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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 10:31

Titre original : Saving Mr. Banks

Film américain sorti le 5 mars 2014

Réalisé par John Lee Hancock

Avec Emma Thompson, Tom Hanks, Colin Farrell,...

Biopic, Drame, Comédie dramatique

Lorsque les filles de Walt Disney le supplient d'adapter au cinéma leur livre préféré, "Mary Poppins", celui-ci leur fait une promesse... qu'il mettra vingt ans à tenir ! Dans sa quête pour obtenir les droits d'adaptation du roman, Walt Disney va se heurter à l'auteure, Pamela Lyndon Travers, femme têtue et inflexible qui n'a aucunement l'intention de laisser son héroïne bien aimée se faire malmener par la machinerie hollywoodienne. Mais quand les ventes du livre commencent à se raréfier et que l'argent vient à manquer, elle accepte à contrecoeur de se rendre à Los Angeles pour entendre ce que Disney a imaginé. Au cours de deux semaines intenses en 1961, Walt Disney va se démener pour convaincre la romancière. Armé de ses story-boards bourrés d'imaginations et de chansons pleines d'entrain composées par les talentueux frères Sherman, il jette toutes ses forces dans l'offensive, mais l'ombrageuse auteure ne cède pas. Impuissant, il voit peu à peu le projet lui échapper. Ce n'est qu'en cherchant dans le passé de P.L. Travers, et plus particulièrement dans son enfance, qu'il va découvrir la vérité sur les fantômes qui la hantent. Ensemble, ils finiront par créer l'un des films les plus inoubliables de l'histoire du 7ème art...

Après le faux biopic sur Hitchcock montrant comment le cinéaste bedonnant avait fabriqué son célèbre Psychose, voici le faux biopic sur Walt Disney qui nous relate comment il est parvenu à produire Mary Poppins. Plus passionnant, moins fixé sur la transformation physique de ses acteurs, un peu mieux réalisé et émotionnellement plus dense que son prédécesseur, ce film au demeurant prévisible refuse de sortir des sentiers battus pour nous montrer ces personnalités "réelles" comme autre chose que des figures désincarnées. Reste une belle démonstration sur la nécessité de la compromission dans le processus de création, ainsi qu'un beau portrait de père(s).

C'est un fait : le biopic est un genre qui est en train de s'épuiser à Hollywood. Non pas qu'il n'y ait plus de grandes personnalités, décédées ou encore vivantes, qui vaillent la peine que l'on transpose leur vie sidérante sur le grand écran dans de majestueuses et tape-à-l'oeil fresques historico-dramatico-romanesques. Mais le biopic lui-même, qui excitait il y a encore peu les critiques et les professionnels au cours de cérémonies à récompenses lors desquelles on décernait tous les honneurs imaginables aux meilleurs représentants annuels du genre, commence à montrer ses ficelles parfois racoleuses - métamorphoses époustouflantes des acteurs qui se font parfois au détriment de leurs performances (le maquillage se chargeant de remplacer leur jeu) ; reconstitutions historiques fastueuses qui en mettent plein la vue ; musique pompière ; scénarii prenant la forme de longues chroniques bourrées d'éllipses, ce qui révèle ainsi les limites du format cinématographique pour s'adonner à des récits biographiques complets. 

Ne jouons pas les hypocrites : il y a bien eu des biopics transcendant ces codes ou étant suffisament malins pour jouer avec afin de les retourner à leur avantage. Parmi eux, on peut citer le formidable Amadeus de Milos Forman sur Mozart, l'impressionnant Ali de Michael Mann ainsi que le récent Lincoln de Steven Spielberg qui, parce qu'ils condensaient leurs narration sur un épisode de la vie de la personne représentée, parvenaient à en dire plus sur ces icônes que s'ils avaient choisi de prendre leur temps pour relater leur parcours dans leurs moindres détails. En France, malgré l'ampoulé et surcôté La Môme d'Olivier Dahan sur Edith Piaf et l'insupportablement prétentieux Gainsbourg - vie héroïque de Joann Sfar, on a quand même réussi à avoir le hautement recommandable Cloclo de Florent Emilio Siri, histoire foisonnante et nuancée du fameux chanteur populaire des années 1960-70. Mais lorsqu'un modèle tend à s'épuiser temporairement (car gageons qu'il reviendra à la "mode"), ce que semble attester cette année le désaveu aux Oscars et aux Golden Globes de l'académique et pantouflard Majordome du mauvais réalisateur Lee Daniels (Precious et Paperboy, ne l'oublions jamais), il faut réinventer la recette. Et à Hollywood, les producteurs et les décideurs en tout genre s'en sont fait une spécialité.

Une mini-révolution a eu lieu de manière discrète l'année précédante avec le Hitchcock de Sasha Gervasi. Le film a tenté de jouer dans la cour des grands mais n'a pas tout à fait réussi à impressionner les Academy Awards. Peu importe, il s'est offert un beau petit succès populaire en pervertissant le biopic. Par un budget moindre d'abord, ce qui impliquait de condenser l'histoire sur un épisode de l'existence d'une célébrité afin de ne pas alourdir l'addition avec de couteux décors. Une échelle plus minimaliste qui ne devait cependant pas le priver de replacer des acteurs de renommé sous des prothèses asphyxiantes tandis que ces derniers se félicitaient d'obtenir un personnage aussi prestigieux à incarner. L'autre modification dans la formule a été de bouleverser la tonalité de l'intrigue. Auparavant, on faisait dans le drame avec un grand "D" : une "success story" où une célébrité atteignait la gloire avant de redescendre inévitablement de son piedestal pour trouver une rédemption finale plus ou moins réjouissante. La structure narrative, typiquement américaine, était celle du "rise and fall" (littéralement "l'ascension et la chute"). Si celle-ci est encore présente de manière beaucoup plus diffuse, car cela reste avant tout un fil narratif fort et éprouvé depuis des siècles au point qu'on l'apprend par coeur dans les bonnes écoles de scénaristes, elle n'amène pas un degré tragique. Ces faux biopics ne sont plus des fresques solennelles mais des "feel-good movies".

Ces longs métrages joyeux destinés à plaire à tout prix au public, qui le lui rend bien en assurant un triomphe bienveillant à ce type d'ouvrages souvent aussi divertissants qu'anecdotiques, semblent être devenus la nouvelle norme du biopic. Enfin, la grande nouveauté qu'amenait Hitchcock, c'était que, pour l'une des premières fois, on s'intéressait moins à la célébrité au centre de l'intrigue que sur ce qu'elle a tenté d'accomplir. Contrairement à ce que son titre laissait croire, Hitchcock ne racontait rien sur Alfred Hitchcock, ni même sur sa filmographie si l'on omettait une poignée de clins d'oeil attendus. Hitchcock parlait de Psychose et de la manière dont ce classique terrifiant était née après une grossesse compliquée. Saving Mr. Banks semble être son héritier direct, celui qui va essayer de conférer ses lettres de noblesse à ce nouveau type de making-of, non plus destinés aux archives ou à la catégorie des bonus promotionnels qui aggrémente les DVD et les Blu-ray mais aux grands écrans de cinéma. Des making-of "king size" qui ne sont parfois pas moins manipulateurs que leurs confrères de plus petite taille, y compris lorsqu'ils se drapent sous le prétexte falacieux de lever le voile sur ces coulisses absolument pas romancées.

De nombreux journalistes et cinéphiles se sont offusqués à partir des années 1960 et 70 - période qui vit venir les premiers réalisateurs nés après la création du cinéma - de voir de plus en plus des longs métrages méta-filmiques dans lesquels les cinéastes reprenaient des morceaux de vieux films pour les remodeler selon leurs goûts ou les aspirations du moment. Spielberg et George Lucas avec le cinéma d'exploitation de l'âge d'or hollywoodien (Star Wars, Indiana Jones, les diverses productions Amblin) ; Brian De Palma et Hitchcock justement ; l'encyclopédique Martin Scorsese ;... Jusqu'à aboutir à la décennie 1990 avec ces artistes adeptes de la citation cinématographique comme Quentin Tarantino et les frères Coen (pour ne citer que les meilleurs qui ne représentent malheureusement que la belle partie émergée d'un abominable iceberg). Les années 2000 verraient-elles bien une crise de l'originalité comme ne le cessent de le répéter les mauvais prédicateurs cinéphiliques qui découvrent soudain que Hollywood a toujours aimé s'adonner aux suites et aux "remakes", y compris lors des intouchables premières décennies - forcément glorieuses et inventives en toutes circonstances - du 7ème art ? Quoiqu'il en soit, cette spirale méta-filmique a atteint un nouveau stade que l'on pouvait presque considérer comme inévitable : après les films recopiant et parodiant des films, voici venu le temps des films sur un film.

Les "remakes" n'ont pas bonne presse dernièrement. Chaque nouvelle tentative est démolie aveuglément, surtout lorsque l'original est enveloppé d'une aura quasi-sacrée, et l'on fait fi des possibles qualités que peuvent occasionnellement apporter ces nouvelles relectures - Evil Dead par Fede Alvarez au lieu de Sam Raimi, Robocop par José Padhilla au lieu de Paul Verhoeven et Old Boy par Spike Lee au lieu de Park Chan-wook sont de bons exemples de "remakes" récents condamnés à l'avance et dont les années à venir leur permettront peut-être d'apparaître sous un meilleur jour une fois que toute l'excitation occasionnée par leur fabrication se sera atténuée. Comme les producteurs ne peuvent se permettre de refaire une valeur sûre comme Psychose sans entrainer une terrible levée de boucliers, Gus Van Sant en sait quelque chose, ce qui pourrait potentiellement gêner l'exploitation au box-office de la "chose", et là c'est Spike Lee qui en sait quelque chose depuis un mois, on fait un film qui parle de Psychose. Ainsi, on bénéficie de la célébrité de l'oeuvre en question sans (forcément) en recopier la structure, ce qui aurait agacé les puristes.

On en vient alors enfin à ce Saving Mr. Banks, traduit par un idiot Dans l'ombre de Mary - La promesse de Walt Disney qui oblitère complètement le contenu véritable du film de John Lee Hancock. Tout d'abord sur le cas Disney puisque le film, comme on vient de le répéter, est un faux biopic sur le gigantesque homme d'affaires et le légendaire producteur précurseur de dessins animés entrés dans l'inconscient collectif. Financé par son propre studio, le long métrage évite soigneusement de mentionner les nombreux aspects épineux et polémiques qui entourent ce fascinant personnage. Le grand biopic sur Disney reste à faire mais il est peu probable qu'il voit le jour pour des raisons alambiquées de droits. Même s'il est interprêté par la star Tom Hanks, acteur mutin et jovial ce qui en dit long sur la volonté de représenter un Disney idéalisé et adorable, le producteur est réduit à un second rôle qui est cependant parfaitement introduit dans le récit par le biais de son célébrissime et redoutable sens du "merchandising". On n'apprendra rien du passé de l'illustre bonhomme si ce n'est au détour d'une séquence certes capitale dans l'intrigue. On ne verra presque rien de son Disneyland. On ne verra de ses studio que la même salle dans laquelle tenteront de travailler les quatre co-scénaristes. On ne verra presque pas la fabrication du film lui-même ou sa réception et l'on s'en tiendra à sa pré-production, pourtant elle-aussi survolée puisque réduite à la portion congrue de deux semaines alors qu'elle a durée vingt ans.

La "promesse" du titre français n'est mentionnée qu'au cours d'une ligne de dialogue, et ce, même si elle sera finalement liée à la "révélation" servant de dénouement. Et Mary Poppins, si son nom est cité un nombre incommensurable de fois, n'est en fait physiquement pas si présente. On ne la voit presque pas sous les traits de Julie Christie - ou d'une actrice supposée l'interpréter - et son pendant réel qui inspira l'auteure n'est visible à l'écran au mieux une dizaine de minutes. Car ce n'est pas tant de Poppins dont il est question que de Mr. Banks. Ou plutôt des "Mr. Banks", ces pères qui tentent de rester honorables aux yeux de leurs enfants mais qui ne sont en fait que des êtres faillibles craignant plus que tout l'échec et la dureté du monde réel. C'est Mr. Banks lui-même dans le récit de Mary Poppins qui se fait aveugler par des banquiers aguicheurs. C'est Walt Disney en personne qui craint de ne pas respecter la promesse qu'il a faite à ses filles (adapter Mary Poppins au cinéma) devant les refus répétés de l'auteur pour lui attribuer les droits d'exploitation ; il demande justement à ce que l'on attribue une moustache au personnage dans sa version cinématographique afin d'expliciter sa parenté avec ce "double" de fiction. 

C'est enfin et surtout le propre père de l'auteure Pamela Travers, alcoolique rêveur brisé par la réalité mais qui cherche vaille-que-vaille à faire bonne figure devant ses deux enfants. Ce dernier est incarné avec beaucoup de tendresse et de réussite par un Colin Farrell prouvant une nouvelle fois qu'il devrait poursuivre avec ces rôles de dépressifs romantiques dans des films moins friqués (au hasard, l'excellent Bons Baisers de Bruges et Les 7 Psychopathes dans lesquels il était parfait) au lieu de tenter en perdant son temps d'être la tête d'affiche de "blockbusters" complètement abrutis (coucou Total Recall de l'incapable Len Wiseman !). C'est lui, et non Walt Disney ou Pamela Travers, qui est le vrai "héros" de Saving Mr. Banks. C'est lui la clé et le coeur de ces trois oeuvres que sont le roman "Mary Poppins", son adaptation cinématographique et le film de Hancock.  

Il se trouve là, le véritable intérêt de ces making-of narratifs que sont Hitchcock et Saving Mr. Banks : se servir de la genèse d'un film pour raconter les affres de la création artistique, son origine souvent traumatique, la nécessité de faire des compromis pour construire un chef d'oeuvre (surtout lorsque deux univers ou visions opposés sont obligés de coopérer ensemble),... C'est un joli lot de consolation qui permet à ces projets anecdotiques mais sciemment modestes - à l'image de la musique de Thomas Newman qui ne se foule pas trop - de demeurer aussi sympathiques. Comme tout bon "feel-good movie" rodé, la larme n'est jamais très loin du large sourire béat. On ressort de la salle heureux car tout finit par un "happy end" en chanson, comme le craignait Travers au sujet de la transposition de son histoire par le "niais" et coloré Disney. Mais contrairement à l'auteure raide, brillamment incarnée par une Emma Thompson guindée et très drôle qui se rachète une conduite après ses malheureuses récentes expériences de cinéma, on n'aura pas trop envie de s'en plaindre. Pour cette fois encore en tout cas. Car attention à l'indigestion si des producteurs mal-avisés venaient à avoir des idées comme Francis F. Coppola - Hystérie dans la jungle, James Cameron - Le naufragé du Titanic ou encore Terry Gilliam - Lost in la Mancha. Oh, attendez une minute,...

6 / 10

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