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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 14:50

Titre original : Sherlock Holmes - A Game of Shadows

Film américain sorti le 25 janvier 2012

Réalisé par Guy Ritchie

Avec Robert Downey Jr., Jude Law, Noomi Rapace,…

Aventure, Action, Policier

Sherlock Holmes a toujours été réputé pour être l'homme à l'esprit le plus affûté de son époque. Jusqu'au jour où le redoutable professeur James Moriarty, criminel d'une puissance intellectuelle comparable à celle du célèbre détective, fait son entrée en scène. Il a même sans doute un net avantage sur Holmes car il met non seulement son intelligence au service de noirs desseins, mais il est totalement dépourvu de sens moral. Partout dans le monde, la presse s'enflamme : on apprend ainsi qu'en Inde un magnat du coton est ruiné par un scandale, ou qu'en Chine un trafiquant d'opium est décédé, en apparence, d'une overdose, ou encore que des attentats se sont produits à Strasbourg et à Vienne et qu'aux Etats-Unis, un baron de l'acier vient de mourir. Personne ne voit le lien entre ces événements qui semblent sans rapport, hormis le grand Sherlock Holmes qui y discerne la même volonté maléfique de semer la mort et la destruction. Et ces crimes portent tous la marque du sinistre Moriarty. Tandis que leur enquête les mène en France, en Allemagne et en Suisse, Holmes et Watson prennent de plus en plus de risques. Mais Moriarty a systématiquement un coup d'avance et semble tout près d'atteindre son objectif. S'il y parvient, non seulement sa fortune et son pouvoir seront sans limite, mais le cours de l'Histoire pourrait bien en être changé à jamais…

      

S’il y a un personnage qui a connu une magnifique vie après la mort de son auteur, c’est bien le très célèbre détective Sherlock Holmes. Crée par Arthur Conan Doyle en 1887 et apparaissant dans quatre romans et cinquante six nouvelles, il a ensuite été repris un nombre incommensurable de fois dans diverses adaptations audiovisuelles, que ce soit au cinéma ou à la télévision. L’une des plus fameuses reste Le Chien des Baskerville de Terrence Fisher, lui-même adapté de l’une des plus célèbres enquêtes inventées Conan Doyle. Il y a deux ans le réalisateur britannique Guy Ritchie, presque plus connu pour être l’ex de Madonna que pour ses œuvres cinématographiques s’apparentant souvent à de pauvres plagiats des films de Tarantino, entendait dépoussiérer l’icone comme le souhaitait la mode, toujours actuelle, du reboot de toutes les franchises avec plus mais surtout moins de succès.

Le résultat était déconcertant. Se voulant plus proche de l’original en ne gardant du personnage que sont côté excentrique et asocial, bien présent dans les livres mais qui ne constituait pas que ça du personnage, le Sherlock Holmes de Robert Downey Jr. cassait effectivement l’image cliché que l’on se faisait du détective londonien. Mais dans la réalité, Ritchie y ajoutait une couche excessive de scènes d’action grandiloquentes qui ne collait en rien à l’esprit des romans. En fait, ce n’était pas tant un retour aux origines que faisait le cinéaste anglais qu’un remodelage du personnage et de l’univers crée par Conan Doyle pour mieux l’insérer dans le moule du blockbuster contemporain : scénario rachitique, bancal et inutilement compliqué ; omniprésence de CGI ; acteur star qui cabotine et phagocyte l’écran au détriment de la narration et des autres personnages,… La référence qui venait immédiatement à l’esprit, surtout vu le duo outrancier et opposé qui faisait office de héros, était Pirates des Caraïbes, Downey Jr. reprenant le rôle de Depp.

« Elémentaire, cher docteur Watson »

Si le premier se révélait somme toute suffisamment décérébré et inconscient pour être assez jubilatoire, le second pâtit de l’absence d’effet de surprise. La copie est en quelques sortes identique, puisque les mêmes éléments sont repris avec l’unique objectif de les amener encore plus loin. Downey grimace comme jamais, risquant au passage de flinguer une seconde fois sa carrière. Ritchie abuse encore plus de ralentis poseurs et inutiles, met en scène des scènes dont la démence et le mauvais goût les rapprochent de celles filmées par un Michael Bay, utilise un humour encore plus douteux et inefficace tout en essayant de rendre cohérent un scénario qui part dans tous les sens et qui utilise des artifices grossiers pour faire semblant de coller les morceaux,… En gros, Sherlock Holmes 2 s’apparente à un Pirates des Caraïbes 3 qui n’aurait même pas eu l’élémentaire politesse de passer par l’étape une et deux. Au moins ne dure-t-il pas près de deux heures quarante.

Le personnage de Sherlock Holmes ne ressemble plus en rien à ce que l’on connaissait du détective. Au mieux, il ne dispose plus que d’un don d’ubiquité qui lui permet d’anticiper les actions de ses adversaires (à 90% il s’agit de prises de combat) et utilise de temps à autres sa capacité à déceler des détails qui échappent à tous. En gros, Ritchie reprend à outrance les quelques idées de montage qu’il avait employé auparavant ; bien que l’on ait parfois l’impression d’assister à une parodie puisque certains enchainements et zooms ressemblent furieusement aux hilarantes transitions du Shaun of the Dead d’Edgar Wright. Son intelligence se limite ainsi à cela, pendant qu’il échafaude des plans dont la structure, complexifiée à l’extrême, ne semble devoir leur fonctionnement qu’au plus grand des hasards tant il semble incohérent que cet agencement d’actions impossibles puisse avoir sérieusement été prémédité. Downey surligne le tout avec un surjeu hystérique, épuisant et vain, tout en le ponctuant de  gags rarement efficaces et en sortant de sa poche quelques gadgets sagrenus comme une potion qui refait vivre et une cape d'invisibilité qu'il a dû voler à Harry Potter.

Néanmoins la dynamique du couple Holmes/Watson arrive encore à fonctionner, surtout grâce à la sobriété de Jude Law qui agit en un parfait contrepoint. Cet antagonisme alimente encore une fois l’idée d’un couple qui, poussée à l’extrême comme la logique du second opus le veut, finit par sous-entendre très subtilement l’existence d’une possible relation homosexuelle entre les deux partenaires. Par subtilement on entend donc le travestissement de Holmes en femme ou encore les querelles de ce dernier avec sa rivale, la toute récente Madame Watson. Leur enquête permet donc la résolution de ce terrible dilemme : oui, le terrain manque à Watson. Et oui, il ne peut s’empêcher d’éprouver une forme de jubilation chaque fois qu’il se lance sur une enquête avec le si dynamique, stimulant et imprévisible Sherlock Holmes. Mais ce Holmes rejoint la Lisbeth Salander du Millenium de David Fincher : un être insocial avide de se sociabiliser, qui se retrouve perdu lorsque son plus proche ami part tout seul dans sa nouvelle aventure personnelle. Un être d'autant plus seul que l'autre personnage susceptible de lui permettre d'entretenir un "relation" disparait de sa vie dès l'introduction. Holmes est alors perdu au milieu de ce Londres, puis de cette Europe, industrielle et en pleine effervescence. 

Le « Napoléon du crime »

Ce second opus tente aussi d’insérer l’un des personnages les plus importants et aimés de la mythologie « Holmes » malgré le fait qu’il n’apparaisse que dans deux des nouvelles (c’est dire l’impact qu’il a eu sur les lecteurs). Il s’agit évidemment de la némésis du détective britannique, incarné en la personne du professeur James Moriarty. Ange du mal doté d’une intelligence maléfique lui permettant de rivaliser avec l’un des plus ingénieux esprits de son époque, il conçoit des plans en tout point diabolique et complexe qui se déroule avec la précision d’une horloge. Même lorsque l’on croit qu’un détail du plan de Moriarty a échoué, on s’aperçoit que ce dernier avait en fait anticipé cet échec. Impossible donc de voir quand il perd la main, et pendant une bonne partie du long-métrage il ne la perd tout simplement jamais.

Par son côté vengeur, calculateur et dénué d’empathie, ce Moriarty rappelle le personnage ignoble composé par un Philip Seymour Hoffman charismatique dans le Mission Impossible 3 de J.J. Abrams. L’unique grande idée du film est de sous-entendre que ce génie du mal serait inventeur de la guerre industrielle qui frappera quelques années plus tard l’Europe. Moriarty apparait alors comme une araignée dans l’ombre, reliant par sa toile les différents nationalismes et extrémismes pour que les actions des uns en enchainent d’autres chez les seconds. Un enchainement mécanique d’actions apparemment dénuées de liens mais qui profite en fait à la lente mais inéluctable chute de l’Occident dans le chaos.

L’acteur peu connu du grand public, Jared Harris, avait ainsi la lourde tache de succéder à Brad Pitt ou encore Daniel Day Lewis qui avaient un temps été pressentis. C’est clairement lui qui tire le film vers le haut, notamment lors des dix dernières minutes du long-métrage qui voient la confrontation finale lors d’une partie d’échec (symbole facile de deux cerveaux qui s’affrontent, idée maintes fois reprises dont dernièrement, et de manière plus subtile, dans le X-Men - Le commencement de Matthew Vaughn). Pour représenter ces deux esprits en train de se calculer et s’apprêtant à se mettre hors jeu, Ritchie les montre tentant d’anticiper le prochain mouvement de leur adversaire avant de renchérir de nouveau comme s’ils se lisaient dans leurs pensées. Malheureusement cette idée ne va jamais plus loin qu’une simple partie de télépathie. Mais cette scène finale reste assez forte puisqu’elle emprunte à la fin de la célèbre nouvelle « Le Dernier Problème » qui devait voir la mort de Sherlock Holmes lors d’un « duel » avec Moriarty au bord d’une cascade.

La plaie du détail 

Les personnages secondaires n’ont par contre pas le droit au même traitement de faveur. Rachel McAdams est expédiée par une surprise audacieuse dès la dixième minute du long-métrage.  Le frère de Sherlock, Mycroft Holmes, incarné par Stephen Fry, est limité à montrer son attrait pour le nudisme qui donne lieu à une séquence toute sauf hilarante. La voyante gitane incarnée par Noomi Rapace n’est qu’un rôle de faire-valoir féminin ; espérons que son personnage dans Prometheus de Ridley Scott ne sera pas aussi lisse. Quand à Thierry Neuvic, il n’a bien droit qu’à apparaitre dans une pauvre petite scène perdue au milieu du long-métrage.

Le film pâtit enfin d’une direction artistique assez fade. On pense souvent à l’atroce Sweeney Todd de Tim Burton avec ces CGI mal finalisés et ses « matte painting » numériques. Seule une poignée de plans d’ensemble parvient à instaurer une ambiance particulière et à donner un peu d’ampleur à ce blockbuster tourné en majorité dans une rue de studio. La photographie de Philippe Rousselot est particulièrement hideuse puisque complètement terne ; à croire qu’une loi interdit aux films, et particulièrement au blockbuster d’utiliser de la couleur. Aucune scène d’action ne se démarque, bien que la longue séquence du train soit assez jubilatoire sur le moment. Celle, ignominieuse, de la fuite en forêt bombardée enfonce par contre le clou puisqu’on n’avait pas vu aussi laid, frimeur et aussi peu immersif depuis le Sucker Punch de Zack Snyder. Hans Zimmer est quand à lui en mode automatique, replaçant toute les dix minutes le thème musical entrainant qu’il avait élaboré il y a deux ans. On peut néanmoins être agréablement surpris quant à la violence assez inhabituelle pour un film « PG-13 », notamment lors d’une scène de crochet assez inattendue dans ce type de film grand public (cette très sombre séquence doit beaucoup à Jared Harris). A croire qu’avec Mission Impossible 4, lui aussi étonnamment explicite à certains niveaux, les studios ont décidé de lâcher du lest quant à leur habituel politiquement correct qui aseptise les grosses productions.

Mais Sherlock Holmes 2 n’est pas vraiment une mauvaise surprise. La campagne promotionnelle ne mentait pas sur le contenu du long-métrage : une copie identique du précédant et particulièrement de ses défauts. Si le premier épisode pouvait passer pour sympathique avec son côté irresponsable et idiot, le second n’arrive qu’à consterner et à agacer par sa paresse, Ritchie ne faisant que recopier une recette qu’il a parfaitement su établir. Et voilà une nouvelle franchise hollywoodienne qui pourrait bien truster les écrans au cours des années à venir. Mais une franchise qui est déjà complètement à bout de course dès son deuxième opus. Pas sur qu’il soit judicieux de continuer d’animer désespérément ce cadavre désincarné du détective privé de Baker Street pour un troisième épisode, qu’un judicieux plan final laisse intelligemment (mais malheureusement) supposer. Dans tous les cas, il est vivement conseillé de se tourner plutôt vers l’excellente série « Sherlock Holmes », brillante relecture moderne scénarisée entre autres par l’excellent Steven Moffat et réunissant un duo de choc avec Benedict Cumberbatch et Martin Freeman.

NOTE : 3 / 10

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 12:25

Titre original : The Descendants

Film américain sorti le 25 janvier 2012

Réalisé par Alexander Payne

Avec George Clooney, Shailene Woodley, Amara Miller,…

Comédie dramatique

A Hawaii, la vie d’une famille bascule. Parce que sa femme vient d’être hospitalisée suite à un accident de bateau, Matt King tente maladroitement de se rapprocher de ses deux filles, Scottie, une gamine de dix ans vive et précoce, et Alexandra, une adolescente rebelle de dix-sept ans. Il se demande aussi s’il doit vendre les terres familiales, les dernières plages tropicales vierges des îles, héritées de ses ancêtres hawaiiens. Quand Alexandra lui révèle que sa mère avait une liaison, le monde de Matt vacille. Avec ses deux filles, il part à la recherche de l’amant de sa femme. Durant une semaine essentielle, au fil de rencontres tour à tour drôles, perturbantes et révélatrices, il va finalement prendre conscience que sa principale préoccupation est de reconstruire sa vie et sa famille…

      

C’est un des nombreux marronniers en cette période de début d’année. Les innombrables prétendants aux oscars arrivent en masse sur nos écrans, et particulièrement les long-métrages labélisés « cinéma américain indépendant sacré aux festival de Toronto et de Sundance ». Ceux-là peuvent être de bonnes surprises comme le récent Take Shelter de Jeff Nichols a su le prouver. Ceux-là peuvent être aussi d’insupportables œuvres sur pellicule, faussement provocatrices mais véritablement pompeuses et conservatrices (parfois bien plus qu’un bon blockbuster des familles). Prêtes à tout pour obtenir les faveurs d’une critique se complaisant dans les œuvres masochistes, certaines d’entre elles n’hésitent pas à charger la barque pour bien montrer que leurs personnages souffrent et qu’ils n’ont pas de chance. Généralement ça marche plutôt bien, en tout cas suffisamment pour obtenir de gratifiantes nominations aux prix les plus prestigieux au nez et à la barbe de ces vilains gros films de studio.

On retrouve ce genre de productions tout au long des trois premiers mois de l’année en France, parsemant de façon continue le calendrier des sorties, et 2012 n’y échappera pas. On peut par exemple déjà voir se profiler en mars Young Adult, le prochain long-métrage de l’insupportable Jason Reitman. The Descendants a de prime abord toutes ces caractéristiques. Drame intimiste ayant pour sujet la division puis la fusion rassurante d’une cellule familiale, porté par une star dans un rôle « à contre emploi », avec un scénario original et une mise en scène évitant à tout prix le clinquant (l’esbroufe visuelle n’étant de toute façon pas permise au niveau du budget qui lui a été alloué). Et l’accueil dithyrambique qu’il a reçu ne fait que rendre méfiant avant d’entrer en salle : critiques en extase, nominations à tort et à travers… On sent de loin venir « l’attrape-cinéphile indépendant » mais on est malgré tout tenté par ces images étonnantes d’un homme déprimé sur une plage hawaïenne en tout point paradisiaque.

L’illusion du cliché

Soyons clair, The Descendants tombe bien dans quelques pièges devenus des figures classique dans ce genre de film (la scène de la piscine est même assez ridicule à ce niveau-là). Et oui, il a bien un petit côté opportuniste avec son sujet grave traité avec sobriété qui semble supplier qu’on l’acclame. Mais le premier bon point est qu’il n’a pas une morale abjecte comme les films de Reitman. Le film ne s’achève pas sur un message bien rassurant sur l’importance de l’unité de la famille et la nécessité de rentrer dans le rang pour arriver à grandir et à passer les épreuves que l’on a subi pendant le long-métrage. Mais venons-en au début du film. Le synopsis est classique au possible : une mère de famille se retrouve dans un coma dont elle ne reviendra probablement pas après avoir eu un accident de bateau, laissant ainsi un veuf désespéré et largué et deux filles déprimées. Face à l’absence de la mère, le père va donc devoir prendre ses responsabilités et assumer sa position de chef de famille.

Pas facile quand sa famille tient plus de l’illusion du rêve américain qu’autre chose, idéologie dont les cinéastes ont maintes fois montré la vacuité. La vie de Matt King est un mensonge. Son ménage ne se déroulait pas de façon idyllique. Derrière les apparences, le couple ne se parlait plus depuis des mois. Il aura fallu l’accident, pour que ceux-ci se retrouvent physiquement proches. Si la communication ne se fait toujours pas dans les deux sens, l’épouse ne pouvant pas répondre, Matt King lui parle désormais. Plus, probablement, qu’il ne lui a jamais parlé depuis ces dernières années. The Descendants est d’abord un film sur des confrontations : entre Matt King et sa femme ; entre cette dernière et ses deux filles ; entre celles-ci et leur propre père ; entre Matt King et l’amant de sa femme…

Car en plus d’être ébranlé par cet accident, le mariage de Matt est aussi mis à rude épreuve avec la soudaine annonce de l’existence d’une liaison extraconjugale impliquant la victime. Ne pouvant plus obtenir des explications de la part de sa femme, Matt va devoir trouver lui-même des réponses. Qu’est-ce qui a raté à ce point dans ce mariage ? Et connaissait-il vraiment sa propre femme ? Est-elle ingrate ? Ou ne l’a-t-il juste pas aimé comme il l’aurait du ? Alors que cette tragédie venait enfin de le rapprocher de sa femme, Matt King a soudain l’impression de se trouver face à une inconnue. « Qui es-tu ? » lui demandera-t-il dans le vide de cette chambre d’hôpital. Pour le savoir, il lui faut donc retrouver l’autre mystérieux partenaire que ses proches amis, visiblement plus au courant, cherchent à lui cacher.

Les héritiers

En parallèle, il doit affronter la mort inéluctable de sa femme. Plus dur encore, il se doit d’aider ses deux filles, qu’il ne comprend pas plus, à accepter le fait que leur  mère ne reviendra pas. Il l'annonce de manière maladroite et presque lâche à l'aîné (dans sa piscine pour qu'elle n'ait aucune échappatoire émotionnelle), il aura besoin de l'aide d'une psychologue pour la cadette. The Descendants est aussi et surtout un film sur le deuil. La mort est toujours présente, dans chaque scène, même si elle n’est pas toujours directement perceptible. Le film d’Alexander Payne se rapproche d’ailleurs du récent film de David Fincher, Millenium. Les deux long-métrages sont hantés par une femme absente : la jeune disparue Harriet Vanger dans Millenium et la mère alitée à l’hôpital et qui n’en reviendra pas dans The Descendants. Et à la question de la mort vient une autre question inhérente qui est la trace que l’on va laisser sur Terre.

Le titre n’est pas trompeur à ce sujet puisqu’il désigne « les héritiers ». Cela sous-entend donc l’idée de la génération suivante en la personne des deux sœurs. Qu’ont-elles appris de leur mère et que vont-elles bien pouvoir conserver d’elle ? Les deux jeunes filles, même si elles ne semblent pas s’en soucier, sont les descendantes d’une longue et riche famille fermement liée à Hawaii. Celle-ci possède encore un immense territoire toujours inexploité sur l’une de ces îles. L’intrigue annexe du film de Payne concerne la vente de ce bout de terre hawaiienne alors que l’échéance où celle-ci leur échappera légalement se profile dans les années à venir. Le personnage dépositaire de George Clooney a une absolue autorité concernant ce qu’il en fera mais il doit néanmoins discuter de la marche à suivre avec les autres « descendants » de la famille qui verraient d’un très bon œil l’immense somme que la vente devrait leur rapporter. Mais ne serait-ce pas renoncer à son passé et à son identité que de vendre au plus offrant l’un de ses héritages les plus précieux sans même songer à se battre pour le conserver ?

Matt King doit donc à la fois renouer avec ses racines (la terre de sa famille) et ses "fruits" avec ses deux enfants. Ce dilemme sur l'héritage taraude Matt King jusqu’à ce qu’une heureuse et très facile coïncidence (l’un des gros points faibles du scénario) lui donne définitivement la solution. En effet, l’acheteur hawaiien privilégié pour reprendre cette terre et l’exploiter entend bien le léguer à son beau-frère travaillant dans l’immobilier et qui en sera l’heureux bénéficiaire avec sa femme. Or ce dernier est évidemment l’amant tant recherché par Matt King (qui réussit cependant à dégager une complexité derrière son air assez niais et simplet). L’issue de l’intrigue est donc rapidement évidente dès lors que cette information tombe enfin dans l’oreille du public, soit un tiers avant la fin du long-métrage. C’est d’autant plus dommage qu’elle révèle le caractère légèrement artificiel d’un script qui avait réussi à faire naitre les émotions des personnages de façon plutôt naturelle.

Paradis infernal… ou enfer paradisiaque ?

L’autre regret relève plus de l’ordre esthétique et du parti pris. Payne l’annonce immédiatement : ce n’est pas parce que l’on est à Hawaii que la vie est meilleure et plus idyllique. L’idée est ainsi de montrer un décalage entre les paysages somptueux et la vie de carte postale que l’on mènerait à Hawaii selon les clichés inconscients en les opposant violemment à la complexité de cette vie de famille éprouvante. Mais Payne préfère aborder cela d’une autre façon. Il brise ces « clichés » en filmant Hawaii comme une région comme les autres, avec ses bidonvilles, ses sans-abris, ses autoroutes encombrées, ses gratte-ciels impersonnels et cette banlieue faussement tranquille et joyeuse.

Effectivement, cela marche bien sur le premier quart d’heure qui dépeint un Hawaii comme on n’a pas l’habitude de le voir : comme ses habitants et non comme des touristes. Mais très rapidement le parti-pris montre ses limites. Il aurait en effet été plus intelligent de jouer complètement sur ses clichés, comme l’avait récemment fait Woody Allen dans Minuit à Paris, afin de livrer un drame complètement décalé. Un drame où le propos foncièrement dépressif et larmoyant contrasterait constamment avec un visuel enjoué et paradisiaque. En transformant son « décor de rêve » en un lieu comme les autres, Payne transforme un peu son film en un drame comme les autres, puisqu’il serait tourné ailleurs que l’on n’y verrait presque jamais la différence. Seuls quelques détails viennent marquer cette opposition comme ces deux ou trois plans de plages et cette scène où la famille se retrouve devant le terrain somptueux qu’elle doit vendre,… Le reste se contente de mettre des chemises à fleurs à des hommes d’affaire (« Seul des patrons à Hawaii peuvent aussi avoir l’air de clochards ») et d’illustrer les séquences avec une BO composée de chansons locales sur fond d’ukulélé.

Ce sont donc tout pleins de petits détails qui affaiblissent ce long-métrage pour le reste assez honorable mais clairement calibré pour sa tournée de festivals et destiné à un public « américain » un tantinet exigeant. Ca pourrait être agaçant mais ça réussit presque constamment à relever de justesse la barre. Clooney y livre l’une des meilleures performances de sa carrière, à un tel point qu’on a la fausse impression qu’il ne joue pas (Dujardin peut vraiment s’en faire car il dispose là d’un très sérieux concurrent qui n’avait été récompensé auparavant que pour une prestation mineure). La jeune Shailene Woodley est une très belle révélation comme on n’en avait pas eu depuis un an avec Hailee Steinfeld et Jennifer Lawrence. Reste aussi de très beaux moments d’émotions qui réussissent à faire un peu oublier le rythme en dents de scie, le côté « déjà-vu » du long-métrage et surtout les quelques scories d’interprétation dans le cas de ce personnage caricatural du jeune ami idiot et du jeu outrancier de l’actrice incarnant la femme de l’amant. Mais Payne se rattrape en donnant un magnifique rôle de beau-père blessé au bien trop rare mais excellent Robert Forster. The Descendants n’est clairement pas le chef d‘œuvre que l’on essaye de nous vendre, mais il reste une bonne comédie dramatique sacrifiant son audace et son originalité sur l’autel de l’efficacité et de l’émotion.

NOTE : 6,5 / 10

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 22:20

Titre original : The Girl with the Dragon Tattoo

Film américain sorti le 18 janvier 2012

Réalisé par David Fincher

Avec Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer,…

Policier, Thriller

Mikael Blomkvist, brillant journaliste d’investigation, est engagé par un des plus puissants industriels de Suède, Henrik Vanger, pour enquêter sur la disparition de sa nièce, Harriet, survenue des années auparavant. Vanger est convaincu qu’elle a été assassinée par un membre de sa propre famille. Lisbeth Salander, jeune femme rebelle mais enquêtrice exceptionnelle, est chargée de se renseigner sur Blomkvist, ce qui va finalement la conduire à travailler avec lui. Entre la jeune femme perturbée qui se méfie de tout le monde et le journaliste tenace, un lien de confiance fragile va se nouer tandis qu’ils suivent la piste de plusieurs meurtres. Ils se retrouvent bientôt plongés au cœur des secrets et des haines familiales, des scandales financiers et des crimes les plus barbares…

      

Stieg Larsson ne devait pas savoir en rendant ses trois manuscrits qu’il allait révolutionner le roman noir. Il n’empêche, quelques années après, la trilogie « Millenium » est devenue l’un des plus gros best-sellers de ces dernières années. Ce qui est d’autant plus surprenant lorsque l’on sait le contenu très noir des trois livres par rapport aux autres « blockbusters littéraires » (les « Harry Potter », « Twilight » et autres « Hunger Games » étant destinés à un public plus large et surtout plus jeune). Néanmoins, cette noirceur n’a pas refroidi le processus habituel de l’adaptation cinématographique. Très vite, on a parlé d’une adaptation américaine prestigieuse avec David Fincher à la barre. Le projet fut cependant quelques peu repoussé, notamment par un Fincher épuisé qui sortait tout juste de plusieurs années de production chaotique sur L’Etrange Histoire de Benjamin Button et qui ne se voyait pas du tout se rebattre aussi tôt avec les exécutifs.

Entre temps, la saga fut adaptée pour la télévision lors d’une coproduction suédo-danoise. Celle-ci ayant rencontré un beau succès, elle fut largement massacrée au montage pour en sortir trois films diffusés un peu partout dans le monde. Puisqu’elle avait l’avantage d’être arrivée en premier, la série fut acclamée un peu partout par les fans et considérée comme « le » maître-étalon de l’adaptation des livres de Larsson. Michael Nyqvist, qui incarnait le journaliste Mikael Blomkvist, partit ensuite en Amérique pour jouer les méchants mégalos dans Mission Impossible : Protocole Fantôme tandis que Noomi Rapace, presque glorifiée pour son interprétation de la jeune hackeuse Lisbeth Salander, se retrouva propulsée dans deux blockbusters, Sherlock Holmes 2 – Jeu d’ombres de Guy Ritchie et Prometheus de Ridley Scott avant d’intégrer normalement le casting du prochain Brian de Palma intitulé Passion. L’histoire aurait pu s’arrêter là lorsqu’en juin 2009 le projet d’adaptation américain refait surface. On cru d’abord à un nouveau tandem entre Quentin Tarantino et Brad Pitt avant que David Fincher, enfin reconnu par la profession avec Benjamin Button et son absolument magnifique The Social Network, ne revienne à bord. Daniel Craig coiffe au poteau Pitt, George Clooney, Viggo Mortensen ou encore Johnny Depp pour le rôle de Blomkvist et Rooney Mara est choisie par Fincher devant des concurrentes bien plus célèbres comme Natalie Portman, Scarlett Johansson, Léa Seydoux ou encore Emma Watson.

Réadaptation

Tollé dans la communauté cinéphile ; un peu le même que lorsque Fincher a annoncé qu’il  ferait un film sur « Facebook ». Accusé de tous les maux, dont celui d’être vendu au studio et d’être devenu accro au fric ce qui serait bien mal le connaitre, Fincher revient donc sur les écrans un peu plus d’un an après son dernier film pour montrer à tout le monde qu’il était bien le mieux placé pour filmer l’histoire de Larsson. Et ce The Girl with the Dragon Tattoo est une bonne nouvelle à plus d’un titre. D’abord parce qu’il est devenu extrêmement rare que ce cinéma américain, de plus en plus frileux depuis quelques années, ose se lancer soudainement dans de la « grande et prestigieuse » production pour adultes et mette sur la table cent millions de dollars pour fabriquer un film ouvertement interdit au moins de dix-sept ans sur le territoire U.S. De mémoire, il faudrait remonter aux films de Paul Verhoeven et notamment son Basic Instinct en 1992 pour retrouver un cas similaire. Si les résultats au box office ne sont pas de l’ordre d’un The Dark Knight ou d’un Pirates des Caraïbes, ils restent néanmoins très encourageants quant à l’ouverture du public pour des œuvres de divertissement plus matures et exigeantes. L’autre bonne nouvelle, c’est que le film de Fincher remet les pendules à l’heure. Non, l’adaptation suédoise est (très) loin d’être un chef d’œuvre indépassable et que ce n’est pas parce que ce n’est pas américain que c’est forcément supérieur.

En effet, si le premier film de Daniel Alfredson était assez plaisant à regarder, il ne résistait absolument pas à un second visionnage. Mise en scène sans envergure ni audace, un montage pas très dynamique qui n’arrivait pas à insuffler du souffle aux innombrables séquences de dialogues explicatifs,… Pour faire simple, tous les aspects « techniques », l’« apparat » du film, était inexistant ; ce qui est le total inverse dans le film de Fincher entre la photographie sublime, les décors impressionnants et la bande son géniale de Reznor/Ross. Alfredson ne faisait qu’illustrer de la façon la plus plate et convenue possible un scénario pas très novateur. Un problème qui doit néanmoins remonter au livre puisque l’enquête principale est inintéressante au possible, en plus de passer par tous les passages obligés du genre que l’on puisse imaginer. Le personnage de Blomkvist n’avait aucun relief et ne servait souvent que de faire valoir pendant que Noomi Rapace, qui se donnait certes à fond (c’est quand même le minimum pour un rôle aussi exigeant que celui de Salander), ressemblait trop à une trentenaire déguisée en gothique.

Le casting du duo est donc plus cohérent et réfléchi dans la version de Fincher. En plus de pouvoir (re)casser son image d’agent 007, Daniel Craig insuffle un côté séducteur que n’avait pas Nyqvist, donnant à son personnage bien plus de charisme. Et il ne néglige pas l’humour pour rendre son personnage un peu plus humain et présent. Mais la très bonne surprise est Rooney Mara qui livre une prestation au moins aussi impressionnante que celle de Rapace, sa physionomie juvénile la rendant plus crédible, plus fragile, plus adolescente et rend ainsi les crimes qu’elle subie encore plus insupportables que dans la version suédoise. Car, malgré les efforts de Craig à jouer sur plusieurs tableaux (le père dépassé, l’amant volage, le journaliste humilié et l’enquêteur perdu), c’est véritablement Mara qui envahit l’écran. Cela doit vraisemblablement être le cas des livres et elle constitue surement l’un des éléments clés de leurs réussites.

Du papier à l’image

Il est ainsi évident que Fincher a particulièrement flashé sur cette jeune hackeuse gothique et asociale. Si Millenium a les caractéristiques d’un film noir maitrisé et bien filmé lors des scènes abordant le point de vue de Blomkvist, son film prend une toute autre ampleur quand Lisbeth Salander apparait à l’image. Elle est l’héritière de tous les marginaux que Fincher a filmé depuis le début de sa carrière. Elle est la femme qui doit s’imposer au milieu d’un monde d’hommes violents et machistes comme l’était Ellen Ripley dans Alien 3. Elle est ce même ange du mal violent au milieu d’une humanité déliquescente dans lequel se fantasmait John Doe dans Se7en. C’est aussi le pendant sombre du Mark Zuckerberg de The Social Network, plus à l’aise avec l’écran qu’avec l’humain et à la recherche d’un ami sur lequel elle pourrait se raccrocher. Et des marginaux il y en a encore bien d’autres dans la filmographie de Fincher entre le millionnaire reclus Nicholas Van Orton de The Game, le gourou charismatique Tyler Durden dans Fight Club ou encore l’homme au métabolisme inversé Benjamin Button dans le film éponyme. 

Il est certain que Fincher ne porte que peu d’intérêt à l’enquête. Ou du moins pas à sa résolution, toujours aussi décevante et frustrante malgré les quelques modifications du script de Zailian. Les deux séquences de « whodunit » sont d’ailleurs soit filmées avec un certain second degré (la chanson « Orinoco Flow » d’Enya en fond sonore d’une scène de tension extrême) comme si Fincher était parfaitement au courant du caractère « too much » de ce passage, soit dénué de toute émotion comme pour sous-entendre que le véritable intérêt n’était pas de « retrouver » la personne ou de savoir ce qui lui était arrivé, mais bien de la chercher. C’était d’ailleurs la morale du sublime dessin animé Millenium Actress de Satoshi Kon, et c’était surtout le centre même de la réflexion de l’œuvre la plus exigeante de Fincher : Zodiac.

C’est d’ailleurs avec ce dernier que Millenium a le plus de points communs. Si Fincher avait réalisé avec The Social Network un discret remake dix ans plus tard de Fight Club, son Millenium s’apparente clairement à son Zodiac 2.0. Son film sur le tueur en série qui sévissait dans la région de San Francisco pendant les années 70 relatait une interminable enquête qui se voyait entravée par la réalité matérielle de l’époque (archives incommensurables voire mal élaborées, problèmes de juridiction, limites de la science ou de la communication, etc…). Millenium part d’une enquête similaire au cours des années 60, poursuivie en solitaire par un homme avant d’être reprise à notre époque. La donne change puisqu’entre temps à eu lieu la révolution informatique. Que Millenium sorte un an après The Social Network n’est donc pas une coïncidence : l’écran prend une place plus qu’importante dans la résolution de cette enquête. Si Blomkvist et Salander utilisent des images, ce sont surtout des « scans » de photos qui leur donnent des réponses ; les diaporamas d’anciennes photographies permettent même d’animer virtuellement un personnage et de faire « revivre » une scène du passé.

Il apparait comme assez surprenant au final que Millenium ait d’abord été un livre tant l’enquête semble avant tout se baser sur le visuel. L’ordinateur est l’élément essentiel de l’enquête, celui qui permet de regrouper toutes les données recueillies, de les consulter voire de les confronter en une poignée de secondes ; le fait que Salander soit une hackeuse est totalement justifié. Cette immédiateté est surlignée par un montage extrêmement dynamique, petit jeu auquel Fincher est quasiment imbattable. Le nombre d’informations et de détails qui passent par l’image à la minute est juste sidérant, d’autant plus que ceux-ci sont perceptibles par le spectateur. Il y a une sorte de didactisme esthétique en tout point jouissif dans Millenium et la volonté de Fincher de faire comprendre par l’image plutôt que par le dialogue montre à quel point il tient en haute estime l’intelligence et la perspicacité du spectateur. Il se permettra même de faire une scène de révélation et de suspense d’un quart d’heure absolument dénuée de toute parole.

Monstres de sang-froid

L’enquête, aussi balisée soit-elle, reste parfaitement traitée. On ne se perd jamais face à la multitude des personnages, on comprend toujours les enjeux et Fincher arrive souvent à rendre captivant de longue scènes de dialogues et de réflexion. Elle lui permet aussi de peindre un microcosme des plus sordides. Fincher a été, tout du long de sa filmographie, particulièrement intéressé par le « groupe ». Des « groupes » aux leaders charismatiques souvent très proches des groupes sectaires : le pénitencier sur la planète Fiorina 161 mené par le « prêtre » Dillon dans Alien 3, la trouble société CRS dans The Game, le « Fight Club » mené par Tyler Durden dans le film éponyme, et bien évidemment les « final clubs » et « Facebook » qui découle de l’inaccessibilité des premiers dans The Social Network. Dans Millenium, ce groupe n’est autre que la famille Vanger. Une vieille et riche famille aristocratique dont les membres ont modernisé la Suède tout en choisissant de se couper du pays en se terrant tous ensemble sur une île afin de mieux cacher leurs secrets détestables.

Un passé trouble souvent entaché par des ancêtres honteux : avares, paranoïaque, antisémites,… Fincher, peut-être en tant qu’américain, ne s’attarde pas sur ce lourd passé européen (et suédois) dont cette famille est le « portrait ». Mais son utilisation très pointilleuse du décor arrive à nous faire passer inconsciemment cette idée d’un héritage embarrassant que l’on cherche à tous prix à mettre sous le tapis. Là où Martin, appartenant à la « dernière génération », vit en hauteur et à l’écart dans une immense maison moderne meublée par quelques rares tables Ikea (un appartement complètement dépouillé de toute identité), un de ses grands oncles Harald n’hésite pas à exposer fièrement son affiliation passée avec les nazis sans y ajouter aucune « couche de vernis » et en se déclarant par conséquent être « l’homme le plus honnête de Suède ». De toute cette famille de fous reclus, il n’y a bien que le « chef » Henrik qui apparaisse raisonnable au sein de ces aristocrates dégénérés adeptes de pratiques incestueuses et obscures à force de trop de promiscuité.

Plus qu’un « Cluedo » morbide, Millenium est un film de monstres. Au même titre que Kim Jee-woon filmait une Corée du Sud où chaque habitant était plus ou moins un psychopathe en puissance dans J’ai rencontré le diable, Fincher filme une Suède morbide et froide où se terrent escrocs, mafieux, violeurs, fanatiques et autres tueurs en série. Un univers qui n’est pas sans rappeler la métropole décadente de Se7en où le mal suintait des murs (ici, le générique de début montre qu’il coule et colle à la peau comme de l’encre). La famille Vanger en est le meilleur exemple, mais d’autres « monstres » vivent hors de cette île. Voleurs skinheads dans les métros et, au plus haut de l’échelle, hommes d’affaires corrompus et lâches. Certains « monstres », comme ce dernier, prennent même des apparences affables.

C’est le cas du second tuteur de la jeune Salander, Nils Bjurman. Celui-ci est plus trouble que dans la version suédoise puisqu’il a au départ l’apparence d’un gros « nounours » inoffensif. On peut même remarquer sur son bureau une image attendrissante de lui avec sa femme et son fils. Une photographie bien mise en avant au premier plan pendant qu’au second il force la jeune femme à lui faire une fellation contre un peu d’argent.  Un contraste sur lequel joue Fincher puisqu’il le représente comme un être mielleux, faussement attendri par Salander et parfois gêné par sa propre bestialité, capable de boire un jus d’orange et de se proposer pour la raccompagner après l’avoir attachée et violemment sodomisée. Ce qu’il ignore, ou sous-estime bêtement, c’est qu’il s’attaque lui-même au pire des « monstres ».

Rapports inversés

Un monstre des plus séduisants néanmoins, Fincher la comparant au générique à une rose noire en train d’éclore. La version américaine sexualise nettement plus le personnage que ne l’avait fait la version suédoise. Cela la rend étonnamment plus « désirable » et fascinante, mais cela lui permet surtout d’affirmer une identité plus forte. Fincher renforce aussi bien plus cette idée d’inversion. Dans n’importe quel film « noir », Salander aurait été la « pièce rapportée », le sidekick, tandis que Blomkvist en aurait été le héros (le détective). Hors ce n’est pas vraiment le cas. D’abord parce que Mara crève l’écran à chacune de ses scènes. Ensuite parce que Blomkvist est presque le seul personnage « normal » et « bon » du long-métrage. Il apparait plus comme un journaliste charismatique que comme un bon enquêteur. Il piétine régulièrement et se fait souvent remettre sur la bonne voie par les autres : sa fille l’aide à trouver le sens des noms et des chiffres se trouvant dans le carnet personnel de la disparue, un homme lui conseille de chercher un homme de plus de soixante-dix ans dans les maisons de retraite plutôt que sur son ancien lieu de travail…

Bon nombre de critiques voyaient ce rôle comme un contre-emploi pour Daniel Craig car il se débarrasserait de cette image grand public (comprendre jeune) qu’il a obtenue avec James Bond en jouant dans une production résolument adulte. Ce n’est que partiellement vrai. Le véritable contre-emploi vient du fait qu’il joue un personnage résolument « banal », normal et parfois faible. Soit le complet opposé de l’exubérant et parfait agent 007 ; Craig dira lors de la conférence de presse pour le prochain « James Bond » intitulé SkyFall, dans un trait d’esprit qui n’en était pas vraiment un, que ce dernier et Blomkvist étaient « complètement différents ». Craig a finalement le rôle du sidekick comique, parfois maladroit et qui tend à s’effacer lors de la seconde moitié du long-métrage au profit de la mutique mais très efficace Lisbeth Salander.

Cette dernière a toujours une longueur d’avance. Elle est capable d’être sur deux affaires à la fois, trouve plus rapidement des informations que Blomkvist, lui donne plusieurs fois des ordres (le café, la main dans le T-shirt,…) et le sauve à deux reprises. C’est elle qui lui recoud une blessure superficielle au front pendant qu’il pleurniche (alors qu’elle se fera violer à deux reprises sans qu’elle ne pousse un seul cri). C’est enfin elle qui le domine sexuellement à deux reprises ; à ce titre il est d’ailleurs amusant de constater que Daniel Craig a finalement le rôle d’une « James Bond Girl ». Plus qu’un film d’enquête, Millenium est avant tout un film de personnage. L’enquête, correctement traitée encore une fois, n’est qu’un prétexte à leur rencontre. Millenium ce n’est pas l’histoire d’un journaliste qui enquête sur la disparition d’une jeune femme aidé par une assistante, mais c’est la rencontre d’un journaliste déchu et d’une « hackeuse » insociable à la recherche d’un « proche » au cours d’une enquête qui les amène à collaborer « physiquement ».

Contact et fusion

Car ils sont dès le départ liés, parfois inconsciemment. Salander, après avoir été chargée d’étudier son passé, connait intimement toute la vie de Blomkvist. Néanmoins, elle ne lâche pas le journaliste après avoir déposé son rapport. Elle continue de regarder ses mails, de regarder des photos de lui étant jeune,… Sans que rien ne soit dit, on sent qu’il y a quelque chose qui l’attire chez lui. Blomkvist n’entend néanmoins pas parler de Lisbeth avant une bonne heure de film. Mais il est toujours relié à elle par le biais d’un montage parallèle parfait, qui coupe parfois certaines séquences pour montrer la simultanéité des évènements (ce qu’un livre ne peut pas vraiment faire). Le moment le plus évident est lorsque les deux personnages, séparés physiquement, comprennent la même chose (l’identité du coupable) au même moment par le biais de ce montage.

Le grand moment du film reste cette rencontre longtemps repoussée entre les deux protagonistes. Une scène où le montage parallèle prend tout son sens et amène ce qui était sous-entendu depuis le départ. Après un crescendo où chaque changement de plan finissait par équivaloir à un changement de personnage, les deux héros se retrouvent enfin dans le même cadre. Le rythme du film prend une accélération salvatrice alors que l’histoire commençait quelque peu à piétiner. Sans pour autant se départir de l’atmosphère glauque, le récit insère plus d’humour notamment grâce aux interactions de Blomkvist et Salander, diamétralement opposés dans leurs façons d’agir. C’est pourtant par ce dernier point qu’ils sont complémentaires. Ils sont en fait le « négatif » et le « positif » : Salander est la part sombre d’un Blomkvist bienveillant qui agit à sur elle comme un « contrepoint normatif ». Mieux, ils ne semblent destiné à ne faire qu’un puisque leurs propres extrémités s’annulent par rapport à celles de l’autre ; cette idée de fusion est aussi montrée dans le brillant générique de début où les silhouettes des deux héros se mêlent lors d’un baiser.

Leur relation est particulièrement ambigüe. On peut au départ la voir comme une relation père-fille notamment par leur différence d’âge. Car si Blomkvist a une fille née d’un mariage raté, celle-ci n’est pas très présente dans sa vie ni dans le long-métrage. Et si leur relation ne semble pas problématique, on peut voir dans l’intérêt que porte Blomkvist à Lisbeth une forme d’affection paternelle à la fille rebelle et débrouillarde qu’il aurait aimé avoir pendant que sa vraie descendance se fait embrigader par la religion. Lisbeth apparait souvent comme un « monstre-enfant » : fragile physiquement, elle crie lorsqu’elle est en colère, commande ses repas au McDonald du coin et demande la permission avant de faire un acte répréhensible (la réplique « Est-ce que je peux le tuer ? » par exemple, dite sur un ton à la fois pressé et faussement innocent comme si Lisbeth était un gamin tout excité à l’idée d’avoir l’autorisation imminente de casser ses jouets). Cette dernière a semble-t-il eu une relation difficile avec son propre père qu’elle a brulé à 80% (on le voit lors du générique avec un sourire carnassier et en train de flamber jusqu’au os). Blomkvist apparait alors comme un père de substitution idéal.

Mais cette relation se montre vite bien plus complexe. S’ils couchent ensemble, Lisbeth et Blomkvist ne forme pas un couple « standard ». Ils sont certes amants, mais Lisbeth ne recherche pas en Blomkvist un partenaire stable. Plus qu’une relation sexuelle, elle veut avoir une relation sociale. Une relation comme celle que Lisbeth aurait pu avoir avec son premier tuteur qui s’était occupé d’elle après son internement et ses échecs d’insertions dans plusieurs familles d’accueils. Sur le point de s’en faire un ami, puisqu’on la voit s’apprêtant à offrir un livre d’échecs à son tuteur, ce dernier devient « tétraplégique » après une crise cardiaque. Cette socialisation, son second tuteur bien plus tyrannique la lui inculquera de façon bien particulière : c’est-à-dire par la soumission aux envies des hommes. Un rapport social à sens unique, toujours à faire plaisir à un seul parti (en l’occurrence le tuteur). Il prononcera cependant la phrase clé lorsqu’il lui dira qu’elle sera autonome et mature « lorsqu’elle sera sociable ».

Le parcours d’insertion de Lisbeth dans la société est encore retardé après une séquence de vengeance ultra-violente (presque aussi explicite que dans la version suédoise mais avec une ambiance étouffante en plus). Lisbeth dira même face caméra, en regardant droit dans les yeux son tortionnaire et le spectateur, que les rapports médicaux disent vrai sur elle et qu’elle est bien folle (« I am insane ! »). La thérapie semble donc passer par Blomkvist, être profondément normal qui ne pense pas immédiatement à la mépriser ou à coucher avec elle. Mieux, c’est lui qui vient lui demander de l’aide, la laisse prendre des initiatives et lui fait rapidement confiance. Lorsqu’elle lui demandera s’il peut lui prêter de l’argent, celui-ci acceptera sans poser de condition, à la grande surprise de Lisbeth.

Les hommes préfèrent les blondes

Millenium est donc de manière sous-jacente un film romantique ; la présence de la chanson « Is Your Love Strong Enough » dans le générique de fin n’est surement pas un hasard imposé par le studio. Mais le long-métrage s’achève sur une note amère assez mélancolique. Car la brune Lisbeth est en concurrence avec la blonde Erika Berger, qui n’est autre que la coéditrice du journal « Millenium » dans lequel travaille Blomkvist et avec qui elle entretient une relation très libre depuis de nombreuses années. Bien qu’elles ne soient presque jamais dans la même scène, Fincher pose continuellement leur rivalité. Un petit détail est assez éloquent : Erika condamne dès le début le fait que Blomkvist fume. Lorsque ce dernier se retrouve éloigné d’elle, sur l’île et sous l’« autorité » de Lisbeth, il se remet à fumer, la jeune gothique n’y étant pas pour rien dans cette rechute. Mais à la toute fin, Blomkvist refusera une cigarette que lui tend Salander, lui disant qu’il a arrêté. Erika a repris le contrôle de Blomkvist et apparait à ce moment-là, au cours d’un plan, comme celle qui sépare les deux personnages.

Cette opposition brune/blonde se fait aussi à une autre échelle avec la jeune disparue Harriet Vanger. Elle aussi a été la victime d’« hommes qui n’aimaient pas les femmes » et possède une ressemblance physionomique assez troublante (renforcée par les effets spéciaux invisibles de Fincher ?) avec Salander. Comme si cette dernière, en la cherchant, essayait de trouver un « double » ; vers la fin du film elle porte d'ailleurs une perruque blonde. Mais que peut-faire une « brune » dans un pays comme la Suède, que le cliché veut peupler de « blonds aux yeux bleus » ? Cette défaite est montrée lors d’une dernière séquence très touchante et pourtant très simple. Mais son impact ne fonctionne aussi bien que par ce qui a précédé au cours des deux heures trente précédentes. Si Blomkvist est hanté par les photos d’Harriet, Salander est fascinée par cette photo qu’elle a volée et qui montre un jeune Blomkvist portant un blouson de cuir et enlaçant Erika.

Pour son premier geste social et légal, elle décide de retrouver ce même blouson afin de l’offrir au journaliste. Comme si elle souhaitait retrouver ce jeune Blomkvist et subtiliser la place d’Erika sur cette photo. Le vendeur dira, au vu du prix du blouson, que cet « ami » a « beaucoup de chance ». Ce n’est qu’à la toute dernière minute, au moment où elle s’apprête à le lui donner, que Lisbeth aperçoit au loin Blomkvist enlaçant de nouveau Erika. Et la jeune Lisbeth de jeter son cadeau dans la poubelle la plus proche avant de chevaucher sa moto pour errer dans les rues de Stockholm telle une petite ombre solitaire. Rouler éternellement sans but ni possibilité d’attache, comme Ryan Gosling à la fin du Drive de Nicolas Winding Refn.

NOTE : 8  / 10

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18 janvier 2012 3 18 /01 /janvier /2012 16:28

Titre original : J. Edgar

Film américain sorti le 11 janvier 2012

Réalisé par Clint Eastwood

Avec Leonardo DiCaprio, Naomi Watts, Armie Hammer…

Biopic, Drame

L’exploration de la vie publique et privée de l’une des figures les plus puissantes, les plus controversées et les plus énigmatiques du 20e siècle : J. Edgar Hoover. Incarnation du maintien de la loi en Amérique pendant près de cinquante ans, J. Edgar Hoover était à la fois craint et admiré, honni et révéré. Mais, derrière les portes fermées, il cachait des secrets qui auraient pu ruiner son image, sa carrière et sa vie.

      
Cela fait maintenant quatre ans que chaque nouveau début d’année s’ouvre sur un film d’Eastwood. Après le magnifique et définitif Gran Torino, celui-ci avait néanmoins vu son habituelle boulimie de travail ne plus lui permettre que d’accoucher de demi-films réussis avec un Invictus au sujet en or mais ennuyeux et manichéen, puis un Au-delà très imparfait qui remontait légèrement le niveau. Mais s’il ne semblait plus parvenir à atteindre la puissance émotionnelle et visuelle de ses classiques comme Impitoyable, Un monde meilleur, Sur la route de Madison ou encore Mystic River, Eastwood faisait encore preuve d’une volonté très louable de diversifier les genres qu’il abordait (le film de sport, le fantastique) et de ne pas se reposer sur ses lauriers durement mais justement acquis.

Il revient donc en 2012 avec son quatrième biopic après Bird en 1988 sur le saxophoniste de jazz Charlie Parker, Invictus en 2009 sur Nelson Mandela et, d’une certaine façon, Chasseur blanc, cœur noir en 1990 qui mettait indirectement en scène le réalisateur John Huston. Cette fois-ci il s’attèle à un personnage bien plus sombre et complexe avec J. Edgar Hoover, homme controversé qui traversa près d’un demi-siècle d’Histoire américaine en devenant le fondateur du FBI et dont les méthodes et les opinions firent de lui un des hommes les plus détestés et craints car capables de faire plier jusqu’au président des Etats-Unis. Un personnage trouble interprété par le jeune acteur le plus masochiste depuis Tom Cruise : Léonardo DiCaprio (qui a baissé son salaire habituel par dix pour participer au film d’Eastwood, ce qui en dit long sur son implication). Un choc des générations d’autant plus jouissif qu’il réunit pour la première fois l’un des vieux réalisateur les plus respectés avec l’un des jeunes acteurs les plus populaires et talentueux de sa génération, qui livre ici une interprétation sobre mais très impressionnante.

L’homme le plus puissant du monde

Une rencontre au sommet qui aurait du faire des étincelles mais qui se révèle au final légèrement déceptive. La raison est très simple : le film n’est pas à la hauteur de son sujet. Un sujet si énorme qu’il aurait fallu un film d’au moins trois heures, voire un film en deux parties, pour pouvoir correctement parler du personnage. Un long-métrage qui aurait nécessité la poigne, la hargne, le dynamisme d’un Oliver Stone de la grande époque ou d’un Martin Scorsese. Le classicisme d’Eastwood se marie en effet mal avec le portrait d’un homme aussi exubérant, provocant et ambigu. Privilégiant l’intimiste à l’évènementiel, la « petite » histoire à la Grande, Eastwood risque de s’attirer, à juste titre, les foudres de ceux qui attendaient dans ce J. Edgar une sorte de compte rendu de son œuvre et de toutes les problématiques (et elles sont nombreuses) qui ont jalonné son parcours.

 Néanmoins, il faut savoir faire la part entre le film que l’on voudrait voir et celui que l’on voit. Il est évident que le « grand film » sur Hoover reste à faire, et il le mérite malgré ses aspects foncièrement détestables tant il a bouleversé à lui seul un pays qui reste encore aujourd’hui la première puissance mondiale (et ce qui fait donc de lui l’une des figures les plus importantes du XXème siècle). Mais ce serait passé à côté du film que de regretter ce retrait du politique et de l’évènementiel, visiblement volontaire et réfléchi, au profit d’une échelle plus humaine et intime. Eastwood est plus intéressé par l’homme lui-même que par son œuvre. Attention : la question de l’héritage et de la création reste essentielle dans le long-métrage, elle en est même le cœur. Mais Eastwood ne s’intéresse pas tant à la création qu’à l’acte créateur lui-même.

Il n’est pas difficile de voir ce qui a bien pu intéresser Eastwood dans le script de Dustin Lance Black (scénariste d’Harvey Milk, ce qui a son importance comme on le verra un peu plus tard). Dans celui-ci, Hoover est un vieil homme qui relate ses mémoires avec l’aide d’un jeune secrétaire et qui s’interroge sur le lègue qu’il va laisser. J. Edgar est donc un film sur un homme âgé controversé qui cherche à savoir ce qu’il va laisser sur Terre. Difficile de ne pas y voir Clint Eastwood, dont le rythme de travail effréné semble sous-entendre une compréhension de sa part que le temps ne cesse de tourner pour lui. Par cette « biographie », Hoover tente de légitimer ce qu’il a crée et tenté de protéger toute sa vie contre les mains intéressées des nombreux hommes politiques qui souhaitaient le faire tomber pour récupérer à leurs fins ce « FBI ». Une vision presque biologique de la création comme si Hoover avait « enfanté » le « Federal Bureau of Investigation ».

Des femmes et un homme

Cette analogie est d’autant plus intéressante qu’elle renvoie à la sexualité très mystérieuse et controversée de Hoover ; aspect central dans le film que l’on doit de prime abord à Dustin Lance Black. Son scénario précédent portait sur Harvey Milk, premier homme politique américain à afficher ouvertement son homosexualité et qui fut l’un des fers de lance du mouvement pour les droits civiques des homosexuels. Il fut assassiné par Dan White et, dans le film Harvey Milk réalisé par Gus Van Sant, Black sous-entendait très légèrement que l’une des raisons pouvait être une homosexualité refoulée. Cette justification sexuelle d’un acte politique se retrouve encore plus développée dans le film d’Eastwood. Le personnage de Hoover, déjà très secret, a tenté toute sa vie de garder à l’ombre sa vie privée. On ne lui connait aucune conquête, presqu’aucun ami et de nombreuses rumeurs lui donnent une relation homosexuelle avec son conseiller le plus proche, Clyde Tolson, et certaines d’entre elles racontent même qu’il avait un certain penchant pour les robes.

Plus qu’un biopic politique, J. Edgar est un film « romantique ». Une histoire d’amour impossible et intimiste; le titre l’annonçait déjà en ne mettant que le prénom du personnage comme pour renforcer son « individualité » et non sa célébrité. Les scènes les plus réussies sont celles qui se rapportent à ce genre. La première assez marquante est sa demande en mariage très maladroite envers sa fidèle secrétaire Helen Gandy (incarnée par Naomi Watts). Une demande précipitée après tout juste trois rendez-vous, comme si quelque chose pressait. La rumeur de son comportement séducteur à ses débuts sous-entendait déjà un trouble qu’il avait su identifier. Il souhaite ainsi impérativement trouver une femme afin de rassurer sa mère tyrannique incarnée par Judi Dench qui préfèrerait avoir un fils mort plutôt qu’un fils gay. Cette attirance pour la gente masculine est une véritable honte pour Edgar, à la fois parce qu’elle le décrédibiliserai complètement en tant que directeur du FBI mais aussi parce qu’il s’attirerait le mépris éternel de sa mère.

Evidemment Eastwood n’aborde pas cette « histoire » de manière frontale. D’abord parce que son classicisme l’amène plus à rester dans l’évocation, le symbolisme et la simplicité ; aussi parce que celle-ci n’a jamais été véritablement prouvée. Il l’aborde donc de manière détournée : la scène de mariage précitée évidemment mais aussi la scène de restaurant où Hoover se retrouve, sous l’ordre de sa mère, avec trois séduisantes jeunes femmes. Une scène faussement anodine car elle révèle le trouble dans lequel les femmes plongent Hoover, qui se remet à bégayer comme un enfant avant de fuir tout penaud lorsque l’une d’elles lui demande de danser. La meilleure séquence reste le point d’orgue de cette relation : sa dispute avec Tolson dans une chambre d’hôtel, qui marque à la fois l’officialisation et l’impossibilité de leur relation (après un pugilat les deux hommes échangent un déroutant baiser sanglant suivi d’un « Je t’aime » murmuré par un Hoover tout seul). Reste enfin la question du travestissement qu’Eastwood représente dans une scène pouvant avoir deux significations : soit il s’agit de la révélation d’un fantasme qu’il peut enfin accomplir après le décès de sa mère, soit il s’agit d’une fusion définitive entre le fils rabaissé et « faible » et sa mère toute puissante.

‘Print the Legend’

J. Edgar est une œuvre puissante quand elle s’intéresse aux secrets et non à l’évènementiel. Certains aspects de sa vie ne sont même presque pas traités comme le maccarthysme ou la lutte des droits civiques. Des secrets qui contredisent son détendeur, c’est sur cette ambiguïté que se focalise Eastwood sans qu’il ne tranche jamais définitivement sur la question. Une opposition qui représente bien la nature hautement contradictoire et complexe de Hoover : un homme ouvertement anticommuniste et raciste, ultra conservateur et donc réprouvant officiellement le genre de pratiques sexuelles auxquelles il s’adonnerait officieusement. « Faites ce qu’il dit, pas ce qu’il fait », puisqu’il y a une réelle contradiction entre les actes et la parole. Une opposition qui apparait dans le récit même avec une utilisation très pertinente de la voix off et des flash-back (les transitions sont d’ailleurs pour le moins judicieuses). Les séquences où il parle à ses « nègres » sont révélatrices de son caractère : il les surveille et les jauge afin de savoir s’ils lui sont loyaux, garde leurs manuscrits, et n’hésitent pas à les renvoyer sans ménagement en plein milieux de leur rédaction. Peu importe leur voix après tout puisque seule la sienne compte.  

Une voix off qui peut au départ apparaitre comme trop présente et explicative. Elle surligne quelques éléments célèbres afin de les rendre accessibles au grand public comme tout biopic lambda le ferait maladroitement. Mais celle-ci disparait purement et simplement lors de certaines séquences. Comme par hasard, toutes celles qui mettent en scène sa mère et son « ami » Tolson (incarné par Armie Hammer). Plus que sur le secret, J. Edgar est en fait un film sur le mensonge et la manipulation. Dans l’une des dernières scènes, Eastwood révèlera le pot-aux-roses de façon un poil trop emphatique : Hoover a construit un récit qui l’avantage. Hoover a raconté son histoire ou plutôt sa version de l’histoire, amenant en conséquence quelques changements « salutaires ». Il a menti aux spectateurs tout comme il a menti ou raconté par omission sa vie aux « nègres ». Eastwood poursuit la réflexion qu’il aborde, depuis Impitoyable jusqu’au Mémoires de nos Pères et Gran Torino, sur la démystification. Hoover est un mythe construit de toutes pièces par l’éviction de certaines personnes et le remodelage de certains actes symboliques. Et qui est mieux placé pour parler d’un « mythe » qu’un autre « mythe » ? Car Eastwood en est bien un, symbole d’une Amérique triomphante dans ses nombreuses participations aux westerns, genre de tous les mythes par excellence. Mais avec une note finale toujours amère, Hoover se servant de son statut pour être adoré, au point qu’il n’apparait finalement plus que comme un héroïque justicier dans des « comics » censés inspirer les jeunes ; on le voit enviant de son balcon les applaudissements d'un public lui tournant le dos lors des défilés qui ne vont toujours qu'à l'encontre des présidents qui passent. « Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende » disait John Ford dans L’Homme qui tua Liberty Valence. Hoover applique cette maxime à la lettre, même si cela implique de le faire sur des boites de céréales.

J. Edgar, c’est ainsi avant tout le portrait d’un homme plutôt que de ses actions. Une démarche audacieuse et risquée lorsqu’il s’agit d’un homme aussi important qu’Hoover. Forcément incomplet, le film, d'une beauté plastique impressionante et mis en scène avec une rare précision et efficacité, préfère se focaliser sur deux ou trois fils conducteurs plutôt que de s’éparpiller dans un exposé barbant qui ne ferait qu’effleurer la surface. Le texte final ne fait d’ailleurs aucun doute sur l’orientation du long-métrage puisqu’il se focalise bien plus sur le couple Hoover/Tolson que sur son œuvre et ce qu’elle a changé. D’ailleurs, l’unique évènement véritablement relaté dans le film est la très médiatique affaire Lindbergh qui permit d’asseoir la réputation de ce FBI. Eastwood ne filme pas l’évolution d’une institution, mais son « accouchement ». Un « bébé » qu’Hoover protègera jusqu’à sa mort tel un père (ou une mère) aimant, sans pour autant se soucier des conséquences sur les autres. Au final, plus qu’un symbole optimiste de justice, d’honneur et de loyauté, Hoover deviendra surtout comme sa mère : autoritaire, insensible, paranoïaque, enfermé dans ses convictions jusqu’à l’aveuglement et l’obsession, s’occupant d’un « mari » malade et surprotégeant son seul « héritage ».

NOTE : 7 / 10

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 17:58

Titre original : Kokuriko-zaka kara

Film japonais sorti le 11 janvier 2012

Réalisé par Goro Miyazaki

Avec les voix de Masami Nagasawa, Junichi Okada, Keiko Takeshita,…

Animation, Drame

Umi est une jeune lycéenne qui vit dans une vieille bâtisse perchée au sommet d’une colline surplombant le port de Yokohama. Chaque matin, depuis que son père a disparu en mer, elle hisse face à la baie deux pavillons, comme un message lancé à l’horizon. Au lycée, quelqu’un a même écrit un article sur cet émouvant signal dans le journal du campus. C’est peut-être l’intrépide Shun, le séduisant jeune homme qu’Umi n’a pas manqué de remarquer. Attirés l’un par l’autre, les deux jeunes gens vont partager de plus en plus d’activités, de la sauvegarde du vieux foyer jusqu’à la rédaction du journal. Pourtant, leur relation va prendre un tour inattendu avec la découverte d’un secret qui entoure leur naissance et semble les lier. Dans un Japon des années 60, entre tradition et modernité, à l’aube d’une nouvelle ère, Umi et Shun vont se découvrir et partager une émouvante histoire d’amitié, d’amour et d’espoir…

      

On le répète souvent, mais s’il y a bien un studio qui fait sérieusement concurrence à Pixar dans le domaine de l’animation c’est bien celui de Ghibli. Deux rivaux apparemment très antagonistes : l’un est américain, l’autre est japonais ; l’un est le chantre de l’animation en images de synthèse, l’autre est le dernier grand bastion de l’animation « traditionnelle ». Néanmoins, leurs ambitions se rejoignent puisqu’ils envisagent avant tout la réunion d’artistes talentueux au service d’histoires destinées aux jeunes mais qui ne sacrifient pas leurs films à un discours débilitant sous prétexte qu’ils s’adressent à des enfants. C’est en fin de compte la marque de fabrique commune du studio de la lanterne et du studio de « Totoro » : ne jamais sous-estimer la capacité d’un enfant à comprendre des choses complexes ; une manière de faire à laquelle Spielberg a apporté ses lettres de noblesse par exemple.

Tout comme Pixar, le studio Ghibli se trouve néanmoins aujourd’hui devant un problème : celui de « l’héritage ». Dans le cas du studio américain, cette problématique était déjà le cœur névralgique du très beau Toy Story 3. Et le Cars 2 qui avait suivi n’avait fait qu’inquiéter les cinéphiles sur le tournant qu’allait prendre le studio après que ces trois figures de proue aient décidé de s’en éloigner un peu : John Lasseter pour codiriger son « bébé » et Disney, Brad Bird et Andrew Stanton pour faire leurs armes dans le cinéma « live » avec Mission Impossible - Protocole Fantôme pour le premier et John Carter pour le second. Le studio Ghibli, un peu plus vieux d’une quinzaine d’années est déjà dans cette angoisse de la succession depuis le début des années 2000. En effet, leurs deux fondateurs et « porte-étendards », Hayao Miyazaki et Isao Takahata, se font de plus en plus absents. Il apparait donc comme normal que les animateurs de la nouvelle génération aient été extrêmement marqués par la patte de ces maîtres, surtout le premier qui est le plus connu et influent, au point de tenter de les copier.

Une histoire de famille

L’âge venant, il faudrait trouver une jeune « figure » majeure qui remplacerait le « Walt Disney japonais ». Là où le bât blesse, c’est que le studio Ghibli en a été incapable jusque là, ses récentes œuvres recopiant sans vergogne le style esthétique du maître (Arrietty et le petit monde des chapardeurs). Le fait que ceux-ci soient encore scénarisés par le réalisateur de Nausicaa et de Princesse Mononoke n’aide pas non plus ces productions à se démarquer. Et malheureusement ce n’est pas près de s’arrêter puisque le principal « héritier » qui apparait dans ce cercle fermé n’est autre que le fils de Miyazaki, Goro, qui avait déjà réalisé il y a quelques années Les Contes de Terremer. Tout cela ne semble pourtant pas dire grand-chose de cette Colline aux Coquelicots. Et pourtant ce point précis permet de mieux appréhender le cœur même du récit.

Evidemment, celui-ci est avant tout le portrait d’une jeune étudiante absolument serviable et charmante qui dirige d’une main de maître un petit hôtel particulier exclusivement féminin au tout début des années 60. On retrouve déjà la patte de Miyazaki, ayant encore écrit l’histoire et qui affectionne particulièrement ce type de personnage depuis Nausicaa, Mononoke, Sophie dans Le Château Ambulant, Chihiro et les innombrables jeunes filles qui parsèment son œuvre (y compris au niveau de ses productions). Il y a aussi une touchante histoire d’amour avec un beau jeune homme réservé, lui aussi serviable et volontaire. Ce n’est pourtant pas cet aspect-là, mis très en avant sur les affiches et les bandes annonces, qui est le plus intéressant du film.

On peut même dire qu’elle n’intéresse pas beaucoup Miyazaki (père et fils) puisque cet amour « impossible », qui a quelque chose de très shakespearien, est résolu par une pirouette un peu facile. Le thème central de La Colline aux Coquelicots est celui de la filiation et de l’héritage. C’est avant tout une « histoire de famille ». Dès les premières minutes, on voit la jeune héroïne Umi levant des drapeaux à l’intention des bateaux qui naviguent en contrebas de cette colline en haut de laquelle sa maison se trouve. On apprend très vite qu’elle le fait à l’intention de son père, disparu en mer après que son bateau ait coulé lors de la guerre de Corée. Sa grand-mère lui dira, à la fin de cette séquence d’introduction, qu’elle espère un jour la voir sortir du deuil et accepter de ne plus lever ces drapeaux dans le vain espoir que son père lui réponde miraculeusement.

L’arrivée du jeune Shun est importante puisqu’elle marque la première intrusion masculine dans la vie d’Umi depuis cette disparition paternelle. Lui aussi a perdu son père et vit chez des parents adoptifs. Sa rencontre avec Umi va entrainer un changement dans l’équation avec la révélation d’un détail qui risque bien de bouleverser leur vie à jamais. Peu aidé par leurs parents, la mère d’Umi travaillant dans une université américaine et le père de Shun n’étant pas loquace, les deux jeunes gens vont être confronté à un questionnement identitaire épuisant. La clé de celui-ci est une vieille photo de trois amis marins qu’Umi et Shun ont tous les deux et qu’ils tenteront de retrouver afin de savoir d’où ils viennent vraiment.

Héritage, tradition et modernité

Mais une autre histoire nettement plus intéressante est racontée en parallèle. Dans le lycée où vont Umi et Shun se trouve un très vieux bâtiment appelé le « Quartier Latin ». Une vieille et grande bâtisse délabrée dans lequel se retrouvent les étudiants les plus âgés pour étudier les diverses branches de la connaissance. Il s’agit en fait du grand lieu du savoir du lycée et probablement de la région. Un lieu pour l’apprentissage et la connaissance. Mais voilà, ce « Quartier Latin », qui a une très longue histoire ayant vue se succéder de nombreuses générations d’étudiants, est dans un tel état de délabrement que le conseiller régional souhaite le démolir pour y construire un bâtiment plus moderne. S’organise alors une « résistance » de la part des étudiants qui enchainent actes symboliques et assemblées générales pour se faire entendre. Des actions pas souvent efficaces mais qui ont au moins le mérite d’être accomplies comme le souligne Goro Miyazaki.

C’est là qu’entre en scène Umi, séduite d’abord par le jeune Shun puis surtout par ce bâtiment si mystérieux et stimulant. C’est avec l’arrivée salutaire des étudiantes que le mouvement va prendre de l’ampleur. Si elles arrivent au départ avec les talents qu’on leur attribue au départ automatiquement (le ménage), pas question que les garçons ne mettent pas la main à la patte. Une union qui fait ainsi fi des sexes puis de l’âge pour qu’au final chacun poursuive le même but. En cela, La Colline aux Coquelicots est une œuvre qui s’inscrit parfaitement dans son temps. En effet, si la fin des années 1990 et le début du XXème siècle avaient vu une fascination du cinéma pour le « virtuel » avec le développement en masse de l’internet et du jeu vidéo (initié par Matrix puis avec des œuvres comme Avatar, Inception, The Social Network), les années 2010 semblent s’orienter vers une idée inverse qui serait « le groupe ». Un groupe qui ne doit plus être lié virtuellement, mais qui doit véritablement s’unifier, émotionnellement et « physiquement » parlant. La Colline aux Coquelicots n’en est que le nouveau représentant après Mission Impossible – Protocole Fantôme et Happy Feet 2 en décembre dernier. Face à une époque aussi dure, rien ne vaudrait plus que l’union ?

L’histoire est évidemment autobiographique. D’abord pour Hayao Miyazaki puisqu’au cours de l’année 1964 il prit la tête des manifestants au sein du studio Toei, dans lequel il travaillait, après quelques problèmes syndicaux. Difficile de ne pas voir le voir dans ce Shun, leader charismatique du mouvement estudiantin au côté de son meilleur ami (Takahata ?), qui tente de sauver et d’améliorer les conditions de travail dans ce vieux bâtiment (qui, une fois rénové, donnerait Ghibli ?). Autobiographique aussi du point de vue de son fils, Goro, qui doit affronter ce vieil héritage et réussir à en faire quelque chose de neuf sans pour autant le balayer d’un revers de la main ; pour l’anecdote, il est d’ailleurs aussi le directeur du musée Ghibli en l’honneur de son père. Entre tradition et modernité : l’éternelle problématique qui traverse toute la filmographie de Miyazaki père et qui ne cesse d’être posée dans un Japon où le fossé des générations ne fait que s’agrandir.

Il manque cependant quelques séquences marquantes à La Colline aux Coquelicots (ce dont pouvait par exemple se targuer Arrietty). Délaissant le lyrisme et le magique qu’affectionne son père, Goro emprunte plus au réalisme de Isao Takahata. Il faudrait juste un peu plus d’ampleur pour que Goro puisse clairement prétendre entrer dans la cour des grands. Et arriver à s’extirper de l’influence presqu’oppressante et tyrannique de son père pour qu’il puisse enfin trouver un style bien à lui. S’il a un air de déjà vu, en plus du fait qu’il n’arrive pas à atteindre le niveau de ses prédécesseurs, le film de Goro Miyazaki montre néanmoins que la recette fonctionne encore en livrant une histoire absolument charmante et pleine d’émotions.

NOTE : 6,5 / 10

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 13:25

Titre original : Anonymous

Film anglo-germanique sorti le 04 janvier 2012

Réalisé par Roland Emmerich

Avec Rhys Ifans, Vanessa Redgrave, Joely Richardson,…

Thriller, Historique, Drame

C’est l’une des plus fascinantes énigmes artistiques qui soit, et depuis des siècles, les plus grands érudits tentent de percer son mystère. De Mark Twain à Charles Dickens en passant par Sigmund Freud, tous se demandent qui a réellement écrit les œuvres attribuées à William Shakespeare. Les experts s’affrontent, d’innombrables théories parfois extrêmes ont vu le jour, des universitaires ont voué leur vie à prouver ou à démystifier la paternité artistique des plus célèbres œuvres de la littérature anglaise. Au cœur de l’Angleterre élisabéthaine, dans une époque agitée d’intrigues politiques, de scandales, de romances illicites à la Cour, et de complots d’aristocrates avides de pouvoir, voici comment ces secrets furent exposés au grand jour dans le plus improbable des lieux : le théâtre…

     

Dans son dernier film, 2012, qui relatait de façon volontairement ampoulée et purement fun la fin du monde selon les Mayas, Roland Emmerich filmait une scène où un conseiller du président des Etats-Unis faisait la cour à la fille de ce dernier. Il lui montrait notamment un livre qui s’était retrouvé par hasard dans son sac et qui avait donc pu être miraculeusement conservé. Un livre qui n’avait presque pas été vendu et qui n’aurait jamais été sauvé en premier lieu si une telle situation ne s’était pas produite. La scène sous-entendait donc que c’était le lecteur et non l’artiste qui faisait  vivre un ouvrage et que celui-ci pouvait survivre à son « créateur ». Mine de rien, Emmerich tentait de parler de « l’héritage artistique » entre deux tsunamis causés par quelques super-éruptions.

Qui aurait cru à ce moment-là que cette scène allait en quelques sortes être la matrice de son long-métrage suivant. Emmerich, pour les deux-trois du fond qui ne le saurait pas, c’est un réalisateur allemand qui est parti à Hollywood faire quelques uns des plus gros blockbusters de ces vingt dernières années. Gros en termes de logistiques, de marketing et de box office notamment, leurs qualités visuelles primant très souvent sur leurs contenus souvent assez fades et manichéens (certains de ses défenseurs soutiennent que c’est intentionnel). Néanmoins, malgré de gros succès comme Independance Day, Godzilla ou Le Jour d’après, Emmerich est évidemment très loin d’atteindre le niveau d’un Paul Verhoeven qui poussait le vice à s’emparer de gros films de studios et à en faire des objets à la fois subversifs à l’encontre de leurs propres instigateurs et terriblement jubilatoire pour le public. Bref, Roland Emmerich peut donc au mieux prétendre au titre de brillant technicien arrivant à certains moments à imprégner une « patte artistique » à ses long-métrages (un film de Michael Bay se reconnait par exemple beaucoup vite, pour rester dans le domaine des metteurs en scène honnis et controversés).

“To be…”

Quoiqu’il en soit, lorsque l’on dit « Roland Emmerich », on pense automatiquement à « blockbuster de destruction massive ». D’où l’étonnement lorsque celui-ci a déclaré vouloir retourner en Europe afin de réaliser un film à « petit » budget sur le personnage de Shakespeare. Et une certaine forme de crainte légitime. Le résultat est plutôt surprenant dans le bon sens du terme. Certes Emmerich fait toujours de grands panoramas numériques, mais ceux-ci apparaissent ici comme de larges peintures dévoilant le Londres du XVIème siècle, apportant une plus value à son long-métrage qui le rapproche (légèrement) de quelques grandes épopées romanesques. Si les effets spéciaux sont parfois un peu plus voyants que dans ses précédentes productions, le budget investi n’étant évidemment pas du même ordre de grandeur, ils restent utilisés avec parcimonie, évitant le tape-à-l’œil pour privilégier la représentation d’un Londres bouillonnant où la population grouille telle une fourmilière géante.

Emmerich parvient donc assez bien à représenter ce microcosme et à passer de différents points de vue. C’est ici que réside l’un des liens d’Anonymous avec le reste de la filmographie d’Emmerich : il s’agit d’un « film choral ». Emmerich, dans ses blockbusters, a souvent refusé de se limiter à une vision individuelle des catastrophes qu’il mettait en scène. C’était le cas d’Independance Day, où chacun des personnages apparemment sans lien finissait par jouer un rôle dans la victoire de l’humanité contre des extraterrestres belliqueux. C’était encore plus le cas de 2012 et du Jour d’après. Cependant cela avait souvent pour fâcheuse conséquence d’empêcher l’empathie du spectateur pour ces trop nombreux personnages, certains étant parfois limités à de simples fonctions. Mais à quelques moments, l’émotion parvenait à passer presqu’accidentellement. Film choral donc, mais avec cette fois un changement de registre.

Anonymous est un film sur un complot politique, basé sur une théorie réelle qui refuse la paternité de Shakespeare sur ses œuvres. Et il est vrai que l’homme est bien mystérieux. Cette idée que Shakespeare n’est pas l’auteur des œuvres qui lui sont attribuées date des années 20. Emmerich la prend donc comme base initiale de son film et se plait à développer une histoire qui, au lieu de débuter par « il était une fois », commencerait par « Et si… ». Après tout, peu importe que le film dise la vérité ou non ; débat fini d’avance puisque jamais un film de reconstitution historique ne parviendra à être juste sur la période qu’il reconstitue. Anonymous pourra provoquer le débat mais son principal intérêt réside plutôt dans le fait qu’on le prenne pour le simple récit d’une uchronie s’amusant à déconstruire l’un des plus grands mythes artistiques de notre Histoire.

“… Or not to be”

Le vrai William Shakespeare apparait donc comme un manipulateur illettré. La vision qu’en donne Emmerich n’est pas des plus subtile mais elle permet d’effacer le personnage, d’ailleurs pas si présent, devant le véritable auteur présumé : Edward de Vere, comte d’Oxford. Celui-ci est brillamment incarné par le très charismatique Rhys Ifans qui arrive à élever le film par son jeu très subtil. Ce n’est malheureusement pas le cas de beaucoup d’autres, entre David Thewlis qui compose un William Cecil en tout point exécrable, Edward Hogg qui incarne son fils pas déméritant (si ce n’est dans sa dernière scène qui révèle une plus grande complexité pas assez exploitée), ou encore Sebastian Armesto qui n’utilise que sa voix grave pour interpréter l’auteur Ben Jonson. Néanmoins, Vanessa Redgrave et Joely Richardson façonnent un portrait assez fascinant de la Reine Elizabeth (jeune puis âgée), à la fois rayonnante, passionnée puis vieillissante et manipulée ; le détail amusant qui renforce la ressemblance entre les deux actrices est que Redgrave est la mère de Richardson.

Si Emmerich arrive bien à gérer les divers personnages qui parsèment son intrigue, il a néanmoins plus de mal à se repérer dans ses multiples flash-backs, compliquant ainsi inutilement l’intrigue comme si cela la rendrait plus intelligente. Il faut donc un certain temps pour rentrer dans l’histoire. Mais une fois qu’il est plus aisé de « naviguer » dans cet univers, le film révèle une richesse peu habituelle chez Emmerich. Il y propose une belle réflexion sur la figure de l’auteur et l’utilité de l’art qui se doit d’être l’épine dans le pied de la politique. Et une idée finale assez belle qui veut que l’œuvre survive à l’auteur, et ce peu importe qui il est vraiment. Ce qui compte, c’est que l’œuvre continue de vivre au travers de ses lecteurs/spectateurs et les fasse réfléchir. L’auteur n’est en fin de compte que l’outil. Dans le cas d’Anonymous, peu importe que Shakespeare ne soit pas vraiment Shakespeare. C’est un nom qui aura au moins permis la représentation de ces pièces. Une sorte de « mot de passe » donnant au peuple accès à ces œuvres. Une « légitimité » visant à construire, créer un mythe artistique ; Johnson déclarant à Shakespeare de « cesser de faire l’acteur et de jouer à l’auteur ».

“The world is a stage”

L’art peut-il changer le monde ? Vu la conclusion très noire du film on peut penser qu’il ne le peut pas à grande échelle, ou du moins que cela ne suffit pas à empêcher des guerres car bien d’autres facteurs peuvent entrer en jeu. Mais une œuvre peut changer un individu. Et c’est bien assez car cela suffit déjà à la transformer en arme politique. Une belle morale optimiste pour un récit tragique très proche d’une pièce de Shakespeare : complot, trahison, tentative de régicide, vils conseillers, amour interdit, inceste,… L’imbrication du théâtre dans la vie de tous les jours est brillamment montrée lors de quelques séquences où la scène et le public ne font plus qu’un. Le spectacle se trouve à la fois sur et devant l’estrade. La frontière entre réalité et fiction est très mince comme s’en sont aperçu les censeurs qui tentent d’interdire le théâtre à la cour d’Elizabeth. Si le film n’est pas dénué de quelques touches d’humour, comme bon nombre de pièces de Shakespeare (y compris les très tragiques comme « Roméo et Juliette »), Emmerich privilégie une atmosphère d’une noirceur inquiétante. D’une certaine façon, Anonymous est lui aussi un film catastrophe, montrant une ville se consumant et un royaume au bord de la guerre civile. Les dix dernières minutes mettent en scène l’ultime face-à-face entre deux rivaux ennemis depuis leurs naissances. Deux hommes défaits qui n’ont pas réussi à avoir le contrôle de leurs destinées. Et c’est bien là que réside toujours le nœud névralgique de toute tragédie.

Le dernier long-métrage de Roland Emmerich se révèle étonnamment bien construit et orchestré. S’il est encore loin d’atteindre les meilleurs long-métrage historique ou les plus grands films sur l’art scénique, Anonymous est clairement au-dessus d’un Shakespeare in Love, œuvre très surfaite traitant de la même période et qui ne devait ses prestigieuses récompenses qu’aux manigances des puissants frères Weinstein. Une bonne surprise ainsi qu’une pertinente étude de l’art et de son héritage qui pourrait augurer un revirement dans sa filmographie. S’il n’a toujours pas l’étoffe pour adapter le monument de la science-fiction qu’est le « Fondation » d’Isaac Asimov, le fait qu’il s’intéresse à un ouvrage traitant de la fin d’un Empire galactique, d’une science nommée la « psychohistoire » (prévoir le futur en se basant sur la psychologie humaine et les évènements passés) ainsi que de la création d’une encyclopédie universelle, n’apparait plus comme une idée aussi saugrenue et opportuniste.

NOTE : 6 / 10

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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 15:20

Titre original : Take Shelter

Film américain sorti le 04 janvier 2012

Réalisé par Jeff Nichols

Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart,…

Drame

Curtis LaForche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d'une tornade l'obsède. Des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit. Son comportement inexplicable fragilise son couple et provoque l'incompréhension de ses proches. Rien ne peut en effet vaincre la terreur qui l'habite...

      

Il arrive enfin après quelques passages remarqués dans des festivals comme celui de Sundance ou de Deauville. Un bouche-à-oreille très flatteur l’accompagne depuis quelques mois et il a laissé une critique presse absolument extatique à son sujet. Le Take Shelter de Jeff Nichols est depuis plus d’une semaine visible sur les écrans français et ouvre de façon tonitruante et prometteuse une année cinéma qui s’annonce assez exaltante. Quel est donc ce fameux film indépendant dont toute la communauté cinéphile semble s’émouvoir dès qu’il lui tombe sous les yeux ?

Take Shelter est avant tout une énième variation du film catastrophe. Genre qui a retrouvé une certaine vivacité ces dernières années avec des œuvres comme 2012 de Roland Emmerich, La Route de John Hillcoat, Prédictions d’Alex Proyas, d’une certaine manière l’Avatar de James Cameron ou encore le récent et définitif Melancholia de Lars Von Trier. La thématique est d’autant plus à la mode pour deux raisons principales. D’abord cette « prédiction » des Mayas qui ne va cesser de revenir tout au long de cette année comme une vieille mauvaise blague. Plus sérieusement, par ce climat actuel riche en angoisses et en évènements déprimants. Catastrophes à la fois physiques (réchauffement climatique, Fukushima l’année dernière et le tsunami indonésien en 2004) et plus insidieuses (la crise économique). Une ambiance pas très joyeuse forcément propice à des films alarmistes souvent dépressifs.  

La tempête approche  

Mais Take Shelter se démarque clairement du film catastrophe type. Ce n’est pas un gros budget produit par les studios pour sortir en grandes pompes et impressionner l’audience avec des séquences de destructions massives en CGI. Le film de Jeff Nichols se rapproche donc de la veine intimiste et « auteurisante » qu’avait exploré Lars Von Trier l’été dernier. La catastrophe à venir qui inquiète tant Curtis LaForche est encore une fois la métaphore d’un évènement dramatique à échelle humaine. Dans Melancholia, la planète éponyme fonçant droit sur la Terre reflétait, selon Von Trier, la propre mélancolie de l’héroïne s’apprêtant à détruire son mariage que relatait toute la première heure du film. Avec Take Shelter, Nichols symbolise cette crainte de l’Américain moyen face à une perspective économique des plus sombres. Si les critiques se sont délectées à lui attribuer diverses lectures (des marronniers comme la crise ou le 11/09), elles enlèvent en quelques sortes le véritable impact de Take Shelter en lui donnant un côté assez lourdaud.

Car Take Shelter traite d’une peur bien plus large. Il s’agit avant tout de la crainte universelle de tout perdre. D’avoir construit un quotidien rassurant et confortable qui se retrouve brusquement menacé, interrompu pour au final disparaitre sans crier gare. Se retrouver devant un inattendu alarmant, pas encore visible mais bien perceptible. Comme d’innombrables films américains (et pas seulement « indépendants ») depuis la fin des années 60, Take Shelter s’acharne à démonter ce « rêve américain » mis à mal par la crise financière et une quinzaine d’années de débâcle politique. Curtis LaForche est un Américain modèle : marié et père de famille, il travaille assidument afin de protéger ceux qu’il aime en leur apportant ce dont ils ont besoin. Le couple et l’enfant vivent dans une grande maison qu’ils ont eu après un bel emprunt, ont une voiture (qu’ils ont aussi eu après un emprunt) et vont à la messe tous les dimanches.

Un tableau parfait en somme qui va peu à peu s’effriter à partir du moment où Curtis commencera à faire des cauchemars de plus en plus angoissants. Des visions apocalyptiques de tempêtes monumentales aux pluies brunes et ayant tendance à rendre fou les humains que croise Curtis. Des rêves si réalistes et vivants que ce dernier en ressent les sévices au cours des journées qui suivent. Vient alors l’interrogation principale qui sert de ligne directrice à Take Shelter : Curtis LaForche est-il en train de sombrer dans une complète paranoïa héréditaire, sa mère en étant atteinte depuis qu’il est enfant, ou bien ces cauchemars sont-ils le signe de quelque chose de plus profond encore ? Un « don » de prédiction qui lui permettrait de ressentir l’imminence d’une catastrophe ? Le spectateur, tout comme le personnage principal, est dans le doute le plus total pendant plus d’une heure et demie. L’obsession de Curtis dans sa nouvelle mission (réaménager l’abri anti-tornade de son jardin), au point d’y sacrifier ses économies, d’empêcher sa fille sourde d’avoir enfin l’opération qui lui permettrait d’entendre et de mettre sa famille dans une situation financière instable, ferait plutôt pencher la balance en faveur de la folie.

Devenant de moins en moins sociable, se méfiant tout d’un coup de ses proches dès qu’il rêve d’eux tentant de le tuer, Curtis LaForche apparait vraiment aux yeux du spectateur comme un fou. Il se posera une question essentielle au cours du long-métrage : en pleine nuit, il descendra de la voiture où dorment sa femme et sa fille pour admirer un menaçant orage qui gronde au loin et se demandera à voix haute « s’il est le seul à voir ça ». Visiblement oui, son ami Dewart ne réagissant pas quand son ami sursaute à chaque coup de tonnerre qu’il croit entendre. D’autant plus que ces visions commencent à disparaitre au fur et à mesure qu’il se reprend en charge. Avant de replonger de manière encore plus abrupte dans la démence. Marqué par un fort traumatisme puisqu’il avait été abandonné par sa mère en pleine crise de paranoïa lorsqu’il était enfant, Curtis refuse de fuir en laissant sa famille. La séquence où, furieux, il met en garde tous ces « aveugles » qui se moquent de lui et qui refusent d’anticiper la tempête qui approche, est un morceau de cinéma tétanisant.  

Tous aux abris  

La séquence dans l’abri anti-tornade est la plus importante et la plus émouvante du long-métrage. Enfin achevé et amélioré, celui-ci peut alors être utilisé par Curtis pour protéger se famille s’une soudaine tornade. Dans un grand moment de satisfaction, il leur montre tous ce qu’il a prévu comme pour se rassurer lui-même qu’il a bien fait de ruiner sa famille pour la mettre à l’abri de tous les dangers, même les plus improbables (il les force à porter des masques à gaz). Persuadé que la fin du monde est enfin arrivée comme il l’avait ressenti, il refuse ensuite de sortir de l’abri en déclarant à sa femme et sa fille qu’il entend encore le tonnerre. Mais celles-ci lui refusent de le suivre dans sa crainte. Et c’est sa femme qui l’aidera à accepter le fait qu’il n’y ait plus rien à craindre et qu’il doit faire face à ses craintes. La véritable métaphore de la tempête apparait donc là : il s’agit de cette image du couple qui s’apprête à se morceler. Néanmoins, si la tempête menace leur couple, elle peut aussi les réunir comme avant.

Si le film avait eu l’intelligence de s’arrêter à ce moment où Curtis sort de l’abri pour accepter et affronter le monde extérieur, il aurait pu accéder au rang de chef d’œuvre. L’ennui c’est que Nichols y ajoute dix minutes qui viennent gâcher l’ensemble et font apparaitre la structure du film comme quelque chose de terriblement mécanique. En évitant de spoiler, on peut dire que la séquence finale est perceptible dès la dixième minute. Une fin semblable à celle de A Serious Man mais dénuée de tout l’impact, le mysticisme et l’ironie qui faisaient le sel de la dernière séquence du film des frères Coen. Une structure mécanique car ces nombreuses scènes de cauchemars reviennent avec la rigueur d’un métronome lors du long-métrage, comme si elles étaient les étapes d’un décompte final funeste. Une fois que l’on a compris le principe, le rythme languissant du long-métrage cesse d’instaurer une atmosphère de mystère pour renforcer l’idée d’un manque d’âme. Take Shelter est un peu une machine trop bien rodée, un brin répétitive et dont la finalité ne surprend à aucun moment. Cette séquence finale n’arrivent qu’à défoncer des portes ouvertes en élucidant explicitement cette question principale et en apportant très lourdement un sous-texte alarmiste juste bon à exciter la presse avide d’analyse critique post 11/09.

Faut-il pour autant démolir le film à cause de ses dix dernières minutes et de ses quelques baisses de rythme venant en grande partie de cette structure narrative automatique ? Bien évidemment que non, car l’émotion arrive clairement à passer par un magnifique duo d’acteurs. D’abord Michael Shannon, gueule étrange du cinéma américain qui s’est spécialisé dans les rôles d’illuminés entre World Trade Center d’Oliver Stone, The Runaways de Floria Sigismondi, Les Noces Rebelles de Sam Mendes et évidemment Bug de William Friedkin. On pense d’ailleurs beaucoup à ce dernier film, huis clos paranoïaque sur un thème similaire et qui était un peu plus efficace et traumatisant que le long-métrage de Nichols. Shannon confirme son talent d’immense acteur, à la fois subtil et inquiétant, et Nichols lui permet de casser quelques peu son image, le rendant plus « humain » que dans ses rôles précédents en le montrant en tant que « père de famille ». Il y a ensuite la sublime Jessica Chastain qui commence brillamment 2012 après une très belle année ayant vu sa révélation tonitruante et soudaine entre The Tree of Life de Terrence Malick, L’Affaire Rachel Singer de John Madden, Killing Fields d’Ami Canaan Mann, La Couleur des sentiments de Tate Taylor et Coriolanus de Ralph Fiennes (qui ne tardera pas à sortir en France). Elle irradie Take Shelter dans son rôle de mère et femme aimante, un peu comme elle l’avait fait dans le film de Malick.

Si la mise en scène de Nichols se rapproche souvent d’un naturalisme à la Malick, son Take Shelter lorgne néanmoins plus vers la filmographie de M. Night Shyamalan. Phénomènes et surtout l’impressionnant Signes viennent immédiatement en tête : drames intimistes se déroulant en grande partie à la campagne, où l’irruption brutale du fantastique a avant tout comme objectif de ressouder une cellule familiale divisée. Si l’on ajoute à cela des séquences fantasmagoriques marquantes et une bande son assez envoutante, il n’y a aucune raison pour ne pas considérer Take Shelter comme le premier grand film de cette année.

NOTE : 7,5 / 10 

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