un peu bancal, certains segments se révélant bien plus puissants, drôles et émouvants que d’autres.

Les scénettes qui font par exemple offices de séparations entre chaque court sont pour la plupart assez inefficaces. Elles ne servent surtout qu’à bien différencier les quelques récits. On peut aussi regretter un prologue trop tranquille de la part de Fred Cavayé, pour le moment bien plus talentueux lorsqu’il s’agit de filmer l’action plutôt que l’introduire, et le segment mettant en scène Gilles Lellouche en orthodontiste quadragénaire sortant avec une étudiante pour tromper sa vie de couple ennuyeuse. Ce dernier peine à être drôle et Lellouche a clairement du mal avec les moments d’émotions ; d’autant plus qu’il n’est que peu soutenu par un Dujardin en adulescent ringard qui tente maladroitement de se fondre dans le milieu des jeunes pour cacher sa peur du vieillissement et des engagements.

Entre rires et larmes

La surprise de ce long-métrage vient clairement de son aspect dramatique qui avait été complètement occulté par la campagne promotionnelle. Et contrairement à ce que certaines féministes proclamaient sans même avoir vu le long-métrage, Les Infidèles n’est clairement pas un film machiste. On pourrait même dire que la frange du public qui pourrait se sentir le plus insulté par le film est clairement masculine. Néanmoins, il serait réducteur de donner aux Infidèles une vision moraliste et méchante à l’encontre de ces « trompeurs ». Ce multi-film n’est au final pas tant une comédie qu’une analyse étonnamment fine de la vision masculine de la vie de couple et de l’adultère. Qu’est-ce qui peut conduire un homme à aller voir momentanément ailleurs ?

Les réponses sont nombreuses. Dans le prologue, ce sont deux hommes très proches qui y vont de manière compulsive, sans autre raison explicable. Le personnage incarné par Dujardin se demandera si le fait qu’ils ont l’habitude de coucher dans la même pièce avec des partenaires différentes n’est pas le signe d’une homosexualité refoulée. Mais le segment réalisé par Cavayé laisse penser qu’il s’agit du point de vue de ces femmes trompées qui ne voient en leurs maris volages que des « baiseurs compulsifs » et immatures. Le second segment est clairement le meilleur du film car il amène un changement très violent de tonalité. C’est au cours de ce second segment que se révèle véritablement la gravité du sous-texte des Infidèles.

Celui-ci raconte vingt-quatre heures de la vie d’un homme, incarné par Dujardin, qui se retrouve dans un hôtel pour un congrès en tout point inintéressant. La quarantaine bien tassée, il est momentanément loin de sa famille. Mille tentations s’offrent à lui. Sauf qu’il y a un hic : il n’arrive pas à être infidèle. Toutes ses tentatives échouent et les quelques « proies » susceptibles le considérèrent comme un ringard pas drôle (il se fait même voler la vedette par un handicapé bien trop charismatique pour lui). Il finit sa nuit sur une tentative de la dernière chance, complètement désespérée et tellement improbable qu’elle surprend la « tentatrice » elle-même. Ce récit de près d’un quart d’heure est celui qui met le mieux en scène Jean Dujardin, magnifiquement pathétique comme dans les deux OSS 117 de Michel Hazanavicius. Il n’est donc pas surprenant de découvrir que c’est le réalisateur oscarisé qui a signé la réalisation de ce morceau voyant Dujardin enchainer les blagues ratées et les silences douloureux qui vont avec tout en dressant le portrait d’un looser en pleine décadence comme l’était George Valentin dans The Artist. Et après une nuit de vaines tentatives à la débauche, le personnage principal n’a plus qu’à envoyer un message d’amour désabusé à sa femme qu’il a vainement tenté d’oublier pendant quelques heures.

Un gars et des filles

Survient ensuite l’ennuyeux segment avec Gilles Lellouche, plus classique et moins touchant, montrant un quadragénaire au top de sa forme (cool, élégant, friqué) qui fricotte avec une jeunette. Une seconde jeunesse illusoire tant le décalage entre les deux générations est flagrant. Le réveil sera brutal et le héros, comme dans la séquence précédente, reviendra au bercail la queue entre les jambes. Le troisième court-métrage est clairement le plus abouti et le plus marquant. Réalisé par Emmanuelle Bercot, il met en scène un couple à la ville et à l’écran : Jean Dujardin et Alexandra Lamy, qui s’étaient d’ailleurs rencontré sur l’excellente minisérie « Un gars/Une fille » qui les avait révélé tous les deux. Abordant cette fois-ci la forme d’un quasi huis-clos, le segment raconte la dispute d’une nuit entre un mari et sa femme lorsque cette dernière, faisant semblant d’être libérée sur le sujet, amène son mari à confesser une relation extraconjugale.

La discussion ne se déroule pas aussi pacifiquement que prévu, le choc étant évidemment rude et humiliant pour l’autre partenaire. La séquence finit par prendre l’apparence d’un combat de boxe où chaque éclat est entrecoupé par de courtes périodes d’accalmie pendant lesquelles les deux opposants ne cessent de se tourner autour, de se jauger, avant de se débattre à nouveau l’un avec l’autre. La puissance émotionnelle dégagée par les deux comédiens n’est que renforcée par la mise en abime réelle de leur propre couple. Le court-métrage peut alors être perçu comme le simili-remake du Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick qui mettait en scène un véritable couple de l’époque, Tom Cruise et Nicole Kidman. Le film débutait d’ailleurs aussi par la violente révélation d’un adultère qui venait briser en éclat l’image de cette famille moderne parfaite, avant de révéler un certain parallélisme au niveau du comportement (la femme n’est pas moins « coupable » que l’homme).

Si le court-métrage ne reprend pas l’errance nocturne ni l’orgie sectaire du long-métrage de Kubrick, il se conclut sur une scène faisant écho à ce dernier. Après la tempête qui s’est conclue par une étreinte passionnée, le couple se regarde le lendemain matin comme si de rien n’était. Mais ces regards sont lourds par la révélation des secrets quelques heures auparavant. Mais l’enfant à leur côté ignorera peut être à jamais ce qu’il s’est passé sous son toit cette nuit-là. Lui-seul est plus important qu’eux et c’est pourquoi il doit être le plus protégé. Et s’il y a encore un retour à la normalité, celui-ci ne s’est pas fait par le mensonge mais par la vérité et le sexe (renvoyant au mot final de Kidman dans Eyes Wide Shut, disant que la chose la plus capitale pour sauver son couple était de « baiser »). On peut aussi ajouter que le personnage de Dujardin, dans le segment réalisé par Hazanavicius, est une relecture du personnage de Tom Cruise qui errait dépité à la recherche d’une conquête extraconjugale mais échouait à chaque fois à franchir le pas alors qu’il était régulièrement à deux doigts de conclure l’affaire.

Trompeurs malgré eux

Les deux derniers segments seront quant à eux nettement plus légers. Le premier, décalé voire absurde, montre une réunion des « Infidèles anonymes » qui ressemblent plus à un cours à l’école primaire qu’à une cure entre adultes. Les « infidèles », c’est-à-dire ces personnages pris la main dans le sac apparaissant dans les petits gags faisant office d’interludes, sont donc « soignés » par une femme sévère qui agît comme une maîtresse d’école. Mais dénuée de toute empathie. Elle ne recherche pas de cause à leurs attitudes volages et traite ces hommes comme des patients atteints de maladies. Une vision volontairement réductrice car l’on reprend un point de vue féminin qui se fait ici la porte-parole des femmes bafouées. Ici, on ne recherche pas les causes pour « soigner », alors que ce sont de ces dernières que viennent pourtant la « solution » au problème, comme l’a démontré le court précédent.

Les Infidèles s’achève enfin sur un épilogue faisant suite au prologue. Les deux personnages débordant d’appétits sexuels décident de se livrer à une autre sorte de cure qui consiste à avoir des relations extraconjugales à la chaine pour tenter de s’en dégouter et rassasier définitivement cet instinct de « prédateur reproducteur ». Et quoi de mieux que Las Vegas, LA ville moderne de la luxure, du péché et du rêve artificiel ? Une cure efficace mais pas forcément de la façon que l’on croit puisque le film s’achève sur un gag résolveur faisant écho à une remarque du prologue. Un gag à l’image de l’humour du film : libre, un brin provocateur, un peu cru sans pour autant être obscène. Une « comédie » donc bien plus proche de son modèle américain que de la production locale basique produite par TF1 pour passer en première partie de soirée.

Partant du principe que la comédie n’est pas un genre plus minable que les autres et qu’elle peut par conséquent parler de choses sérieuses, Les Infidèles apparait comme le digne héritier de cette décennie qui a vu le triomphe de la bande d’Apatow. Derrière les blagues salaces, graveleuses et immatures (mais souvent réussies) se cache un fond plus sérieux, angoissé et adulte. Une dualité étonnante mais audacieuse qui manque beaucoup à ce cinéma comique français qui délaisse trop l’étape de l’écriture (alors qu’elle est survalorisée pour d’autres genres où elle est justement moins nécessaire) au profit de la redite fatigante des mêmes gags plus drôles du tout et vieux d’un demi-siècle. Rien que pour ça, la sortie des Infidèles est une excellente chose malgré la qualité vacillante de l’ensemble du long-métrage.

NOTE :  6,5 / 10

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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 15:35
http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/88/84/79/20022992.jpg
Titre original : Rundskop
Film belge sorti le 22 février 2012
Réalisé par Michael R. Roskam
Avec Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy,…
Drame, Policier
Jacky est issu d'une importante famille d'agriculteurs et d'engraisseurs du sud du Limbourg. A 33 ans, il apparaît comme un être renfermé et imprévisible, parfois violent… Grâce à sa collaboration avec un vétérinaire corrompu, Jacky s’est forgé une belle place dans le milieu de la mafia des hormones. Alors qu’il est en passe de conclure un marché exclusif avec le plus puissant des trafiquants d'hormones de Flandre occidentale, un agent fédéral est assassiné. C’est le branle-bas de combat parmi les policiers. Les choses se compliquent pour Jacky et tandis que l’étau se resserre autour de lui, tout son passé, et ses lourds secrets, ressurgissent…
      

Depuis près d’un siècle, le « film noir » a connu bien des mutations. Mais il s’est toujours débrouillé pour en garder les principaux codes : gangsters méchants ; truands recherchant une rédemption qui prend souvent l’apparence d’une inéluctable mort violente ; « bons » flics aux méthodes parfois à la limite de ce que la loi autorise ; femme fatale... Il lui arrive cependant de prendre une forme parfois décalée, voire inattendue. C’est le cas avec Bullhead de Michael R. Roskam.

Sa première particularité : il ne se déroule pas dans le Los Angeles des années 30 ou 40 et n’a pas pour cadre les Etats-Unis. Bullhead est un long-métrage profondément marqué par sa nationalité : il est transposé dans la Belgique rurale actuelle. Rien de bien glamour. Autre particularité : cette mafia mise au centre du film n’est pas sicilienne ou russe. Ce n’est pas LA grande mafia. Roskam a décidé de spécifier son film, de le démarquer des autres en prenant pour sujet un groupe de trafiquants qui n’avaient jusque là presque jamais eu les honneurs du grand écran. Et un groupe de trafiquant presque « typique » du « plat pays » : la mafia des hormones. Celle qui joue dans la cour du trafic de substances chimiques visant à fortifier les troupeaux de vaches pour en tirer facilement des morceaux de barbaques de soi-disant premier choix mais qui sont surtout véritablement bon marché.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/11/53/19666380.jpgFilm noir belge

Le film suit Jacky Vanmarsenille, jeune homme à la carrure très impressionnante et aux traits pas vraiment harmonieux. Il est le descend de l’une des familles phares de cette mafia des hormones. Tout se déroule pour le mieux jusqu’à ce qu’un truand qui cherche à faire des affaires avec son groupe ne trouve rien de mieux que de tirer sur la voiture d’un agent de l’ordre et de tuer au passage son conducteur. Le satané véhicule se retrouve donc en des mains diverses qui s’acharnent à le faire passer à un autre qui se décidera peut-être enfin à la cacher définitivement. Manque de pot évidemment, celle-ci va finalement finir par refaire surface et attirer des ennuis à ses propriétaires innocents, les Vanmarsenille. Au prix de leur tranquillité.

La trame est ainsi assez classique : une famille de mafieux jouissant paisiblement de ses actions illégales, est soudainement contrariée par l’arrivée d’un truand amateur et peu fiable qui les entraine dans sa chute et attire l’attention des policiers. L’originalité est qu’elle se déroule en grande partie dans des fermes paumées dans des champs interminables parsemés de temps à autres de quelques villages glauque et sans âme où survivent tant bien que mal quelques bordels. Un « no man’s land » flamand en quelques sortes.

Si le film est assez plaisant à regarder c’est en premier lieu par le décalage permanent qu’il y a entre ces scènes que l’on connait déjà par cœur et ce décor inhabituel. Un décalage renforcé par une poignée de personnages rustiques, parfois assez dingues. On se retrouve alors face à un duo de garagistes crétins, un jeune attardé assez embarrassant (ces scènes sont à deux doigts d’être consternantes), un indic homosexuel qui pète pendant qu’il téléphone… La force et la faiblesse du film réside ici. D’un côté, on peut réellement s’amuser de la peinture absurde, presque vulgaire, de cet univers ; de l’autre, on peut très vite être agacé par ce vernis bien artificiel qui tente de cacher un récit des plus codés. L’appréhension du film dépend véritablement de l’acceptation de ce parti pris initial. On trouvera alors que Bullhead est soit une étonnante relecture comico-tragique du « film noir », soit un long-métrage grossier qui use de séquences parfois outrancières pour susciter le rire ou les larmes.

Entre réalisme et onirisme

On comprend néanmoins rapidement que ce n’est pas l’histoire qui risque d’élever le long-métrage de la moyenne des films de gangsters qui sortent toujours aussi régulièrement. La mise en scène rattrape déjà les nombreuses scories de Bullhead. Elle est précise, assez immersive et dotée, ici et là, de quelques idées assez pertinentes. On peut lui reprocher un aspect trop maîtrisé qui ne correspond pas forcément à la peinture de ce monde, que Roskam veut réaliste. Contrairement à la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn, auquel il fait parfois souvent penser, Bullhead n’a pas ce côté spontané, « pris sur le vif », qui faisait le sel des trois films danois. En fin de compte, il n’y a vraiment que l’excellente séquence de la discothèque qui ressemble pleinement à ce que Refn aurait pu réaliser (avec les mêmes ralentis en prime).

L’influence semble plus française puisqu’elle vient plutôt d’un auteur comme Jacques Audiard. Entre un réalisme parfois cru et un onirisme à la limite du fantastique. Entre film de genre et film d’auteur. Le personnage principal ne déteindrait d’ailleurs pas de sa filmographie ; et comme pour confirmer cette idée, Audiard a fait de l’acteur Matthias Schoenaerts le héros de son prochain long-métrage intitulé De rouille et d’os. C’est grâce à ce dernier que Bullhead se démarque vraiment. D’abord parce que le film marque l’éclosion fulgurante d’un acteur comme on en a rarement vu ces dernières années. De mémoire, on ne pourrait citer comme équivalence que Tom Hardy dans le Bronson de Refn et Tahar Rahim dans Un Prophète de Jacques Audiard (des noms de réalisateurs qui ne tiendraient que du hasard ?)

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/11/53/19666379.jpgLa Bête et la Belle

Matthias Schoenaerts est une masse brute comme on en a rarement vu au cinéma. Magnifié (hypertrophié ?) par la caméra de Roskam, il remplit l’écran de ses muscles démesurés. Dès le départ, Jacky n’est pas caractérisé comme humain. Il est trop énorme, trop « brut de décoffrage ». Rarement un corps n’a paru si vrai, si palpable à l’écran. C’est aussi un personnage bien mystérieux qui semble cacher, derrière son apparence de monstre à la chair gonflée, des blessures immenses. Si son attitude étonne au cours de la première demi-heure, elle s’explique ensuite par la révélation de son trauma. Cette séquence est le test ultime pour savoir si le spectateur est capable de supporter le long-métrage. Si on la trouve outrancière, et elle l’est, et qu’on refuse d’y adhérer, alors il est fort probable que l’on détestera le long-métrage tant la suite prendra cette évènement comme fil rouge. Si l’on arrive à dépasser son côté éminemment absurde et improbable, alors on arrivera à supporter tous le reste de Bullhead.

En évitant de trop en dévoiler, on peut au moins dire que ce traumatisme est déjà d’une violence assez insoutenable. Mais aussi outrancière soit-elle, elle est la source du caractère tragique de son personnage. Un caractère tragique et ironique puisque c’est à cause de cet évènement que Jacky se dope à la testostérone, ce qui lui exacerbe notamment la musculature. Un traitement qui lui donne le surnom de « Bullhead », c’est-à-dire « tête de taureaux », tant son apparence massive le rapproche plus d’un bovidé que d’un hominidé. Pourtant, Jacky n’a justement rien d’un taureau. Triste ironie qui veut qu’il surcompense son déficit de virilité en développant des caractéristiques masculines annexes. Une ironie double qui le voit justement accompagné de ses pairs. Plus bête qu’homme, Jacky souffre de cette mise à l’écart qu’il n’a pas souhaitée et auquel rien ne l’avait prédestiné.

Dans une relecture de la « Belle et la Bête », Jacky tente de chercher refuge chez une femme qu’il a toujours aimé mais qu’il n’ose approcher tant elle est liée à son secret. Une échappatoire illusoire qui lui fait miroiter un temps un bonheur inatteignable. Mais la conclusion ne peut être un « happy end », d’autant plus que l’étau de la police ne cesse de se refermer en parallèle. Confronté à un ami perdu de vue, lui-même lié à cet évènement traumatisant et qui avait refusé de l’aider par peur, Jacky devra essayer de conserver l’unique lien humain qui lui est encore possible. Car la « bête » ne supportera pas d’être éloignée des siens. De ce point de vue là, l’unique scorie vraiment notable est le jeu catastrophique et l’absence totale de charisme de l’actrice interprétant cette « femme fatale inaccessible » et qui rend parfois ridicule la quête éperdue de Jacky tant l’objet de son désire n’a absolument rien de spécial. Mais le final tragique et désespérée du film est au diapason du reste du long-métrage : audacieux ou pathétique. Il est en tout cas en parfaite cohérence avec le parcours de cet homme animal qui voulait désespérément être humain.

NOTE :  6,5 / 10

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 12:25
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Titre original : Chronicle
Film américain sorti le 22 février 2012
Réalisé par Josh Trank
Avec Dane DeHaan, Alex Russell, Michael B. Jordan,…
Drame, Epouvante-horreur, Science-fiction
Après avoir été en contact avec une mystérieuse substance, trois lycéens se découvrent des super-pouvoirs. La chronique de leur vie qu’ils tenaient sur les réseaux sociaux n’a désormais plus rien d’ordinaire. D’abord tentés d’utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour jouer des tours à leurs proches, ils vont vite prendre la mesure de ce qui leur est possible. Leurs fabuleuses aptitudes les entraînent chaque jour un peu plus au-delà de tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Leur sentiment de puissance et d’immortalité va rapidement les pousser à s’interroger sur les limites qu’ils doivent s’imposer. Ou pas…
      

Le mélange était presqu’inévitable. Il est même surprenant qu’il n’ait pas eu lieu plus tôt. Chronicle est ainsi la fusion entre deux genres : le « film de super-héros » et le « found foutage movie ». La première catégorie est allée en décroissant après l’ère glorieuse qui avait vu les sorties de chef d’œuvres comme Spider-man 2, Hellboy, Les Indestructibles et bien évidemment Incassable. Depuis, il n’y a bien eu qu’un The Dark Knight (quoique bien plus proche du film policier), un Kick-Ass et à l’extrême limite le X-men : le commencement pour relever un niveau désespérément consternant.

La seconde catégorie, plus récente, s’est souvent définie comme le filon désespérément opportuniste pour des producteurs assoiffés de pseudo concepts ne coutant qu’une broutille mais rapportant un max. Il n’y avait eu que trois pierres fondamentales à l’élaboration de ce genre. Il y a d’abord eu le célèbre Projet Blair Witch, film qui lança le concept de « documenteur » dans une proportion encore jamais égalée. Un long-métrage fait avec presque rien et où on ne voyait presque rien, mais qui rapporta une somme phénoménale d’argent au point d’en faire l’un des films les plus rentables de tous les temps. La seconde marche fut l’espagnol [Rec], premier et presqu’unique « found footage » à avoir rendu crédible son parti pris de mise en scène et à « empêcher » le spectateur de se poser la question suivante : « pourquoi le protagoniste ne lâche-t-il pas cette satanée caméra ?! ». La troisième étape fut enfin le sud-africain District 9 qui avait eu l’audace payante de passer au cours de l’histoire du faux documentaire « neutre » et à points de vue multiples au film de fiction centré sur un seul personnage.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/40/76/19962703.jpg« Teen movie » super héroïque

Chronicle de Josh Trank peut ainsi apparaitre comme le quatrième pas, cette fois-ci plus théorique, du « found footage » (document retrouvé). Comme dans [Rec], la caméra fait très clairement parti du long-métrage ; elle « participe » à l’action. C’est d’ailleurs sur sa forme que le film de Trank se démarque. Car sa trame est basique au possible. Il n’y a qu’à voir comment les origines des superpouvoirs du trio principal sont expédiées en deux temps et trois mouvements. Le film souffre aussi de quelques problèmes de dialogues ainsi que d’un gros souci au niveau de l’interprétation de certains acteurs (notamment celui qui incarne Andrew et qui n’a clairement pas les épaules assez solides pour la dernière demi-heure).

La caractérisation des personnages est assez sommaire. Il y a Steve, jeune étudiant noir ultra populaire dans son lycée (devinez qui meurt en premier) ; Matt, jeune beau gosse qui a ravalé son arrogance pour devenir un philosophe ; et enfin Andrew. Ce dernier est le centre du film. C’est lui qui tient la caméra donc c’est en grande partie de son point de vue qu’elle est racontée. Andrew n’a vraiment pas de chance dans la vie. Le cadre familial dans lequel il vit n’est pas brillant : sa mère est alitée à cause d’une maladie très grave tandis que son père est devenu un alcoolique violent hanté par un passé de pompier traumatisant (un héros qui a donc mal tourné). Au lycée ce n’est pas vraiment plus glorieux. Andrew est l’archétype du souffre douleur insociable, semblable à un Peter Parker du pauvre. Une fois qu’il a découvert ses pouvoirs, il peut s’en servir de deux manières possibles : faire le bien et s’attirer les faveurs d’une foule qui le conspuait auparavant ; ou bien se venger en profitant de sa toute nouvelle supériorité.

Au départ, Andrew privilégiera évidemment la première option, non sans être aidé par Steve, expert ès en communication. En effet, se mettre derrière sa caméra n’a pas eu de valeur thérapeutique. Les autres le perçoivent comme un « freak » toujours aussi peu enclin à interagir aux autres. La caméra est un « bouclier » qui prend les coups à la place d’Andrew. Filmer le spectacle n’aide pas à se faire aimer par la masse. Il faut « être » le spectacle à filmer. Andrew apparait donc momentanément, aux côtés de Steve, comme un magicien hors pair capable de jouer avec son public (il triche évidemment par ses superpouvoirs qui lui permettent d’accomplir des actes impressionnants). Une séquence où Andrew acquiert une gloire éphémère qui lui donne l’illusion que tout a enfin changé et que tout n’ira que pour le mieux.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/28/55/20002218.jpgJe filme donc je suis

Il est vrai que ces soudains superpouvoirs n’ont pas eu pour effet de le démarquer d’une communauté, comme cela pouvait l’être d’un Superman, d’un Batman, d’un Spider-man ou d’un Hulk. Au contraire, c’est à partir du moment où il devrait être différent de façon efficiente qu’il se rapproche des autres. Auparavant tout seul, il forme désormais un trio où il est au moins mis sur un pied d’égalité avec les deux beaux gosses du lycée. Les meilleures séquences du film sont celles où ils sont en interaction tous les trois et qu’ils découvrent leurs superpouvoirs dans une allégresse assez perceptible. L’un des morceaux les plus savoureux est une partie de football américain dans le ciel qu’il s’amuse à filmer lorsqu’un avion de ligne jaillit soudainement d’un nuage pour leur passer juste au-dessus de la tête. Frissons garantis.

La grande nouveauté de cette mise en scène est de faire participer la caméra. On sent que Trank a rapidement eu envie de se débarrasser de ce côté « found footage », à la fois l’idée qui plombe le film mais qui en fait aussi son originalité. Comment éviter ce côté illisible de la caméra dû au fait que la scène soit toujours prise sur le vif donc sujette aux actions qui interviennent sans prévenir ? En faisant d’Andrew un réalisateur. En plus de se mettre en scène, il essaye d’apporter des effets de style à sa caméra. Et c’est là que réside la très grande idée de Chronicle : la caméra finie par être maniée par les pouvoirs télékinésiques sans cesse améliorés d’Andrew. Peu à peu, Andrew ne montre plus son point de vue : il devient le sujet. Il ne filme plus ; c’est lui qui est filmé.

L’évolution de la mise en scène va en se complexifiant et en s’harmonisant en fonction de l’évolution des superpouvoirs et de leur maîtrise par Andrew. Utilisant au départ des trépieds ou filmant tout à la main, Andrew va lentement stabiliser sa caméra pour lui permettre de tenir toute seule ou bien de s’envoler dans les airs pour accomplir un « impossible » mouvement de grue. Si Chronicle a clairement au départ l’apparence d’un film à petit budget, le long-métrage prend progressivement les apparats d’un blockbuster au fur et à mesure que la mégalomanie d’Andrew se développe. Et Josh Trank de se libérer peu à peu de ce parti pris de mise en scène initial clairement encombrant.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/40/76/19962702.jpgCôté obscur

Le tournant plus sombre s’opère lors de la fête où les étudiants célèbrent la fin de l’année et où Andrew est soudainement propulsé au sommet de sa gloire. Il a enfin dévoilé un talent qui lui vaut l’admiration de ses pairs. Après avoir tant souffert, Andrew cède à ce court rêve illusoire. Le réveil n’en sera que plus violent. Après une ultime désillusion, qui peut paraitre somme toute assez banale mais qui sera surement l’humiliation de trop, le film prend une autre dimension. La caméra s’élève de plus en plus, vole, fait des mouvements circulaires, mais toujours autour d’Andrew.  De plus en plus pour l’iconiser, le rendre majestueux. Ce dernier cède enfin à la violence et à la vengeance qui l’avaient maintes fois tentées auparavant. Chronicle apparait alors comme la version « super-héroïque » du Carrie de Brian de Palma. Mais la vengeance pyrotechnique du héros ne se rapproche pas de l’incendie infernal que la jeune Carrie déclenche pour éliminer tous ceux qui se sont moqués d’elle.  La vengeance d’Andrew ne concerne pas vraiment ceux qui lui ont fait du mal. Il en punira évidemment quelques uns au passage, mais il souhaite poursuivre un dessein bien plus large.

S’inspirant des sentences philosophiques que lui répète le désormais sage Matt, Andrew se voit au final comme le prédateur « alpha ». Celui qui n’est craint par personne. Celui qui n’est autre que l’échelon supérieur de l’évolution destiné à éradiquer la génération précédente. Une crise de mégalomanie qui lui permet de se venger de cette humanité avec laquelle il n’a jamais communiqué et qui n’a jamais voulu de lui. S’il faut chercher une influence, elle est à trouver du côté de la culture japonaise et de son célèbre Akira où un jeune garçon, Tetsuo, se découvrait des pouvoirs télékinésiques et finissait par se venger de ses malheurs en détruisant la ville de Néo-Tokyo. A l’heure où les remakes américains des œuvres précitées sont actuellement en cours de préparation, ils semblent clairement vains face à un Chronicle qui en offre d’originales relectures transposées à l’époque actuelle et à la culture américaine.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/86/28/55/20002211.jpgNémésis

Le dernier quart d’heure laisse néanmoins une drôle d’impression. D’un côté on ne peut qu’être admiratif par les images impressionnantes au vu du budget alloué au long-métrage. Chronicle vire dans une pyrotechnie qui n’a rien à envier aux films de super-héros de ces dernières années, bien avares en grands moments de bravoure. Ici, ça fonce dans tous les sens, les voitures et les bus s’envolent,… Mais c’est à partir de ce moment-là que le « found footage » trouve ses limites. La lisibilité de l’action ne peut plus se permettre un unique point de vue. Trank trouve une idée roublarde mais pertinente au vu du sujet. Dans un monde où l’on ne vit plus que par le biais d’écrans et d’images, Andrew, enfin devenu un surhomme invincible, vole toutes les caméras dans les alentours et les fait tournoyer autour de lui. Andrew est devenu le centre d’attention. Le sujet d’un blockbuster là où il n’était au départ qu’un jeune garçon timide et mal-aimé avec une caméra.

Face à la crise de démence irréversible d’Andrew, Matt va pouvoir au contraire s’imposer comme un héros. Andrew est sa némésis. Si ce dernier a volontairement décidé de couper les ponts avec les humains, Matt a surmonté sa vanité et son arrogance, s’est rapproché des gens (il a une relation avec une jeune fille, dont le rôle futile se limite à justifier un impressionnant plan séquence lors de la scène finale) et cherche à se lancer dans l’humanitaire (prémices de ses futurs bons actions). A l’inverse d’Andrew, il n’aime pas être filmé. Et lorsque ce dernier veut toujours aller plus loin dans l’exploration de ses pouvoirs, Matt est le premier à vouloir établir des règles. Il suit ainsi le parcours exactement inverse d’Andrew.

Chronicle est donc une pertinente relecture d’Akira et du mythe du « surhomme » et, malgré une dernière scène ratée vraiment de mauvais gout et quelques artifices narratifs outranciers visant à en rajouter une couche niveau pathos, il parvient à montrer de façon à peu près cohérente et crédible ce que George Lucas avait été incapable de représenter convenablement en six heures avec sa prélogie Star Wars : le parcours au départ prometteur d’un jeune homme qui finit par céder aux sirènes du mal. Josh Trank reste un talent à confirmer, et cela devra se faire sur un long-métrage plus classique et moins roublard. Mais il est très certainement inutile qu’il s’attèle au reboot des « Quatre Fantastiques » comme les rumeurs le sous-entendent tant il a déjà réussi à en montrer indirectement la substantifique moelle.

NOTE : 6,5  / 10

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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 13:42

Titre original : War Horse

Film américain sorti le 22 février 2012

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Jeremy Irvine, Emily Watson, Peter Mullan,…

Drame, Historique, Guerre

De la magnifique campagne anglaise aux contrées d’une Europe plongée en pleine Première Guerre Mondiale, c’est l’histoire d’une amitié exceptionnelle qui unit un jeune homme, Albert, et le cheval qu’il a dressé, Joey. Séparés aux premières heures du conflit, l’histoire suit l’extraordinaire périple du cheval alors que de son côté Albert va tout faire pour le retrouver. Joey, animal hors du commun, va changer la vie de tous ceux dont il croisera la route : soldats de la cavalerie britannique, combattants allemands, et même un fermier français et sa petite-fille…

      

Steven Spielberg est de nouveau entré dans une phase d’hyperactivité. Après une absence de six années depuis son sublime et ténébreux Munich, qui n’avait vue que la sortie du très embarrassant Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, le plus célèbre des réalisateurs américains actuels est revenu en octobre dernier avec son adaptation très longtemps attendue de la bande dessinée d’Hergé, « Les Aventures de Tintin ». Un film en performance capture dont le tournage avait été réalisé près de trois ans auparavant et qui avait donc permis ensuite à Spielberg d’enchainer une petite année après sur un nouveau projet plus inattendu : l’adaptation de « Cheval de Guerre », roman destiné aux jeunes lecteurs qui avait auparavant été adapté au théâtre avec un succès retentissant.  Un projet à la fois surprenant, Spielberg ayant annoncé le tournage de cette adaptation alors que strictement rien ne l’y avait rattaché auparavant, et évident de part la multiplicité des thèmes communs entre le roman et la filmographie du cinéaste.

Après un tournage de quelques mois, le film fut bouclé en moins d’un an, preuve que le réalisateur pourtant plus tout jeune n’a rien perdu de son énergie. Un tournage d’ailleurs absolument pas médiatique ce qui est assez étonnant quand l’on sait qui est derrière, mais aussi devant, la caméra. Quoi qu’il en soit, le film sort ainsi en France à quelques semaines d’intervalles avec Le Secret de la Licorne (cinq jours seulement d’écart aux Etats-Unis). Un rapprochement assez classique chez Spielberg qui a toujours jonglé entre films « commerciaux » et films plus « sérieux » ; une habitude qui avait vue les sorties concomitantes parfois polémiques de Jurassic Park/La Liste de Schindler, A.I./Minority Report ou de La Guerre des Mondes/Munich. Néanmoins Tintin et Cheval de Guerre ont un léger point commun : il s’agit de deux œuvres récapitulatives, voire théoriques, comme si Spielberg analysait lui-même ce qu’il avait accompli, en faisait la synthèse et essayait de voir s’il pouvait aller encore plus loin.

Les Aventures de Tintin était en effet le prolongement de ses films « roller coster » (montagnes russes) qu’étaient la quadrilogie Indiana Jones, le dyptique Jurassic Park et une œuvre bazar et délirante comme 1941. Avec l’adaptation d’Hergé, Spielberg expérimentait d’un point de vue rythmique et formel pour livrer une aventure qui n’aurait quasiment plus aucun temps mort. Faire de Tintin le « roller coster » ultime en évitant les erreurs qu’il avait pu faire sur ses œuvres précédentes. Enchainer les rebondissements et les séquences de haute voltige tout en limitant le nombre de pauses narratives réglementaires. Un rythme effréné renforcé par la durée limitée du long-métrage et le mouvement perpétuelle d’une caméra virtuelle qui peut aller là où elle veut.

De John Ford à Frank Capra

Cheval de Guerre s’inscrit dans une autre lignée de films parmi lesquels on compte E.T., L’Empire du Soleil, Always, Hook ou encore A.I. Des œuvres qui ont d’abord pour point commun d’être des films encore « grand public » mais qui révèlent souvent un fond plus angoissé et mature. L’autre point commun c’est qu’ils ont tous pour nœud narratif le thème le plus cher de la filmographie de Spielberg, à savoir la perte de l’innocence. Et celle-ci est toujours vue par le regard d’un enfant, y compris dans Always et Hook où les héros étaient des adultes aux comportements immatures. Il en est de même pour Cheval de Guerre, car si le jeune Albert parait beaucoup plus vieux que son âge, ce dernier reste néanmoins en dessous de celui qui l’obligerait de partir à la guerre. Albert rejoint dès le départ les Elliott, Jimmy et David dans la catégorie de l’enfant au cœur pur. Sa caractérisation initiale peut en rebuter certains mais elle va dans ce sens : regard plein d’innocence, air naïf, joyeux,… Un enfant encore protégé de la violence du monde. Et Spielberg de se lancer dans une trame qui serait la version la plus littérale de ce thème qui lui est le plus cher. En effet, quoi de plus naïf qu’une histoire d’amitié entre un jeune garçon et un canasson et quoi de plus horrible que cette guerre qui a détruit toute une génération de jeunes européens ?

Albert vit dans une ferme perdue dans la campagne du Devonshire au début du XXème siècle. Une campagne anglaise filmée par Spielberg comme John Ford aurait mis en scène les grandes plaines américaines. L’ombre du grand maître, qui a toujours planée sur les œuvres de Spielberg, se fait plus forte que jamais. La présence du cheval comme héros, symbole du « western », n’y est probablement pas pour rien. Les vingt premières minutes du long-métrage sont clairement les plus faibles. Mais elles sont aussi nécessaires à la démarche de Spielberg. Il ne manquera à personne qu’elles sont sirupeuses au possible et que le film met un certain temps à démarrer. Que l’esthétique à la fois (trop) flamboyante, pleines de couleurs et de lumières presque non-naturelles rendent ces séquences assez irréelles. A plusieurs reprises on peut même penser que certains plans ont été tournés en studio et que Spielberg ait tenu à conserver cette imagerie artificielle car elle renvoie directement à l’âge d’or hollywoodien. On peut aussi déplorer quelques dialogues trop mièvres, qui émaillent cette introduction mais aussi le long-métrage en général, ainsi qu’un rythme qui faiblit quelques peu à la moitié du long-métrage avant de reprendre une vigueur flamboyante.

Ces vingt premières minutes dégagent une impression de sécurité et paraissent tirées d’un sublime rêve. Une impression rassurante qui se révèlera rapidement fausse. Déjà, quelques signes plus sombres sont perceptibles. Tout n’est pas si rose bonbon dans ce monde. L’approche d’une guerre est fait mention pendant qu’un propriétaire dénué de toute empathie, que l’on croirait tiré d’un film de Capra et qui est incarné par un David Thewlis presque plus méchant que dans Anonymous, rode dans le coin et menace d’expulser la charmante famille du héros. Charmante ? Pas tant que ça. Comme dans tous les films de Spielberg, même si elle a parfois l’apparence rassurante de l’ « American way of life », la famille n’est jamais aussi belle et unie qu’il n’y parait. S’il est évident que la stabilité du couple n’est pas à remettre en question, il y a bien un ver qui se trouve dans la pomme. L’alcool s’y est immiscé depuis quelques années.

Tel père, tel fils

Le père Narracott (un magnifique Peter Mullan au regard abominablement triste) a perdu sa gloire d’antan. Fermier admiré, il a fait la guerre des Boers et est revenu avec plusieurs médailles qu’il a jeté et une jambe abimée. Brisé par la guerre dont il refuse de parler, il boit pour tenter d’oublier la douleur qui meurtrie à la fois sa jambe et son cœur. Impressionné par Joey, le jeune cheval, il ira jusqu’à renchérir à l’extrême pour ne pas lâcher le morceau face à son propriétaire, ce dernier se plaisant à faire perdre le plus d’argent possible au locataire qu’il espère expulser. Le père, entourloupé involontairement, ramène alors le jeune cheval qui n’a rien de la bête de trait dont il avait à l’origine besoin. Ted Narracott est directement caractérisé comme un homme raté qui enchaine les bourdes. Sa femme dira à son arrivée que ce sera au fils de réparer les dégâts causés par le père.

La résolution pourrait donc venir de cette nouvelle génération. De ce jeune homme pas encore corrompu par la guerre et l’alcool. Un être qui ne connait encore que sa ferme et ses alentours verdoyants. Voyant en Joey un petit frère qu’il va éduquer, souvent par mimétisme, Albert essaye alors de prouver à son père qu’il peut se montrer digne de lui. La première séquence cruciale dans Cheval de Guerre est celle du labourage d’un champ. L’affreux propriétaire menace de les virer de ces terres si les trois fermiers ne le payent pas grâce aux revenus d’une récolte d’ici l’automne. N’ayant pas de chevaux de trait adaptés à ce type de labeur, Albert entraine Joey à porter un harnais lui permettant de labourer la terre rocailleuse du terrain. Une mission perdue d’avance tant Joey n’a pas la carrure nécessaire pour ce genre d’effort.

Le jour J, Albert et Joey arrive sur le pré pour commencer à labourer sous les yeux angoissés de ses parents et le regard moqueur du propriétaire. La démonstration frise à la catastrophe, jusqu’à ce qu’arrive la pluie battante et une foule de paysan. On se retrouve soudain dans une séquence digne de Frank Capra où la communauté de fermiers se met à soutenir le petit jeune de leur groupe contre le riche propriétaire « citadin ». Pour la première fois, le décor idyllique perd de sa superbe. Plus de couleur, à part un bleu gris sombre, et le champ verdoyant se transforme en mare de boue sale. Les deux compères arrivent néanmoins à creuser les sillons nécessaires à la plantation grâce à l’eau qui humidifie cette terre si ingrate. Des sillons boueux qui font comme un écho encore lointain aux tranchées qui s’approchent de manière inexorable. Mais l’heure n’est pas encore à la peur. Si l’esthétisme du film a soudain pris un tournant beaucoup moins mièvre, l’histoire laisse encore planer l’espoir et l’optimisme. Albert et Joey ont remporté leur première victoire glorieuse.

Hors champ

Ce n’est que parti remise. D’abord parce que les récoltes ne survivront pas à une autre averse, et surtout parce que cette guerre tant attendue finit enfin par éclater. Ted Narracott, au bord de la faillite, ne voit plus qu’une solution pour sauver sa ferme : vendre Joey à l’armée britannique. La séparation a enfin lieu, obligeant le cheval, puis plus tard Albert, à quitter ce giron si rassurant (une première plus discrète avait déjà vu la séparation du poulain et de sa mère). La longue séquence de préparation de la cavalerie britannique est encore filmée avec des couleurs rassurantes. Si la guerre est là, elle ne se trouve encore que de l’autre côté du bras de mer. L’armée britannique, persuadée de sa supériorité, s’entraine à de grandes manœuvres impressionnantes et glorieuses. Chargeant l’épée à la main, la cavalerie de sa Majesté est trop fière d’elle et de ses traditions pour voir que le monde a changé. La voiture remplace lentement le cheval et le fusil s’est démocratisé.

Ces entrainements orgueilleux voient la rivalité entre deux hauts gradés à deux échelles différentes : le Major Stewart (Cumberbatch dans un rôle trop court) et son cheval noir face au capitaine Nicholls (Tom Hiddleston) et le demi pur-sang Joey qu’il vient d’acquérir. Une rivalité plus proche de l’enfantillage puéril et amusant que de l’aversion profonde ; Joey se liera d’ailleurs beaucoup à ce cheval noir qui le suivra dans ses péripéties. Mais le temps de la seconde séparation approche déjà. Dans un excès d’hubris, la cavalerie charge inconsciemment un camp allemand bien mieux protégé qu’elle ne l’envisageait. Les soldats adverses ont en effet préparé une ligne de mitrailleuses, arme bien plus efficace et sûre que le sabre. Se pose alors un premier problème pour Spielberg ; un problème auquel il avait déjà été confronté dans La Liste de Schindler, son film grand public sur la Shoah (termes pourtant antinomiques). Comment représenter le massacre que subit cette cavalerie alors que celui-ci se déroule dans un « film pour enfants » ?

Le hors champ et la symbolique sont les moyens les plus adéquats pour Spielberg, et le cinéaste livre plusieurs excellents idées poétiques pour symboliser la mort. Car sans pour autant toujours être montrée de façon frontale, la mort est bien présente dans le long-métrage. Ce sont alors des dizaines de chevaux sans cavalier qui passent les lignes ennemis, rendant perceptible le massacre qui se déroule sur le côté du cadre. Spielberg n’hésite pas, par contre, à montrer le résultat de cette bataille : dans un long mouvement de grue assez semblable à l’un des plans mythiques d’Autant en emporte le vent, il révèle l’ampleur du désastre et le nombre incommensurable de soldats et de chevaux tués. Tous envoyés à l’assaut dans un excès d’orgueil qui leur révèle brutalement que cette guerre ne sera en rien comme les précédentes.

L’horreur derrière la colline

Les deux chevaux tombent alors dans le camp ennemi et passeront d’abord aux mains de deux jeunes frères allemands, dont l’aîné tente à tout prix de protéger le plus jeune des horreurs de la guerre au détriment parfois de la volonté de ce dernier qui souhaite grandir, puis d’une jeune française du nom d’Emilie qui vit dans la ferme de son grand-père. On croit un temps que cette parenthèse enchantée est en tout point le parallèle de l’introduction merveilleuse de Cheval de Guerre : retour de la couleur, image d’Epinal, joie de vivre et humour,… Mais les explosions lointaines ne cessent de rappeler que ce petit coin de paradis est en sursis. La jeune fille n’a plus de parents et est malade. Le grand-père lui-même sait qu’il n’en a plus pour longtemps et que la seule chose qui le rend encore heureux est cette jeune fille espiègle et bavarde. Les chevaux sont cependant repris par l’armée allemande lorsque la jeune Emilie chevauche avec l’un d’eux au-delà de la colline près de sa maison (une séquence qui fait écho à La Guerre des Mondes qui montrait que l’horreur se cachait souvent derrière les collines).

Mais il reste encore trois quarts d’heure au film. Et l’ambiance change du tout au tout. La noirceur maintes fois annoncée s’expose désormais avec toute son ampleur. La boue a recouverte les forêts et les prés. Cette boue marron et cette fumée blanche qui s’échappe de chaque explosion ôtent toutes les couleurs de cette France de carte postale. Les deux chevaux, autrefois épargnés, sont forcés de tirer en haut des collines (encore) des canons gigantesques. Les chevaux, autrefois animaux sublimes qui faisaient la fierté de l’armée, ne sont plus que des bêtes de sommes faméliques n’ayant bien que quelques mois à vivre. Joey prendra même volontairement la place de son « compagnon » pour le sauver et tirera le canon dans une escalade christique bouleversante. Une séquence absolument hallucinante tant elle renvoie presque à une imagerie biblique ou à la scène d’un péplum de Cecil B. DeMille. Cette longue montée accentue une tension : vers quoi est dirigé le canon ? Qu’y a-t-il derrière cette colline ? Ce n’est que lors du contre champ final que l’on voit ce qu’il y a de l’autre côté : l’horreur, les tranchées, les explosions, la violence, la mort. Sans aucun masque. Et dans un enchainement presque magique de plans, Spielberg réunit dans un même décor le cheval et son ancien propriétaire.

Les sentiers de la gloire ou les tranchées de la mort ?

A partir de ce moment-là il est beaucoup plus difficile de prendre au sérieux ceux qui clament que Cheval de Guerre est un « film pour enfants ». Au moins peut-on reconnaitre à Spielberg qu’il est bien l’un des rares à pouvoir faire des œuvres pour jeunes aussi dépressives et violentes. Cheval de Guerre reprend alors momentanément le point de vue d’Albert. Celui-ci se retrouve dans la position de son propre père bien des années avant lui. Et il est en train de comprendre pourquoi ce dernier refusait la « fierté » d’avoir fait la guerre et de s’être blessé pour sauver ses camarades. Coincé dans une tranchée boueuse continuellement bombardée et habitée par les rats, Albert essaye tant bien que mal de tenir avec l’un de ses amis du Devonshire. La guerre apparait telle qu’elle est, et non plus comme une aventure héroïque visant à déterminer la valeur d’un homme. La guerre est cruelle, sans pitié et aléatoire. Il suffit d’une seconde pour que cela soit fini.

Une nouvelle influence, aussi assez pessimiste, se fait ressentir à travers ce segment : celle de Stanley Kubrick et de son magnifique Les Sentiers de la Gloire, film qu’adore Spielberg. Les longs travellings au cœur des tranchés puis les mouvements latéraux de caméra lors des batailles renvoient automatiquement à ce chef d’œuvre du film de guerre. Si Spielberg ne fait jamais jaillir le sang, condition « sine qua non » pour éviter une classification R qu’il pourrait parfois être à deux doigts de recevoir, il n’épargne pas la brutalité des évènements. Ainsi, l’assaut britannique qui sort des tranchés ne manquera pas de rappeler le Débarquement ultra violent qu’avait filmé Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan. Pas tant par la façon d’être filmée (le cinéaste évitant la caméra portée) mais par le caractère âpre et extrêmement immersif de la séquence. L’heure n’est plus au lyrisme et on ordonne d’exécuter ceux qui manqueront de courage. Une fois passé de l’autre côté, Albert a définitivement perdu son innocence. Il ira même jusqu’à instinctivement menacer avec son fusil l’ami d’enfance qui le rejoint (refaisant le geste que son père avait fait au début du film).

Spielberg n’épargne rien : les rats, les grenades, le gaz,… Cheval de Guerre est loin d’être le film pour les fillettes rêvant de devenir grandes cavalières. Spielberg le fait croire pendant une demi-heure avant d’amorcer un léger décalage esthétique pendant près d’une heure visant au final à aboutir à des plans que l’on croirait tout droit tiré d’Il faut sauver le soldat Ryan et de La Guerre des Mondes. De l’autre côté des lignes, Joey fait face à une nouvelle séparation déchirante avant de pouvoir enfin se débarrasser temporairement de la main mise des hommes. Et la confrontation inévitable intervient enfin, annoncée déjà par la séquence de la course avec la voiture dans les vingt premières minutes du long-métrage. Coincé dans un cul-de-sac, Joey fait face à l’un de ces nouveaux chars dont l’avancée est inéluctable. Le cheval et la machine de guerre ultime. L’ancien s’apprêtant à se faire littéralement écraser par le moderne. Une scène qui fait un écho évident au final d’Il faut sauver le soldat Ryan où le personnage de Tom Hanks tirait vainement sur un tank monstrueux sur le point de lui rouler dessus. Mais ici, point de bombardier pour arriver en deus ex machina. La survie ne pourra venir que de Joey lui-même et de son courage qui devra lui permettre d’accomplir la dernière chose qu’il avait toujours refusé de faire.

Réunification

Pour la première fois libre depuis sa naissance, Joey s’élancera dans une course éperdue. Sans aucun autre but que de sortir de cet enfer. Une séquence d’une puissance émotionnelle absolument sidérante (et c’est un euphémisme) qui se hisse sans aucun problème comme l’apogée du film mais aussi l’une des plus grandes séquences qu’ait jamais réalisé Spielberg. John Williams, qui signe un score assez entêtant mais bien trop présent, y place rien de moins que le morceau musical le plus épique qu’il ait composé depuis Star Wars : La Revanche des Sith. Le cheval traverse alors au galop un « No Man’s Land » apocalyptique tel un fantôme. Une course désespérée loin de la folie barbare et pyrotechnique des hommes. Joey est comme l’un de ses pigeons voyageurs qu’admirait tant le grand-père d’Emilie : il vole au-dessus d’un pays en guerre, refuse de regarder en bas pour avoir une chance de rentrer chez lui. Mais il se fera piéger par un nouveau grillage : les barbelés.

Alors que tout espoir semble perdu, Spielberg se lance dans la scène suicidaire qu’il affectionne tant. Dans grand nombre de ses films, Spielberg fait toujours une séquence qui va trop loin : les douches dans La Liste de Schindler, le discours final dans Ryan, la réunion dans La Guerre des Mondes, le combat de grues dans Tintin ou encore le massacre des athlètes israéliens monté en parallèle avec l’orgasme du personnage principal dans Munich. Pour Cheval de Guerre cette scène est le sauvetage simultané de Joey par deux soldats appartenant aux camps opposés. Une scène risquée qui pourrait alourdir le film avec une symbolique trop appuyée. Et miracle : Spielberg réussi à l’équilibrer parfaitement, lui donnant le petit côté absurde dont elle avait besoin. A la fois impossible et pourtant tellement évidente.

Les deux soldats pas si différents font ainsi une trêve de quelques minutes avant de se battre à nouveau. Il s’allie dans un même but autour de ce Joey, ni humain, ni cheval, mais symbole. Le « War Horse », après être passé d’une armée à une autre, finit enfin par les réunir au beau milieu de ce paysage désertique. Il n’y a plus de nature ni de soleil. Il n’y a plus qu’une nuit et un brouillard permanent. Un moment de tension survient lorsque les deux soldats se demandent qui va garder l’animal. « On n’a qu’à se battre » déclare le premier tandis que l’autre répondra qu’ils ne vont quand même pas se déclarer la guerre. La conclusion se fera de façon bien plus sensée et pacifique, laissant le hasard, et non les hommes, décider.

Be Brave !

Reste alors la réunion que l’on attend depuis le début du film. Après un effet de suspense un peu facile, elle a enfin lieu. Albert, alors aveugle à cause du gaz, réussi à reconnaitre son fidèle destrier. Alors que son « innocence » transparaissait par son regard bleu, Albert s’en voit désormais privé avec un bandeau sale. Joey lui-même a été abimé par cette guerre. Physiquement d’abord. Mais il a aussi « perdu » ses traces blanches (couleur de la pureté) qu’il avait sur ses pattes et son front à cause de cette boue qui a recouvert son corps. Les deux héros ont fait du chemin et ne sont plus les mêmes. Tout comme tous ceux qu’ils ont rencontré. Tous ont du faire preuve de courage. Mais pas forcément la même forme de courage. C’est clairement le leitmotiv de Cheval de Guerre qui faisait déjà répéter dans la bande annonce le « Soyez courageux ! » de Benedict Cumberbatch.

Chacun y va de sa propre définition. La mère d’Albert lui explique que son père est courageux d’avoir refusé cette médaille et de ne montrer aucune « fierté avoir tué ». Le grand-père d’Emilie, traité de « lâche » par cette dernière, lui expliquera qu’il y a différents types de courage et qu’une créature aussi insignifiante qu’un pigeon voyageur peut faire preuve de bravoure en osant voler au-dessus des explosions et de la mort. Courage aussi dans la cavalerie anglaise qui affronte sabre au poing des ennemis armés de fusil. Courage chez les deux frères allemands, l’un souhaitant aller au combat pour prouver sa valeur et l’autre osant trahir son armée et risquer la mort pour tenir une promesse. Albert accomplira le geste de son père en sauvant des vies, y compris d’un ennemi. Joey enfin, surpassera les épreuves, accomplira des choses qu’aucun cheval comme lui n’aurait accompli et devra oser sauter l’obstacle qu’il a toujours refusé de passer pour recouvrer sa liberté.

Le film ne peut cependant se finir que sur le retour du fils prodigue et la réunion de la cellule familiale si fondamentale dans la culture américaine. C’est aussi le retour de l’influence de Ford, et il est impossible de ne pas croire que l’on s’est soudainement retrouvé dans les années 40-50. Une scène que bon nombre de cyniques pourront décrire comme kitsch et de mauvais gout. Le fait est que si la lumière rouge du crépuscule peut sembler trop surréaliste, elle est encore en cohérence avec le ton final du film (qui s’ouvrait sur une aube rassurante). Les personnages ne sont plus que des ombres émergents devant un ciel rouge et noir infernal. Elles ont été perverties. Albert n’est plus ce jeune garçon naïf. Ses traits se sont durcis. Il est devenu un jeune homme maintenant, mais le prix à payer a été lourd. L’horreur est passée mais elle restera toujours présente dans les êtres qu’elle a marqués. Et de cette ferme si belle il semble ne rester qu’une simple barrière de bois. Le titre du film apparait enfin une seconde fois pour conclure le long-métrage. Mais là où elles étaient au début d’un doré joyeux, les lettres sont désormais rougies par le sang versé.

NOTE : 7,5  / 10

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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 20:16

Titre original : Ghost Rider – Spirit of Vengeance

Film américain sorti le 15 février 2012

Réalisé par Mark Neveldine et Brian Taylor

Avec Nicolas Cage, Ciaran Hinds, Idris Elba,…

Action, Fantastique, Thriller

Danny, jeune garçon porteur d’une prophétie, suscite la convoitise de Roarke, un homme mystérieux possédant de grands pouvoirs. On fait alors appel à Johnny Blaze pour se lancer à la recherche de l’enfant en lui proposant comme récompense de le libérer de son alter ego, le Ghost Rider. Poussé par le désir de lever sa malédiction et celui de sauver le garçon, le Rider parviendra-t-il à s’affranchir de la menace de Roarke ?

      

On peut dire que la société Marvel dispose d’un certain talent quant il s’agit de flinguer littéralement ses super-héros dans des adaptations cinématographiques qui sont souvent au mieux très quelconques. L’homme araignée mis à part, notamment grâce à un très brillant second opus réalisé par Sam Raimi, on ne compte plus le nombre de victimes masquées lors de leurs passages sur grand écran : les Quatre Fantastiques, Hulk, Thor, Daredevil, Elektra, le Punisher… La société s’est depuis lancée dans la production de demi-films visant à l’introduction de divers super-héros célèbres afin de les réunir dans le « grand évènement cinématographique de l’année 2012 pour la communauté geek » qu’est l’adaptation des Avengers. Un gros blockbuster qui semble aligner toutes les tares des films précédents, à savoir être un long-métrage à la mise en scène passe-partout, au casting de stars venant cachetonner, avec quelques blagues ratées visant à mettre en avant un Robert Downey Jr. plus cabot que jamais, tout en étant avare en scènes d’action. Car, à moins que la production ne cache bien son jeu, il semble pour le moment n’y avoir qu’une seule même bataille qui transparait des bandes annonces déjà disponibles sur le net.

Bref, un grand évènement médiatique qui ferait presque oublier l’autre actualité de Marvel cette année : la sortie de Ghost Rider 2. Suite du premier opus de Mark Steven Johnson qui avait été laminé par les critiques et le public, ce Ghost Rider 2 se devait d’être le long-métrage qui rattraperait les errements du film précédent. Challenge normalement assez facile à remporter, pour peu qu’on en fasse au moins le strict minimum syndical. Mais l’annonce de Mark Neveldine et Brian Taylor au poste de metteurs en scène aurait dû mettre la puce à l’oreille quant à la volonté de nivellement par le bas des producteurs. Car si faire mieux était une tache facile, il parait presque plus glorieux et difficile de faire une suite encore plus médiocre que son modèle déjà exécrable.

Régression

Qui sont Mark Neveldine et Brian Taylor ? Les amateurs de péloches très déviantes qui ont pour règle d’or de ne jamais se départir de leur humour pipi/caca, de leur mise en scène incohérente et de la réduction de leur trame à un unique concept, ont forcément entendu parler de ce duo connu pour avoir livré deux maitres étalons du genre avec Hyper Tension 1 et 2. Deux étrons filmiques ayant trouvé des défenseurs sous prétexte que les deux jeunes metteurs en scène seraient des cinéastes anars et punks absolument subversifs qui transformeraient des films de genre bancals en long-métrages bruyants, vulgaires et terriblement régressifs. Mais voilà, à force de ressortir éternellement cette excuse du « 2nd degré » pour dédouaner quelques incompétents d’avoir juste fait n’importe quoi avec leur caméra, les producteurs ont finit par les prendre malheureusement au sérieux.

Si notre génération a déjà eu droit à la promotion de quelques tacherons comme Robert Rodriguez, Zack Snyder, Paul W. S. Anderson ou encore Len Wiseman, qui ont réussis à obtenir la direction de quelques uns des blockbusters les plus friqués de notre époque (Watchmen, Man of Steel, Les Trois Mousquetaires, Die Hard 4, le remake de Total Recall… pour n’en citer que quelques uns), la suivante risque bien de se farcir des Darren Lynn Bousman ou encore des Neveldine/Taylor pour agrémenter ses sorties ciné pendant les étés à venir. C’est ainsi que ces deux derniers ont obtenu le poste de réalisateurs de Ghost Rider 2. Celui-ci est adapté d’une histoire de David S. Goyer, le scénariste qui a bousillé la saga Blade en réalisant un troisième épisode abscons et qui avait bénéficié de l’aide d’un Christopher Nolan pour pouvoir clamer les bons scripts de Batman Begins et The Dark Knight. Partant sur cette base, les deux cinéastes ont alors décidé de faire appel à tout leur talent pour réaliser le meilleur film possible afin de rendre hommage à un personnage héroïque adulé par des centaines de milliers de lecteurs.

En fait, non. Et il ne s’agit même pas de la version officielle qu’aurait donné le studio avant de montrer le film au public. Dès les bandes annonces, on pouvait déjà voir l’orientation qu’avait souhaitée donner l’équipe ; bien que celles-ci ne laissent quand même en rien présager l’étendue incommensurable des dégâts. Vous vouliez plus de noirceur et de profondeur ? Les seules que vous aurez proviennent de la 3D post produite à la va-vite. Vous vouliez plus de courses poursuite ? Les quelques scènes d’action sont illisibles, jamais immersives et jouissives. Seule une petite excitation pourra apparaitre quand la scène finale commencera enfin à pointer le bout de son nez. Alors plus d’humour peut-être ? Même graveleux ? Laissez-tomber, les seuls rires (moqueurs) que vous pourrez avoir ne viendront que de ce long plan grotesque de Nicolas Cage perdant le contrôle de lui-même sur sa moto et du surjeu abominable de Ciaran Hinds. Ce dernier, pourtant merveilleux acteur comme il l’avait déjà prouvé dans le Munich de Spielberg, ferait passer Nicolas Cage pour un enfant de chœur. Pour bien comprendre l’étendue de ce jeu abominablement consternant, il faut l’imaginer en train de singer à l’extrême le Robert de Niro post-année 2000.

Question de degrés

Là, un doute commence à s’installer. Est-ce vraiment du second, voire du trente-sixième degré ? Pour quelles raisons peut-on demander à un acteur comme Hinds de jouer comme « ça » ? Ou pour quelles raisons Hinds a-t-il décidé de jouer comme « ça » ? Dépression ? Désintérêt ? Compréhension du traquenard dans lequel il s’est retrouvé pour payer ses impôts ? Quoi qu’il en soit, la question la plus importante est la suivante : qui est assez tordu pour exhiber aussi fièrement des séquences tellement humiliantes pour un acteur de cette trempe ? La réponse ne peut être que deux gamins complètement décérébrés qui se croient impertinents en faisant n’importe quelle bêtise crasse. Il n’est pas permis de parler de mise en abime ou de méta-texte dans Ghost Rider 2. Non, cette laideur visuelle abominable, ce montage innommable et cette direction d’acteurs inexistante ne peuvent avoir été concertés au préalable dans le soi-disant but de la subversion d’une grosse production.

Quand Brian de Palma utilisait dans Body Double une esthétique tirée de la série Z et du porno 80s (donc dégradante), c’était pour mieux la confronter à l’héritage glorieux et classique d’un Hitchcock qui engendrait un contraste violent inattendu.  Quand William Friedkin exacerbait les tics et codes de cette même décennie (le disco, les jeans moulants, les lunettes de soleil, les postures cools,…) dans son  Police fédérale : Los Angeles, c’était pour mieux scléroser son esthétique kitsch de l’intérieur. Pour révéler derrière les oripeaux d’un « buddy movie » 80s classique, et donc politiquement correct, un long-métrage furieux, violent, fou et cynique. Quand Paul Verhoeven, le maître du second degré, filmait Starship Troopers, a priori l’archétype de l’actionner S.F. pour jeunes américains débiles, c’était pour faire de manière sous jacente la critique du totalitarisme, de l’uniformisation et de la dictature des corps avec l’argent même des gros studios hollywoodiens. Et lorsque ce dernier réalisait le génial Showgirls, que beaucoup considère encore comme un grotesque film vulgaire fait et écrit par des pervers, c’était en fait pour montrer le combat d’une jeune prostituée afin de se libérer de la domination masculine et de la commercialisation du corps féminin en utilisant son sexe comme arme pour devenir au final une « déesse » (le dernier plan montrant l’affiche du « show » dans lequel elle tient la vedette et qui a pour titre : « Goddess »).

Les films précités se sont fait les chantres du mauvais gout et du second degré car il pensait cette esthétique avant même de commencer le tournage. Des films subversifs qui osaient bousiller un film à gros budget en lui conférant des attributs « humiliants » ou condamné par l’opinion majoritaire. Ce n’est pas ce que font Neveldine et Taylor. Leur Ghost Rider 2 n’est pas un pervertissement du film de super-héros pour livrer un long-métrage vulgaire, violent et anarchique tellement vicieux que le MPAA ne s’en serait pas rendu compte et l’aurait malgré tout rendu « tout public » (PG-13). Leur film est bien une insulte, mais ni pour les studios ou l’establishment. La cible n’est autre que le spectateur qui se fait pisser (du feu) à la figure. Un spectateur réduit au niveau d’un porte-monnaie crétin. Après tout, qu’est-ce que l’équipe du film en a affaire de détails aussi insignifiants qu’une histoire, une mise en scène ou des émotions, puisque des spectateurs tomberont malgré tout dans la gueule du loup (parfois consciemment) ?

Vite fait, mal fait

C’est à se demander si toute cette équipe cachetonnait sur ce projet. Nicolas Cage très certainement, mais ce n’est plus une surprise depuis une dizaine d’années. Le directeur de la photographie et le monteur aussi. Par contre le scénariste n’a pas du le faire tout simplement parce qu’il ne devait pas y en avoir eu un. Quant aux réalisateurs, ils semblent surtout avoir été motivés par les cascades qu’ils ont fait eux-mêmes pour filmer les scènes d’actions (pour obtenir au final des images moins immersives que le blockbuster moyen). La trame, basique, se limite à ressortir les coups éculés de la « prophétie » et du « fils du Diable », ce qui permet de faire graviter dans une même séquence un gamin insupportable, une mère gitane qui ressemble à une top model roumaine, un Nicolas Cage en « Terminator du pauvre » cherchant à s’humaniser et à ressembler à une figure paternelle au cours d’une scène affligeante d’ébouriffage de cheveux, ainsi qu’un Idris Elba en moine noir français alcoolique (à sa décharge, il est presque bon).  Le quatuor est poursuivi par le pire méchant de l’histoire des super-héros (une vraie tête à claques dotée d’un pouvoir inutile mais assez révélateur : tout ce qu’il touche devient pourri…) et il croisera aussi un Christophe Lambert toujours aussi peu charismatique dans le rôle d’un moine chauve dont on a dû tatouer à trois reprises le scénario du film sur son visage.

Autre détail pour montrer que l’équipe de tournage n’a même pas pris la peine de camoufler son mépris du public en rendant un minimum crédible son long-métrage ? Pas une seule voiture, à l’exception de celles des protagonistes, ne passent sur les routes. Attention, on parle autant des petits sentiers paumés dans le désert (ce qui semble assez logique) que des autoroutes. L’équipe, qui a tournée en Roumanie pour faire des économies de budget, ne prend même pas la peine de faire illusion en refaisant passer, au cours de différentes scènes, une poignée de voitures qu’ils auraient conservés tout au long du tournage. Elle s’est juste contentée de fermer les routes. A coté de ça, Neveldine/Taylor sabotent les rares moments vraiment délirants de leur script. La scène de la grue enflammée avait un certain potentiel sur le papier mais elle est hachée au montage, trop courte et en grande partie incompréhensible. Autant de « beauferies » et d’incompétences crasses plongent d’ailleurs le spectateur dans une angoisse permanente. Il y a par exemple un suspense insoutenable lorsque le gamin demande au Rider si tout ce que celui-ci « monte » prend feu comme sa moto, y compris un chameau : on se prend à rêver (ou à cauchemarder) si les deux gus vont oser franchir le pas avant le générique de fin et nous montrer le squelette infernal chevauchant un camélidé en flammes.

Alors reconnaissons au moins une chose de bien dans cet abominable long-métrage : il y a une réelle intention d’iconiser le personnage vengeur. Du moins pendant sa toute première apparition, où une série de plans ingénieux permet d’anticiper son arrivée avant de voir sa moto infernale voler au-dessus des méchants que le Rider s’apprête à punir. Les effets spéciaux sont aussi assez réussis et permettent de recréer un Ghost Rider plus convaincant que dans le premier épisode. Hélas, cela ne dure qu’une toute petite minute car, lorsque le Rider se lance dans son massacre sur fond de hard rock (subversif !!!), ce dernier ne peut s’empêcher de prendre des postures cools qui le font plus ressembler à un « kéké » ou à un blaireau qu’à un ange de la mort véritablement classe et effrayant. On peut dans ce cas dire que le personnage numérique adopte de façon pertinente et convaincante le surjeu hystérique de sa doublure réelle, Nicolas Cage.

Le tout est enfin ponctué de quelques séquences animées moches visant à expliquer quelques détails antérieurs à l’histoire. Une idée intéressante mal exploitée, d’autant plus qu’elle est surlignée par une voix off pas convaincue de Cage qui ponctue les images de quelques blagues consternantes sur le téléchargement (on se croirait à la cérémonie des césars). Le dernier grand choc, l’insulte suprême arrive néanmoins après coup, lorsque l’on regarde le budget astronomique que l’on a donné à Neveldine et Taylor pour livrer un produit filmique aussi pauvre, incohérent et grotesque : 75 millions dollars. Six fois ce qu’il a fallu à Refn pour livrer un film d’action iconique du nom de Drive. Huit fois la somme qu’a nécessité le tournage de Chronicle, film de super-héros beaucoup plus riche en « money shot » et en scénario alors qu’il est pourtant écrit et réalisé par un « novice ». A l’heure où de vrais réalisateurs comme Paul Thomas Anderson ou James Gray galèrent pendant des années pour trouver des financements infiniment inférieurs au budget indécent du dernier film de Neveldine/Taylor, il est important de ne pas faire l’impasse ou de balayer d’un revers de la main ce Ghost Rider 2. Car il ne faut pas l’oublier. Et rappeler ainsi aux producteurs d’arrêter de filer un chèque astronomique à des incapables opportunistes.

NOTE :  0,5 / 10

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 14:58

Titre original : The Iron Lady

Film britannique sorti le 15 février 2012

Réalisé par Phyllida Lloyd

Avec Meryl Streep, Jim Broadbent, Susan Brown,…

Biopic, Drame, Historique

Margaret Thatcher, première et unique femme Premier ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990, autrefois capable de diriger le royaume d’une main de fer, vit désormais paisiblement sa retraite imposée à Londres. Agée de plus de 80 ans, elle est rattrapée par les souvenirs. De l’épicerie familiale à l’arrivée au 10 Downing Street, de succès en échecs politiques, de sacrifices consentis en trahisons subies, elle a exercé le pouvoir avec le soutien constant de son mari Denis aujourd’hui disparu, et a réussi à se faire respecter en abolissant toutes les barrières liées à son sexe et à son rang. Entre passé et présent, ce parcours intime est un nouveau combat pour cette femme aussi bien adulée que détestée.

 

      

Toujours aussi à la mode, le biopic sera encore bien présent cette année entre le portrait de J. Edgar Hoover par Clint Eastwood, My Week with Marilyn sur l’icône Monroe et le film Cloclo de Florent Emilio Siri sur le chanteur français des années 70. Un genre qui rapporte souvent son lot de récompenses entre belles reconstitutions historiques, scénarios denses et interprétations « époustouflantes » d’acteurs complètement métamorphosés et habités par ces personnages uniques. De quoi voir apparaitre quelques projets opportunistes comme celui de Mickael Jackson, annoncé quelques mois après sa mort précoce. Le film de Phyllida Lloyd en est un lui-aussi.

La Dame de Fer retrace, comme son titre l’indique, le parcours de Margaret Thatcher, la première femme Premier Ministre en Angleterre. Personnage très controversé, voire même détesté en Angleterre, qui pouvaient néanmoins être le centre d’une œuvre politique passionnante capable de devenir le pendant britannique du Nixon d’Oliver Stone. On peut donc être légitimement ulcéré face au résultat final qui est à plusieurs reprises complètement consternant. Pour être très clair, La Dame de Fer passe par à peu près tous les pièges possibles qui jalonnent la mise en scène d’un biopic. Sans oublier de bien tomber aussi sans vergogne dans plein de nouveaux. Pour en faire au final rien de moins que l’un des pire biopics de ces dernières années ; ce qui n’est pas rien quand on voit parfois le niveau de ce genre de long-métrage que certains cinéastes emploient dans l’idée que le « gros sujet » fera l’illusion et cachera l’artificialité complète de leur œuvre qui tourne à vide.

Prothèses et perruques blondes

Venons-en déjà au premier problème de La Dame de Fer : cela fait mal de le dire mais il s’agit de la multi-oscarisée et récompensée Meryl Streep. Comme un paquet de grands acteurs qui brillaient au cours des années 70 et 80 tels Al Pacino, Robert de Niro ou encore Dustin Hoffman, elle a eu un peu de mal à négocier la fin des années 90. Streep a enchainé depuis quelques projets bancals qui se reposaient souvent sur son propre nom et, n’ayant plus grand-chose à prouver, elle se contentait souvent d’en faire le minimum syndical. Ce qui n’empêchait pas la profession de s’émouvoir assez régulièrement de ses prestations pourtant pas forcément ébouriffantes dans des films assez moyens comme Doute, Julie & Julia, Mamma Mia ! ou encore Lions et Agneaux. Probablement pour rendre son record de nominations définitivement inaccessible au commun des mortels. Mais autant être clair, il s’agit très clairement de l’une des plus atroces interprétations de toute sa carrière ; et pour laquelle Streep est malheureusement couverte de prix.

La réalisatrice Phyllida Lloyd, qui avait déjà à son actif Mamma Mia (excusez du peu…), sort ainsi en grande pompe tous l’attirail nécessaire pour métamorphoser la « Dame Streep » en « Dame de Fer », et cela, à grands coups de dentiers, prothèses et perruques. Si la transformation est plutôt juste lorsque Meryl Streep incarne Thatcher lorsqu’elle briguait le mandat de Premier Ministre (elles ont à peu près le même âge), elle est beaucoup plus laborieuse lorsqu’elle incarne la femme politique à l’heure actuelle, à grand renfort de maquillage et de plâtre qui, au lieu de la vieillir, ne la rend surtout pas humaine. L’effet est aussi désagréable que pour Leonardo DiCaprio dans J. Edgar mais ce dernier compensait cependant par un jeu sobre et était aidé par un scénario assez intelligent et une mise en scène très précise.

Or, ce n’est pas le cas de La Dame de Fer. D’abord parce que la mise en scène est absolument quelconque, ponctuée à plusieurs reprises de quelques effets inutiles et ratés (les plans de travers par exemple). Si l’on ne s’était pas retrouvé dans une salle de cinéma, on aurait cru voir un énième téléfilm politique. Plan-plan, sans audace et dénuée d’une quelconque réflexion de la part de la réalisatrice sur le rapport entre la mise en scène et l’histoire qu’elle adapte. Lloyd prend la position de fade illustratrice dans ce que le sens a de plus péjoratif. Elle lorgne régulièrement vers un symbolisme des plus simplistes pour souligner à quel point Thatcher était différente de la classe politique anglaise contemporaine : gros plan sur ses chaussures à talons perdu au milieu de ses souliers si masculins, plan aérien d’une foule d’hommes en costumes noir où seule une petite robe bleue se démarque,… Thatcher est un être à part, hors du commun, qui brisa le machisme de la vie politique londonienne en imposant son collier de perles.

Le film est ainsi assorti d’un discours féministe assez puant et incongru tant Thatcher n’avait rien d’une féministe. Lloyd la met pourtant en scène comme une battante qui a luttée toute sa vie pour s’imposer dans ce milieu d’hommes, ce qui la rendrait donc qualifiée pour élaborer une stratégie militaire afin de récupérer les îles des Malouines. C’est une précurseur car elle a réussie à devenir la première femme Premier Ministre, et ce, malgré les nombreux bâtons dans les roues placés par ces vieux hommes phallocrates et dépassés. Elle n’est jamais montrée comme une femme froide, cassante et autoritaire. A l’exception d’une scène certes, mais sa colère excessive est alors juste : elle remonte les bretelles à ces ministres masculins qui ne l’aident pas et qui font mal leur boulot. Sinon ? Absolument rien à signaler. Thatcher n’a visiblement pas d’autres défauts que la volonté d’en faire parfois trop pour son peuple et son parcours, qui a pourtant vu la plus longue durée en tant que Premier Ministre anglais de tout le XXème siècle, n’a strictement aucun intérêt selon Lloyd.

Fantômes du passé

Mais pire que d’être un biopic qui ne dit rien de son sujet, survolant encore plus le parcours de son personnage que ne l’avait fait un mois plus tôt Eastwood avec la figure controversée de J. Edgar Hoover, La Dame de Fer est surtout un long-métrage complètement à côté de la plaque et inutile. Car Eastwood avait détourné son sujet pour en faire une histoire d’amour impossible soulignant insidieusement les contradictions dans le comportement et les actions de Hoover, qui se répercutaient ensuite sur le pays tout entier. Or La Dame de Fer passe près de la moitié de sa durée à nous montrer une Margaret Thatcher vieillissante, sombrant dans un Alzheimer qui marque définitivement la fin de son aventure politique. Pour être rattrapée par ses actes passés ? Non, pour voir le fantôme de son mari défunt visiblement très farceur (Jim Broadbent, carrément insupportable).

Là, l’incompréhension guette le spectateur lorsqu’au bout de la vingtième minute la vieille Thatcher, après avoir acheté une brique de lait dehors, cherche une robe pour la soirée avec l’aide de sa fille et refuse de façon répétée à jeter les affaires de son mari dont on apprend finalement, par un « twist » archaïque, que celui-ci est décédé depuis quelques années. Non pas qu’il soit mal de faire un film sur la vieillesse et la maladie de l’oubli, bien que cela ne soit pas ici très intéressant de toute manière. Mais pourquoi prendre une figure réelle aussi importante que Thatcher pour en faire le personnage principale ? Une vieille dame comme les autres, ou du moins fictive, aurait tout aussi bien pu faire l’affaire.

Mais Lloyd se retrouve coincée avec deux sujets complètement différents que rien ne lie. D’un côté, une chronique politique ratée car étant encore plus concise et parfois plus incorrecte qu’une bonne page « Wikipédia » tout en étant compliquée par un montage absurde. De l’autre, une « comédie dramatique » bâclée sur la vieillesse puisque tout ce que Lloyd est capable de tirer d’un tel sujet ce ne sont que quelques gags racoleurs où le mari de Thatcher apparait dans des situations de plus en plus embarrassantes. Pour finir enfin, le film sur Thatcher est loin d’être neutre. Un film partisan n’est, à la limite, pas forcément problématique, bien qu’il soit généralement préférable d’être neutre dans un biopic afin de faire ressortir à la fois les bons et les mauvais côtés du personnage. Ici, c’est une hagiographie aveugle qui glorifie l’action de Thatcher sans avoir aucun recul ou questionnement.

Avec un abject message sous-jacent à peine voilé : vous voulez sortir d’une crise ? Serrez-vous la ceinture et taisez-vous. Les grèves sous Thatcher ? Détail pas important et expédié en une dizaine de plans où les manifestants passent pour des brutes haineuses et grossières. La politique demande de la discipline et des décisions, contrairement à ces hommes incompétents qui se chamaillent constamment dans les assemblées. Thatcher n’est pas vraiment une « Dame de fer » comme le clame le titre (le film ne prend même pas la peine d'expliquer ce surnom), elle est la protectrice du peuple malgré les efforts qu’elle lui demande. Celle qui est allée recouvrir le beurre en plein bombardement allemand au cours de l’une des premières séquences du long-métrage. En cette période de précarité économique et de chaos social à l’échelle mondiale, il faut être d’une bêtise assez rare pour oser réaliser et sortir une œuvre de propagande comme celle-là. Ou au moins pourrait-on avoir la décence, ou l’amabilité, envers ces pauvres spectateurs qui doivent se serrer la ceinture depuis quelques années pour lui donner à voir une œuvre payante un minimum travaillée esthétiquement et narrativement parlant. La Dame de Fer n'est pas le Nixon anglais : c'est la version britannique de l'inepte La Conquête.

NOTE : 2 / 10

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19 février 2012 7 19 /02 /février /2012 14:49

 

Titre original : Tinker, Tailor, Soldier, Spy

Film britannique sorti le 08 février 2012

Réalisé par Thomas Alfredson

Avec Gary Oldman, John Hurt, Tom Hardy…

Espionnage, Thriller

En 1973, la guerre froide empoisonne toujours les relations internationales. Les services secrets britanniques sont, comme ceux des autres pays, en alerte maximum. Suite à une mission ratée en Hongrie, le patron du MI6 se retrouve sur la touche avec son fidèle lieutenant, George Smiley. Pourtant, Smiley est bientôt secrètement réengagé sur l’injonction du gouvernement, qui craint que le service n’ait été infiltré par un agent double soviétique. Epaulé par le jeune agent Peter Guillam, Smiley tente de débusquer la taupe, mais il est bientôt rattrapé par ses anciens liens avec un redoutable espion russe, Karla. Alors que l’identité de la taupe reste une énigme, Ricki Tarr, un agent de terrain en mission d’infiltration en Turquie, tombe amoureux d’une femme mariée, Irina, qui prétend posséder des informations cruciales. Parallèlement, Smiley apprend que son ancien chef a réduit la liste des suspects à cinq noms : l’ambitieux Percy Alleline, Bill Haydon le charmeur, Roy Bland qui, jusqu’ici, a toujours fait preuve de loyauté, le très zélé Toby Esterhase… et Smiley lui-même. Dans un climat de suspicion, de manipulation et de chasse à l’homme, tous se retrouvent à jouer un jeu dangereux qui peut leur coûter la vie et précipiter le monde dans le chaos.

      

Avec Millenium de David Fincher, il s’agissait sans aucun doute du film évènement de ce début d’année 2012. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que La Taupe est l’adaptation cinématographique d’un roman phare d’espionnage écrit par John Le Carré, qui avait été adapté sous le format d’une série télévisée à la fin des années 70. Aussi parce qu’il réunissait rien de moins que l’un des plus beaux castings masculins de toute l’histoire du cinéma et qu’il était dirigé par un réalisateur suédois dont le précédent fait d’arme avait été le meilleur film de vampires de ces dix dernières années. Enfin parce qu’il a été un succès public et critique monstre en Grande Bretagne et qu’il a été à plusieurs reprises nominés dans des catégories prestigieuses aux oscars et aux BAFTAs.

Pourtant sa réception publique en France est nettement plus mitigée, beaucoup de spectateurs arguant que le long-métrage est à la fois obscur, austère et froid. A les entendre, le film serait presqu’au bord d’une certaine forme d’autisme qui l’enfermerait dans une bulle mettant soigneusement à l’écart le public. Etonnant pourtant quand on sait que sa structure en flash back est loin d’être audacieuse, un retour en arrière se faisant dès qu’un personnage pense (toujours annoncé par le gros plan d’un acteur perdu dans ses pensées) ou qu’un témoin raconte un récit. On est par exemple assez loin de la construction narrative abominablement labyrinthique du Prestige de Christopher Nolan, pour prendre un nom adulé au point que la majorité du public fait fi de la complexité de ses œuvres, qui enchainait un triple twist ancré dans des flash back de flash back de flash back.

Film anachronique

Le « problème » vient donc peut-être du rythme assez lent privilégiant longs silences et regards afin de permettre l’instauration d’une ambiance prenante et envoutante. Un rythme qui n’incite probablement pas le spectateur à rester éveillé et actif puisqu’il est à contre courant de la mouvance actuelle des films à gros budget. L’autre raison vient probablement de la base même du parti pris de mise en scène de La Taupe. Bien que le roman fleuve « Tinker Tailor Soldier Spy » (un bien meilleur titre que la traduction française) multiplie les personnages et les fausses pistes, la peinture du monde pour le moins très flou des services secrets n’aidant pas, le film n’excède pas les deux heures. Une gageure assez remarquable tant l’adaptation semble avoir enlevé tous le gras qu’il était possible de retirer et ne parait garder que le strict nécessaire pour faire avancer l’intrigue.

L’autre hérésie cinématographique par rapport à notre époque, en plus de la « lenteur », est donc l’amoindrissement de la quantité de dialogue. Beaucoup de silences et de non dits que viennent normalement pallier l’image et la mise en scène. Et si d’un point de vue personnel cela a admirablement marché (bien que je doive reconnaitre que quelques menus détails m’avaient échappé à la première vision ; mais cela arrive à n’importe quel film « choral »), il semble qu’une bonne partie du public soit passé à côté de ce procédé. Il n’est pas question de condamner le spectateur en le considérant comme un « idiot incapable de rester concentré pendant deux heures ». Mais l’on peut se demander les raisons pour lesquels le public a autant de mal à suivre un film pourtant pas si difficile à comprendre.

Question intéressante et complexe (bien plus que Tinker Tailor…). Il s’agit peut-être d’une habitude perdue du spectateur qui n’arrive plus à comprendre un film majoritairement par le biais d’une image, d’un travelling ou d’un enchainement de plans. A l’heure où de véritables nœuds scénaristiques mal ficelés comme  Sherlock Holmes 2 ou Pirates des Caraïbes 3 font un triomphe à leurs sorties et que l’on érige comme blockbuster de l’année 2011 ce monument d’incohérence scénaristique qu’est La Planète des Singes – les origines, peut-être qu’un film qui mise sur l’intelligence et non la passivité du spectateur est une sorte d’objet anachronique (d’ailleurs il l’est d’un strict point de vue esthétique). Pourtant un film aussi mystérieux et riche d’interprétations comme Inception avait fait la joie des spectateurs qui partaient dans des débats enflammés interminables pour expliquer tel évènement ou tel rebondissement. La clé peut venir de là : Tinker Tailor est un anti James Bond ou Jason Bourne. Il est donc dénué de toute séquence d’action à grand spectacle qui divertirait (dans le sens de faire diversion) le spectateur de ses questionnements.

L’enquête n’est pourtant pas plus compliquée que n’importe quel film d’espionnage « sérieux », à condition que l’on retienne dès le départ le nom des divers protagonistes qui interviendront au cours de l’intrigue. L’exemple flagrant de la passivité du spectateur sont les dix premières minutes qui posent pourtant parfaitement la situation initiale : le chef du « Cirque » (surnom donné au MI6), Control (John Hurt), suspecte l’existence d’une taupe soviétique au sein de son organisation. Il envoie Jim Prideaux (Mark Strong) en Hongrie, en plein bloc de l’Est, dans une mission officieuse qui consiste à prendre contact avec un général russe souhaitant passer à l’Ouest en l’échange de quelques informations. L’opération se révèle être un piège tendu par le KGB et Control se voit retirer le poste de chef du « Cirque » au moment où cette mission non officielle rejaillit sur lui telle une bourde embarrassante. Il quitte par conséquent l’organisation, non sans être accompagné par son fidèle second, George Smiley.

Control et Smiley : le maître et le disciple

Cette séquence muette de la sortie à priori définitive de Control et Smiley de cet immense bâtiment est aussi le moment que choisit Thomas Alfredson pour dérouler son générique de début. Certains spectateurs, peut-être plus fascinés par les noms qui défilent sur un fond musical jazzy absolument savoureux (la BO est clairement l’une des meilleures de ces derniers mois), ne semblent pas avoir remarqués ce qui se passe en arrière plan. Cette séquence permet d’abord la présentation de l’architecture de ce fameux « Cirque », bâtiment dans lequel se déroule près de la moitié du long-métrage. Mais c’est une séquence qui permet  avant tout de présenter les visages des divers protagonistes qui interviendront plus tard dans l’histoire et de montrer leurs positions dans l’échelle du MI6.

Pour cela, faisons d’abord le tour des six hommes qui étaient au départ à la tête du « Cirque ». Il y a Control, homme vieillissant qui veille à son organisation comme s’il s’agissait de son propre enfant. De fait, il s’agit presque de sa création ; une création qu’il défend farouchement au point de mettre en place des opérations officieuses dans le but d’éradiquer une menace intérieur qui tuerait son bébé. Control est un peu le « père » des cinq autres qui se battront indirectement, parfois sans pleinement en avoir conscience, pour obtenir la direction de ce qui leur a été légué. Si le personnage incarné par John Hurt décède dès la dixième minute, il réapparaitra lors de flash back assez réguliers. Comme Harriet Vanger dans Millenium et la mère dans The Descendants, son spectre ne cesse de hanter le « Cirque » et le personnage de George Smiley.

Ce dernier est le héros de Tinker Tailor… . C’est avec lui qu’on suit la progression de l’intrigue. Smiley est un homme éminemment mystérieux (son nom est ironique puisqu'au contraire il ne sourit jamais). Taciturne et mélancolique, c’est un solitaire. Et un observateur comme le laisse supposer aussi ses immenses lunettes à double foyer. Un homme difficile à percer, si bien que l’un des protagonistes demandera à un jeune garçon qui a toute les caractéristiques pour être un futur Smiley de savoir « qui il est vraiment ? ». Derrière ce « masque » figé se cache des blessures. Toutes causées par une femme. Sa femme Ann plus exactement, qui ne cesse de le quitter puis de revenir. Au début du film, Smiley se trouve dans une de ces périodes où il redevient un célibataire à durée indéterminée. Smiley souffre de toute évidence de cette relation car il est bien incapable de tenir rigueur à cette femme volage dont il est éperdument amoureux. C’est en parlant d’elle que Smiley révèle une part d’humanité. Et c’est celle-ci qui pourrait bien être le talon d’Achille de ce personnage impénétrable et diablement intelligent.

Profitant d’une retraite monotone après avoir quitté le « Cirque » par fidélité pour Control, Smiley est rappelé par le sous-secrétaire Lacan. Ce dernier a été contacté par Ricky Tarr (un Tom Hardy toujours aussi charismatique), un agent envoyé à Istanbul pour prendre contact avec un soi-disant diplomate russe souhaitant passer à l’Ouest. Tarr lui a révélé qu’il a appris qu’une taupe se cache actuellement au « Cirque » et que cette information lui vaut d’être pourchassé. La vieille théorie de Control, qui l’avait partagé à Lacan peu avant sa mort, refait ainsi surface. Une théorie que Control étudiait très sérieusement, au point qu’il avait réussi à limiter le champ à cinq suspects, dont Smiley lui-même. Mais celui-ci est désormais dédouané puisqu’il a quitté le MI6 depuis.

Organisation familiale

C’est alors un long jeu du chat et de la souris qui va s’organiser et qui a pour origine les pièces de jeux d’échecs de Control sur lesquels ce dernier avait accroché la photo de chacun des suspects. On retrouve cette idée de la manipulation et la stratégie transposée à l’écran par un jeu d’échecs comme l’avait fait récemment Guy Ritchie dans Sherlock Holmes 2. Reste donc quatre suspects potentiels. Ce quatuor de « jeunes » représente la nouvelle génération qui a directement succédé à Control grâce au désistement de Smiley. Il y a d’abord Percy Alleline (un bien inquiétant Toby Jones), tête de groupe à qui l’on doit la découverte de « Sorcière », un traitre soviétique anonyme dont il est fier et qui lui donne des informations a priori inestimables. Après une enquête concluant sur la fiabilité de cette source mystérieuse, Percy entend appâter les Américains jusque là dubitatifs quant à l’efficacité du « Cirque », surtout depuis l’échec de la mission officieuse en Hongrie. Percy veut leur montrer que le « Cirque » n’est plus « un bateau plein de trous » et, trop gourmand, espère avoir un accès complet aux services secrets américains.

Cette gourmandise l’aveugle cependant. Il écarte de l’organisation tous ceux qui pourraient compromettre l’opération « Sorcière » en établissant des faits condamnateurs. Connie Sachs, femme de l’ancienne génération qui perçoit plus que jamais le « Cirque » comme une famille dont elle serai la mère, est ainsi mise à la porte après avoir découvert que Poliakov n’est pas l’attaché culturel d’une ambassade comme il le prétend mais un militaire déguisé. Qui est ce Poliakov ? Ce n’est autre que le lien entre « Sorcière » et le « Cirque ». Personne n’est à l’abri d’un brusque retournement de situation en sa défaveur, et ce, peu importe son ancienneté. Comme dans le récent La Colline aux Coquelicots, la nouvelle génération s’arrange presque pour faire le ménage et se débarrasser de ses reliques passéistes et encombrantes. Le « Cirque » n’est plus cette « famille » réjouissante où tout le monde fêtait Noël ensemble ; l’immense bâtiment est froid dorénavant. Chaque employé peut-être espionné, condamné et jeté aux oubliettes par un Percy autoritaire dont la soif de pouvoir et de gloire est de plus en plus grande, surtout depuis que son unique contestataire, Control, n’est plus là pour lui remonter les bretelles et suggérer que « Sorcière » est une source bidon des Russes.

Les trois autres sont un peu plus effacés. Il y a Bill Haydon (Colin Firth), pur produit anglais élégant, raffiné et charmeur. Ce dernier détail est important puisque cela l’amène à avoir une relation avec Ann, la femme de Smiley ; ce dernier le découvre lors d’une scène brillante de sobriété et magnifiée par le jeu d’Oldman. Autre détail important, Bill et Jim Prideaux sont les meilleurs amis du monde (ils sont surnommés les « Inséparables » et l’on peut supposer que cela cache une relation bien plus qu’amicale) et il sera par conséquent fortement affecté par l’échec de la mission en Hongrie. Il y a aussi Roy Bland (Ciaran Hinds), personnage plus secondaire qui porte néanmoins un grand intérêt à l’opération « Sorcière ». Il est un peu à Percy Alleline ce que Smiley était à Control. Enfin, il y a Esterhase, recruté dans un musée hongrois par Control lors de l’après-guerre. Son habileté à changer de camp lui permet de ne pas être d’une grande fidélité et il restera bien confortablement à son poste lorsque l’employeur qui l’a sauvé pour l’emmener dans le bloc de l’ouest se retrouve obligé de partir. Il est donc le coupable tout désigné, son nom comporte même phonétiquement le mot « East » (Est en anglais), et bien trop évident.

Nouvelle génération

Pour faire tomber le traitre de la haute sphère, Smiley va donc faire appel à la « strate » inférieure. Il interrogera alors ceux qui font les écoutes (Connie) ou reçoivent les messages. Tous ceux qui n’ont pas accès à ce bureau à carreaux insonorisé et sans fenêtre où les pontes prennent leurs décisions, unique espace vierge et élémentaire du bâtiment qui pourrait s’apparenter au « cerveau » du « Cirque ». L’analogie au corps n’est d’ailleurs pas saugrenue tant l’organisation interne est très stricte et découpée : chaque individu est inclus dans un groupe lui-même bien défini et devant accomplir une tache précise sans se préoccuper des autres. Leur efficacité permette la bonne santé du « Cirque ». Il faut aussi noter un sexisme assez fort, inhérent évidemment à l’époque : les femmes sont pour la plupart réduites aux écoutes ou au transport des documents d’archives (pour le plaisir de tous les messieurs). Les hommes, même les agents les plus insignifiants, peuvent par contre être amené à aller sur le terrain.

L’adjoint le plus important de Smiley s’appelle Peter Guillam (formidable Benedict Cumberbatch qui est en train de se forger une belle petite carrière). C’est lui qui a envoyé Ricky Tarr en Turquie et est donc forcément concerné par l’enquête que mène Smiley. De prime abord, c’est un homme tout à fait normal si l’on se réfère à la société anglaise encore peu ouverte des années 70. Mais une scène apparemment anodine met la puce à l’oreille. Au cours d’une de ses virées dans le « Cirque », il croise une femme qui lui fait très clairement des avances. Mais il parait l’ignorer totalement. Ce n’est que plus tard, de façon très pudique et toujours en privilégiant l’image, que l’on apprend le secret du personnage, son homosexualité, qu’il tente constamment de cacher, particulièrement aux côtés de Bill Haydon où il font semblant de « chasser » les jeunes vierges du « Cirque ». Son couple officieux sera mis à mal avec sa nouvelle mission qui lui vaut d’être désormais épié par ses propres collègues.

Et dans cette grande galerie de personnage il y a enfin Ricky Tarr, un agent envoyé à Istanbul pour une mission qui se révèlera inutile puisqu’il découvrira rapidement que le russe qu’il est sensé approcher n’est qu’un leurre grossier. Mais un évènement inattendu va se produire : la concubine de ce dernier, battue et trompée, va approcher Tarr, avoir une liaison avec lui et lui révéler l’existence d’une taupe dans le « Cirque » (elle n’en dit pas plus pour se garantir un passage à l’ouest). Info qui entraine ensuite la capture de la jeune femme par le KGB, le meurtre sanglant du pseudo transfuge et d’un agent britannique infiltré ainsi que la longue traque à l’encontre de Ricky qui parvient à rejoindre Londres. L’unique condition de la coopération de ce dernier est la garantie de la libération de la jeune femme dont il est tombé amoureux et qu’il souhaite épouser afin de fonder une famille et ne pas finir comme les autres membres du « Cirque ». Si la plupart des « vieux » personnages sont déjà brisés dans Tinker Tailor…, le film montre aussi deux personnages sur le point de rejoindre « l’autre bord ». Deux personnages encore emprunts d’espoir et d’humanité, qui vont la perdre malencontreusement pour devenir à leurs tours des figures errantes et désincarnées.

Fantômes

Car plus qu’un film d’espionnage (les mots « MI6 » et « agent secret » ne sont presque jamais prononcés comme Le Parrain occultait sciemment le mot de « mafia), Tinker Tailor… est un film sur la solitude. Alfredson n’est pas un réalisateur spécifiquement intéressé par le film de genre. Il avait déclaré lors de la promotion de Morse qu’il n’était pas très sensible au film de vampire mais qu’il avait choisi de le réaliser car il était touché par cette incapacité des personnages à communiquer et à vivre avec les autres. Il poursuit ainsi sa réflexion avec ce long-métrage en peignant une galerie de personnages sans attache, perdus dans le brouillard londonien comme autant d’âmes en peine qui ne peuvent établir de liens durable avec les autres car ils vivent dans le monde du secret, du mensonge et de la trahison. Smiley vit seul et abandonné par sa femme ; un échec venant à la fois des propres secrets de celle-ci mais aussi de l’incapacité du héros à communiquer ou d’exprimer un sentiment. Guillam doit cacher sa relation homosexuelle qui, une fois révélée, pourrait faire souffrir les deux conjoints. On se rendra compte sur la fin que les « inséparables » ne l’étaient plus tellement. Et Esterhase vit tout seul dans la crainte d’être renvoyé,  tout en se sentant réellement à l’écart de ces anglo-saxons pur souche, tandis que Ricky Tarr deviendra cet espion abandonné, solitaire et hanté par son passé qu’il craignait de devenir.

L’intrigue passe donc au second plan pour privilégier les affres de ces individus seuls. Gary Oldman a le regard le plus triste au monde et livre une interprétation incroyablement dense et compliquée qui se hisse sans problème parmi les meilleures de sa carrière. Un homme qui cache ses blessures et qui ne les révèlera que sous l’emprise de l’alcool lors d’un monologue absolument fascinant où il raconte, ou refait plutôt, sa vieille rencontre avec Karla, autre fantôme, soviétique cette fois, qui hante le récit et le héros (à noter que l'on ne voit jamais le visage d'Ann comme si elle n'était qu'une ombre à peine identifiable pour Smiley car ne faisant pas directement parti du monde dans lequel il est enfermé). Karla est l’homme qui organise toutes les manigances contre le « Cirque » mais dont on ignore le visage ; idée brillante qui diffère de la série anglaise réalisée à la fin des années 70. Car si à cette époque les camps sont bien discernables en théorie, la pratique révèle que les apparences sont trompeuses et que rien n’est finalement plus difficile à certifier que l’appartenance à un de ces camps. Smiley avait déjà fait ce constat avec Karla en lui avouant que leurs systèmes sont complètement similaires et sans intérêt. L’unique chose à déterminer reste un point de vue personnel, moral et esthétique : lequel de ces deux côtés trouve-t-on le moins laid ? Les deux personnages sont liés malgré leurs camps opposés : Karla a gardé le briquet que Smiley lui avait prêté pendant leur unique rencontre. Un briquet offert par Ann avec l'inscription "All my love" (tout mon amour). Comme si ce Karla avait symboliquement enlevé l'amour entre les deux personnages qui vivent depuis une relation tumultueuse. Le moyen de la réccupérer ne serait-il donc pas de vaincre cet ennemi voleur ?

Il est étonnant de remarquer une critique récurrente sur le manque d’empathie qu’il y aurait dans Tinker Tailor… alors que chaque personnage est montré par le biais de détails ou de petites phrases comme des êtres profondément meurtris. Des hommes réduit à renier ou à cacher leur humanité car elle risque de les trahir à chaque instant. Au point qu’ils finissent par devenir des symboles ou des fonctions que l’on jette sans ménagement lorsque ceux-ci n’accomplissent plus leur tâche ou qu’ils se montrent trop « zélés ». Derrière cette mise en scène précise, au cordeau et follement élégante qui magnifie les visages fermés et les silences évocateurs, se cache en fait un bouillonnement d’émotions contenus qui n’a pas le droit de paraitre. C’est avant tout une histoire de solitude mais c’est aussi un film sur la chute et l'ascension. Des figures tombent de leurs piédestals tout du long de l’enquête, dont Smiley dès le départ, mais toujours au profit d’un autre qui accède alors temporairement au pouvoir.

Et pour bien montrer que Thomas Alfredson s’intéresse plus à ses personnages qu’à son intrigue principale, il utilise le même procédé narratif que Fincher dans Millenium : une fois la révélation faite, le film se termine par une longue séquence qui conclut le problème intime des personnages. Surligné par une musique anachronique assez audacieuse, la version de « La Mer » par Julio Iglesias, et à l’aide d’un montage extrêmement judicieux et elliptique ne montrant parfois une idée que par un unique plan ou travelling, Alfredson nous révèle si ses personnages ont réussi à surpasser leurs conditions d’hommes mélancoliques et brisés par la solitude. Le constat est souvent amer comme l’indique ce parallèle final fait entre une larme lacrymale et une larme de sang. Et tandis qu’une génération s’en va, après la découverte efficiente de la taupe qui confirme l’échec du sauvetage du navire, c’est au tour d’une nouvelle structure de voir le jour. Une restructuration permettant l’élévation d’un homme à la place qui lui était dû dès le départ et qu’il récupère, plus fort que jamais, après une ascension faisant un écho  à ce générique de début qui le montrait descendant les marches puis sortant du bâtiment. Après avoir cette fois fait le chemin inverse (il entre puis monte les marches avant d'atteindre la fameuse antichambre), Smiley, dans un ultime plan d’une force tétanisante, finit par succéder de manière efficiente à son vieux maître. Et Tinker Tailor... de s'imposer immédiatement comme le meilleur film d'espionnage de ces vingt dernières années au côté du Munich de Steven Spielberg, notamment grâce à cette mise en scène parfaite, ce scénario logique et intelligent, ce casting somptueux ou encore cette musique envoutante d'Alberto Iglesias. 

NOTE : 8,5 / 10

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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 12:37

Titre original : African Cats

Film américain sorti le 1 février 2012

Réalisé par Keith Scholey et Alastair Fothergill

Avec la voix de Samuel L. Jackson

Documentaire

En Afrique, au Kenya, dans l’une des régions les plus sauvages du monde, les animaux vivent libres et loin des hommes. Au sud du fleuve qui divise ces magnifiques terres, règne le clan des lions mené par Fang. La lionne Layla y élève la jeune Mara. Entre chasse et liens familiaux puissants, c’est la vie d’une famille qui s’écrit. Au nord du fleuve, le lion Kali et ses quatre fils rêvent d’étendre leur territoire. Bientôt, les eaux seront assez basses pour que les maîtres du nord tentent leur chance au sud. Dans cet environnement où chacun joue sa survie chaque jour, Sita, une splendide femelle guépard, tente d’élever seule ses petits. Au fil des saisons, tous ces destins vont se croiser à travers une histoire qui n’est ni inventée ni mise en scène, mais captée comme jamais auparavant, de sa bouleversante intimité à sa spectaculaire beauté.

      

Une tragédie ne concerne pas uniquement les hommes. Le plus grand des drames se joue dans la Nature. Chaque jour marque une nouvelle aventure pour tous les êtres vivants qui luttent quotidiennement pour leur survie. C’est ce que montrent régulièrement les documentaires animaliers dont il existe deux types. Celui qui est purement scientifique, surlignant d’un commentaire off informatif les quelques images illustratives de leur sujet. Et il y a celui qui aborde une forme plus narrative, qui raconte un récit ayant une visée didactique.

La nouvelle production de la filiale Disneynature aborde cette option en la poussant à son extrême. Les indications scientifiques sont presque réduites à néant. Toute information quant aux comportements des animaux filmés ne passeront que par le biais de l’image. En cela, Félins n’est pas un documentaire. Il n’a pas un caractère éducatif dans le sens où il ne fournit pas une heure et demi d’informations zoologiques. Certes il peut être didactique, mais uniquement par l’intérêt que le spectateur portera à cette histoire, si celle-ci le touche, et aux animaux qu’il y découvrira. Car Félins est avant tout une fiction.

Fiction ou réalité ?

Après quelques documentaires généraux comme Un Jour sur Terre, Disneynature avait lancé une série de projets documentaires se focalisant sur une espèce ou un milieu particulier. Si Océans avait obtenu un très grand succès, Pollen était passé sous les radars. Mais ce dernier portait sur un phénomène peu connu du grand public (la pollinisation) et un sujet peu vendeur (les insectes). C’est donc avec plus d’assurance qu’arrive ce troisième opus qui a, comme vedette principal, deux des plus célèbres animaux. D’autant plus lorsque la génération vers laquelle se dirige le film n’est autre que celle qui a grandie avec une œuvre phare comme Le Roi Lion.

Si le « documentaire » est assez réussi, proposant des images en tout point sublimes et réussissant à captiver le spectateur d’un bout à l’autre, Félins pose la question de la fiction. L’équipe de tournage se vante en effet d’avoir filmée une « histoire vraie » qui se révèlerait aussi émouvante qu’une épopée hollywoodienne pleine d’artifices. Mais si l’on gratte au-delà de l’éternel discours marketing, peut-on vraiment dire que Félins est une œuvre authentique ? Non, évidemment. Car si l’équipe n’a pu commencer le tournage en disposant d’un scénario spécifique qui aurait été presqu’impossible à réaliser, il parait évident qu’elle est partie avec une feuille de route à suivre. D’ailleurs elle a organisé un « casting » d’animaux afin que ceux qu’elle suivrait répondent à certains critères.

Autre limite : le tournage a duré près de deux ans et demi. Or, l’histoire elle-même ne se déroule que pendant quelques mois. Il y a donc forcément manipulation afin de créer l’illusion de la continuité. Il est même probable que certains personnages aient eu différents interprètes, illusion que ne remarquerait pas les néophytes qui composent plus de 99% du public. Comment apparait l’élément fictif ? Lors de la postproduction. D’abord par le biais du montage qui permet de donner sens au récit. L’effet Koulechov, qui avait été si bien explicité par Hitchcock lors d’une interview, n’y est surement pas étranger. Cet effet théorisé par le russe Lev Koulechov consiste à donner une signification différente à une même image en fonction du contexte dans lequel on l’insère. De manière plus générale, une image seule ne véhicule pas forcément de sens, mais dégage une signification lorsqu’elle est « mise en contact » avec d’autres.

Il y a de plus un travail de champ / contre champ qui aurait été impossible lors d’une prise sur le vif (on aurait vu l’équipe filmant le lion de face puis l’équipe le filmant de dos) ainsi que la présence de quelques travellings et mouvements de grue que ne peuvent généralement pas se permettre les documentaires lambdas, faute de préparation ou de moyens. Il y aussi un immense travail sur le son, ce qui montre bien qu’il s’agit de l’un des éléments cinématographiques les plus importants pour raconter une histoire. A moins de disposer de micros ultra perfectionnés, il est peu probable que l’équipe ait par exemple enregistrée le son des pas d’un guépard courant à plusieurs centaines de mètres de leur caméra. Il y a recréation de ce monde afin de le rendre encore plus crédible aux yeux du spectateur. Toujours en lien avec le son, il y a bien évidemment l’utilisation musicale qui intervient afin de surligner certains moments d’émotions ou de tensions. Une musique somme toute très classique qui peine à vraiment élever le long-métrage et se contente de souligner les scènes.

Reines mères

Et l’histoire en elle-même ? Elle est aussi très classique, assez proche de la structure narrative du Roi Lion. D’abord un récit initiatique puisqu’il suit avant tout dans deux histoires parallèles une portée de bébés guépard et une jeune lionne. Deux aventures dont le lien ne se fait malheureusement jamais, comme si l’on assistait à deux films à la fois. D’autant plus qu’elles ne trouvent pas vraiment de résonnance puisqu’elles sont assez différentes. Car si l’histoire se centrant sur les guépards se limite véritablement à un récit initiatique, une lutte permanente pour la survie se greffant à une découverte, en même temps que le spectateur, de cet univers si beau et dangereux ; celle des lions a un sous-texte presque « politique ».

Evidemment, pas dans le sens que l’on croit. Mais l’histoire de ce clan de lions parle de règne, de trahison, de chute et de « conquête ». Cette histoire a ainsi plus d’ampleur que celle des guépards ; une importance qui était déjà souligné dans les affiches où le guépard était représenté en plus petit que le lion qui se taillait la part qui lui était due. Enfin, le documentaire reflète évidemment quelques détails montrant qu’il est bien réalisé sous un grand studio hollywoodien avec une visée tous public. On ne verra donc presque jamais de sang et toutes les morts d’animaux sont pour la plupart soigneusement mises hors champs (par une ellipse ou par un mouvement de caméra qui refuse de montrer ce qu’il doit logiquement se passer lorsqu’un carnivore attrape sa proie). De fait aussi, aucune allusion à la reproduction n’est présente. Enfin, il y a bien évidemment un happy end à la clé avec la résolution du trauma des jeunes guépards qui affrontent des hyènes qui les avaient effrayées au cours d’une nuit lorsqu’ils étaient bébés (et au cours de laquelle ils avaient perdu quelques uns de leurs frères/sœurs) et le retour de la jeune lionne dans la tribu d’où elle avait été chassée.

S’il n’est clairement pas un documentaire majeur, Félins reste une belle histoire pour toute la famille. Un magnifique « livre d'images mouvantes », parfois noyé sous le flot d’une narration off bien trop explicative, mais qui pourra peut-être faire naitre quelques vocations. Une ode à la nature qui évite le message écologique accusateur enfonçant les portes ouvertes afin de privilégier les vertus de la fiction pour la compréhension du monde. Et le générique de fin, par le biais d’un gag amusant qui attribue aux divers animaux présents un poste dans le tournage en fonction de leurs caractéristiques (la girafe est opératrice de grue), ne fait que renforcer cette idée que la Nature fait parfois ses propres films.

NOTE : 6 / 10

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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 12:18

Titre original : Tucker & Dale vs. Evil

Film américano-canadien sorti le 1 février 2012

Réalisé par Eli Craig

Avec Tyler Labine, Alan Tudyk, Katrina Bowden,…

Comédie, Epouvante-horreur

Tucker et Dale sont deux gentils péquenauds venus se ressourcer en forêt. Ils y rencontrent des étudiants venus faire la fête. Suite à un quiproquo entraînant la mort d’un des jeunes, ces derniers pensent que Tucker et Dale sont des serial killers qui veulent leur peau, alors que nos héros pensent que les jeunes font partie d’une secte et qu’ils sont là pour un suicide collectif ! C’est le début d’un gigantesque malentendu dans lequel horreur et hilarité vont se mélanger.

      

Après avoir fait le tour, avec succès, de quelques festivals et après être presque directement sorti en Direct-to-DVD chez nous, le film d’Eli Craig a finalement droit à une sortie en bonne et due forme sur les écrans français, bien qu’il soit depuis quelques temps entièrement disponible sur le net par des voies « non autorisées ». Alors autant profiter de l’expérience en salle pour voir ce long-métrage étonnant, pas avare en défauts certes, mais suffisamment intelligent et bien pensé pour lui laisser une chance ; d’autant plus qu’au niveau « comédie » il sort en même temps que l’ultra-médiatique et pourtant assez consternant La Vérité si je mens 3.

La référence inévitable qui vient immédiatement en tête est le très grand Shaun of the Dead d’Edgar Wright. Tous les deux sont des parodies gores de films d’horreur qui, en reprenant les codes du genre, sont amenées à les redéfinir et à jouer avec. Les deux disposent aussi d’un duo comique assez similaire dont le physique et les interactions font inconsciemment écho. Mais leurs ressemblances s’arrêtent là. D’abord parce que le film d’Edgar Wright est clairement indépassable et que le long-métrage d’Eli Craig ne tient pas vraiment la distance. Tucker & Dale s’épuise effectivement à mis chemin là où un Shaun of the Dead parvenait à garder un rythme parfait tout du long. L’autre grand changement tient d’un point de vue plus culturel : le film de Wright est innervé par un humour anglais tandis que le film de Craig s’inscrit distinctement dans une mythologie américaine.

Retournement parodique

Les « slashers » que parodie Tucker & Dale font partis de la longue liste des films d’horreur U.S. Un groupe de jeunes californiens assez crétins et superficiels partent en camping pendant les vacances d’été, au choix dans le désert texan ou dans une forêt impénétrable au nord du pays. La population des villes rencontre celle de la « campagne ». Le choc entre la civilisation et la nature. Quoiqu’il en soit, ces jeunes gens se retrouvent confrontés à une bande de « bouseux », paysans consanguins plus proche de la bête que de l’humain, qui décide de les trucider afin de satisfaire leurs divers instincts. Une recette utilisée depuis des années, mais qui a eu comme porte-étendards les très célèbres Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper et Délivrance de John Boorman.

L’originalité de Tucker & Dale tient surtout dans son concept de base visant d’abord à inverser le point de vue. Pendant les dix premières minutes, tout est classique. La séquence d’introduction, qui ne servira à rien par la suite, parodie les « documenteurs » popularisés avec [Rec] et Projet Blair Witch. On suit l’éternel bande de décérébrés qui part se faire quelques frissons dans une forêt quelconque. L’unique détail qui peut mettre la puce à l’oreille est cette jeune blonde qui n’aurait rien de bien original si elle ne semblait pas faire preuve d’un minimum d’intelligence et de bons sens (surtout par rapport à ses compagnons de route). Ils rencontrent un duo de « bouseux » tout ce qu’il y a de plus classique dans le genre horrifique : physiques ingrats, chemises de bucheron, hygiènes douteuse, capacités intellectuelles relatives,… Un duo qui fait immédiatement peur aux étudiants.

La grande idée est donc le soudain renversement qui intervient dix minutes après le début du long-métrage. Le spectateur suit ensuite ce duo au départ inquiétant pour découvrir qu’il s’agit de deux très vieux amis, pas forcément gâtés par Mère Nature mais dont les particularités viennent avant d’une certaine naïveté et de leur côté assez « typique ». Loin d’être des idiots, Tucker étant assez raisonnable et Dale étant capable de retenir tout ce qu’il lit, ils apparaissent aussi comme des personnes aimables et serviables. Avec ce contrepoint, le groupe de jeune perd de son charisme. Leur physique de mannequin mis à part, leur psychologie est réduite à crier comme des hystériques et à s’enfermer dans leurs propres convictions et idées préconçues.

L’habit ne fait pas le moine

Comme Woody Allen avec Minuit à Paris et Alexander Payne plus récemment, mais de façon moins aboutie, dans The Descendants, le film d’Eli Craig est une déstructuration du cliché. Si les jeunes prennent peur, c’est qu’ils sont trop abreuvés de films, de fictions et d’images préfabriquées mais qu’ils manquent très cruellement de vécu. Confondant histoire et vie réelle, ils sont à la fois terrifiés de vivre une telle aventure (ils croient que l’une de leurs amies a été kidnappée par deux psychopathes) mais aussi paradoxalement assez excités (particulièrement le chef de bande). Et c’est pour cela qu’ils semblent se jeter si volontairement dans la « gueule du loup », ce qui amènera Tucker et Dale à supposer qu’il s’agit du suicide collectif d’une secte.

 C’est évidemment Allison, pourtant l’archétype de l’étudiante blonde américaine, qui va aller outre ses préjugés. Si elle est au départ effrayée par Dale, qui ne venait pourtant la voir que pour sympathiser après avoir été subjugué par sa beauté, elle va rapidement voir qu’il n’a pas l’air aussi méchant que son apparence le laissait supposer. C’était d’ailleurs elle qui s’était montrée la plus sensée dans la scène d’introduction en voiture. Elle est clairement le personnage référent pour le spectateur. Piégée au départ par les clichés, elle va avoir un mouvement de recul avant de comprendre en quoi son geste était à la fois stupide et déplacé. La caractérisation de ce trio est le point fort du film. C’est ce qui lui permet de se détacher du simple « film concept » ou de la parodie. Comme les films d’Edgar Wright mais aussi les productions de Judd Apatow, Tucker & Dale révèle une vraie profondeur émotionnelle derrière son apparat de fausse comédie  grasse et régressive.

Comme Shaun of the Dead, mais aussi des films comme 40 ans toujours puceau ou SuperGrave, Tucker & Dale parle de maturité. De deux amis qui décident d’arrêter d’agir comme des enfants. Si Tucker y est visiblement arrivé dès le départ, il a même réussi à acquérir une maison et entreprend de la retaper, Dale manque clairement d’assurance et a une certaine tendance à la dévalorisation. Cette dernière intervenant justement parce qu’il est lui-même conscient des clichés à travers lesquels les gens le voient. Tucker se charge donc de l’aider à passer ce cap et, non seulement à faire fi de ce que pensent les autres, mais surtout à leur prouver qu’ils se trompent sur son compte. Cette prise de conscience doit lui permettre de briser le cliché ultime et amener ainsi le « bouseux » à sortir avec la « jolie étudiante blonde ».

Campagnes meurtrières

Le principal rival n’est alors autre que le bellâtre qui fait office de chef de bande. Un jeune homme buté, enfermé dans ses convictions, jubilant à l’idée de se retrouver dans une de ses fameuses histoires horrifiques et de passer pour le héros de service. Par tous les moyens. Y compris les plus contestables. Le renversement est aussi de cet ordre : le psychopathe n’est pas dans le clan qu’on croit. Mais c’est à partir de cette révélation que le film commence à sérieusement patiner. La dernière demi-heure se met à suivre les traces de ses aînés en initiant la confrontation, certes inversée, entre un héros et un psychopathe afin de sauver une pauvre victime.

Il faut aussi ajouter que l’une des révélations de ce dernier tiers annihile quelques peu le message qu’entendait faire passer le film. Le psychopathe l’est parce qu’il a eu une origine de « bouseux » qu’il ignorait. Si elle est cohérente avec la thématique souvent employée de l’héritage ou de la malédiction, qui permettait à certaines séries de films d’horreurs de durer près de huit épisodes, et ce, même si le méchant mourrait à la fin, elle ramène à l’idée que le psychopathe est bien à la base ce campagnard arriéré traumatisé. Il aurait été plus original de garder le fait que ce psychopathe était un jeune éphèbe qui aurait grandi dans une banlieue américaine tranquille.

Et le long-métrage apparait au final comme assez anecdotique car étant tout simplement incapable de dépasser son concept pour en faire autre chose. Et sa structure uniquement fondée sur le quiproquo finit par apparaitre assez redondante et artificielle après une petite heure de film. Mais le film possède malgré tout d’excellentes séquences gore où quelques jeunes se font découper, embrocher ou exploser avec une violence jubilatoire. Autre bon point pour lui, il est assez hilarant malgré sa demi-heure finale poussive. Tucker & Dale est donc loin d’être une œuvre parfaite mais elle est suffisamment honnête et bien écrite pour qu’elle soit pleine de belles promesses concernant son metteur en scène et quelques uns de ses acteurs. Pas marquant mais bien divertissant et bourré de références, Tucker & Dale est idéal pour tous ceux qui veulent voir un film vraiment drôle plutôt que des comédies françaises prémâchées qui squattent pendant des semaines les cinémas du pays.

NOTE : 5,5 / 10

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