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29 mars 2014 6 29 /03 /mars /2014 11:33

Film américain sorti le 29 janvier 2014

Réalisé par Jean-Marc Vallée

Avec Matthew McConaughey, Jared Leto, Jennifer Garner

Drame, Biopic

L'histoire vraie de Ron Woodroof à Dallas, Texas, en 1986. C'est un cow-boy, un vrai, avec ses bottes et son Stetson. Sa vie : sexe, drogue et rodéo. Tout bascule quand, diagnostiqué séropositif, il lui reste trente jours à vivre. Révolté par l'impuissance du corps médical, il recourt à des traitements alternatifs non officiels. Au fil du temps, il rassemble d'autres malades en quête de guérison : le Dallas Buyers Club est né. Mais son succès gêne et Ron doit alors s'engager dans une bataille contre les laboratoires et les autorités fédérales. C'est son combat pour une nouvelle cause... et pour sa propre vie.

L'archétype du film à récompenses avec son sujet fort tiré d'une incroyable histoire vraie et ses prestations sidérantes livrées par des acteurs investis jusqu'au bout de leurs ongles. Mais si l'on pouvait craindre un énième biopic lambda ou un nouveau drame tire-larmes facile sur le SIDA, il n'en est en fait rien tant le traitement va régulièrement à l'encontre des clichés. Jamais complaisant ou racoleur, le nouveau film du cinéaste canadien est un success story qui, au lieu de montrer la déchéance d'un malade condamné, s'interresse plutôt à représenter sa paradoxale renaissance face à une mort ineluctable.

Autant le dire tout de suite : il était parfaitement légitime de craindre le pire de la part de ce biopic. Tout d'abord parce qu'il s'agit d'un genre cinématographique plutôt éculé qui, s'il a livré quelques lumineux chefs d'oeuvre, a surtout engendré une flopée de films artificiels, incomplets, partisans et/ou ampoulés. Qui dit biopic implique intrinsèquement la caution "tirée d'une histoire vraie" qui assure au projet une pseudo-crédibilité qu'il bafoue pourtant allègrement à coups de ficelles narratives aussi grossières qu'agaçantes. Qui dit biopic dit aussi "performances d'acteurs". Des comédiens qui ne se contentent pas de "jouer" mais d'"être". Au programme on retrouve alors régulièrement de grosses pertes ou prises de poids, beaucoup de postiches et un excès ostentatoire d'expressivité afin de ressembler - ou du moins d'imiter voire de singer dans les pires des cas - aux personnalités réelles qu'ils doivent incarner. Quand on ajoute que ce film-ci est une reconstitution historique et un drame sur le SIDA, les dents des spectateurs les plus avertis ont commencé à crisser tant on pouvait flairer le coup bassement marketing.

Le nouveau film du réalisateur canadien Jean-Marc Vallée, à qui l'on doit le remarqué C.R.A.Z.Y., cumule malheureusement ces aspects rébarbatifs. On connait la recette et on sait que ça ne va pas faire dans la dentelle afin de bouleverser la ménagère, et ce, même si la tête d'affiche, qui a bien vingt-cinq kilogrammes de moins que d'habitude, reste Matthew McConaughey, soit le meilleur acteur américain à l'heure actuelle. De fait, Dallas Buyers Club a fait un triomphe dans la plupart des cérémonies prestigieuses qui se sont déroulées aux Etats-Unis pendant ces trois derniers mois, et pas toujours uniquement dans la catégorie d'interprétation sur laquelle ce type de films a trop tendance à se reposer. Pourtant, par bien des aspects, le film de Vallée est très loin des stéréotypes. D'abord par sa crudité - ce film clairement "R" commençant directement par un intense rapport sexuel entre le héros, une prostituée et une hypothétique tierce personne masculine (Dallas Buyers Club se gardant de trancher définitivement sur l'homosexualité peut-être refoulée de Ron Woodroof, ce qui rend sa relation avec son accolyte Rayon pour le moins piquante). Aussi par son apparence esthétique jamais pompière et souvent peu encline - pour des raisons de budget limité - à s'adonner à des effets de lumière et à des cadrages aussi alambiqués à mettre en place que tape-à-l'oeil à admirer (seul le montage peut dérouter dans le bon sens du terme). D'une certaine manière, si l'on reste dans le cadre du "film à oscars", le dernier long métrage de Vallée est bien moins proche du célèbre et excellent Philadelphia de Jonathan Demme que de l'atypique anomalie que représente le "crade" Macadam Cowboy de John Schlesinger. Dallas Buyers Club n'a pas ces airs de film "prestigieux" et propret comme les affectionnent généralement les vieux votants de l'Académie.

Doit-on par contre vraiment revenir sur l'argument de vente principal du film de Vallée, à savoir McConaughey ? L'acteur prometteur des années 1990, qui avait débuté chez Steven Spielberg pour le mineur Amistad et chez son "poulain" Robert Zemeckis dans l'étrange et difficile à aimer Contact, avait vu sa carrière prendre un (mauvais) tournant décisif lorsqu'il se fit damner le pion par Leonardo DiCaprio pour le rôle de Jack Dawson dans le monumental Titanic de James Cameron. Après une décennie désastreuse passée à tenir le premier rôle de pathétiques comédies romantiques et de films d'aventure de seconde zone dans lesquesl il devait se contenter de tomber la chemise pour émoustiller les spectatrices de tout âge, il a fait un retour remarqué grâce au thriller judiciaire La Défense Lincoln où il parvenait enfin à rappeler qu'il pouvait aussi (et avant tout) être une bête de charisme à la fois séduisante et trouble. Le beau gosse texan venait de fissurer son image de bellâtre pour la pervertir. Cette brusque réapparition sur les radars des cinéphiles lui a permis de judicieusement enchainer sur des projets parfois risqués mais toujours à même de mettre son grand potentiel d'acteur sur le devant de la scène au détriment de son impressionnant torse musclé.

Après le très noir et corrosif Killer Joe de Willam Friedkin où il incarnait ce qui reste à ce jour son rôle le plus extrême, McConaughey a trouvé son plus beau personnage en tenant la vedette du magnifique Mud de Jeff Nichols. Et quand il ne brillait pas dans un premier rôle, il parvenait sans aucun mal à voler la vedette à des stars du box-office en n'apparaissant que quelques minutes dans Magic Mike de Steven Soderbergh et dans Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese où il réussissait carrément à tenir tête à son ancien rival DiCaprio qui était pourtant le centre d'attention de ce show iconoclaste et impertinant. 2014 est son année et les festivités commencent avec ce Dallas Buyers Club - bien que le long métrage soit techniquement sorti l'an dernier aux USA pour des raisons évidentes de course à l'oscar. Si l'on ne parlait que de lui lors de la très récente diffusion de True Detective, la série évènement de Cary Fukunaka qui disposerait évidemment de moultes autres atouts, et qu'il devrait être propulsé au rang de "star internationale" en novembre prochain grâce à l'épopée de S.F. Interstellar réalisée par Christopher Nolan, c'est Dallas Buyers Club qui lui a accordé la consécration de ses pairs. Certes, on pourra retorquer que ce rôle est le plus facile à récompenser de sa carrière puisqu'il accumule quelques poncifs de la Méthode (amincissement, dévotion complète au personnage, crise de larmes, SIDA,...).

Mais McConaughey ne tombe pas dans le piège de l'outrance pachydermique à l'inverse du Precious de Lee Daniels. En cela il est aidé par Vallée qui refuse de capitaliser de façon sadique et voyeuriste sur la transformation physique de son acteur. A l'exception d'une scène à l'hôpital, la maigreur effarante de McConaughey n'est pas mise en valeur. Elle ne sert pas à impressionner le spectateur qui n'a pas besoin de l'admirer sous toutes ses coutures pour se rendre compte du degré d'implication du comédien. Elle est avant tout là pour servir ce portrait, le rendre crédible sans qu'elle ne soit surlignée ou qu'elle ne prenne la place de l'interprétation elle-même. Idem pour cet autre caméléon jusqu'au-boutiste qu'est Jared Leto. Adepte du yoyo en termes de "masse corporelle", s'éclatant encore plus qu'un Christian Bale pour ce qui est de la préparation pour un rôle et passant d'un extrême à un autre sans se soucier des risques envers sa santé, Leto atteint ici un record personnel avec le transsexuel Rayon. Néanmoins, si la métamorphose reste époustouflante sur bien des points de vue - plus fin que jamais et complètement maquillé, Leto y est plus méconnaissable que jamais - elle n'oblitère pas l'excellent "jeu" de l'acteur.

Contrairement à ce que bon nombre de cinéastes putassiers aurait pu faire, Vallée refuse de tomber dans le misérabilisme alors que toute son histoire s'y prêterait : lente décrépitude de ces corps faméliques rongés par la maladie, l'addiction aux drogues, les tourments de l'homosexualité à une époque où cela était très tabou,... De manière plus surprenante et intelligente encore, Vallée adopte carrément la démarche inverse : là où l'apparence de Tom Hanks dans Philadelphia se dégradait au fur et à mesure que la maladie prenait le dessus sur lui, celle de McConaughey ne fait que s'améliorer en ne cessant de repousser cette sinistre date terminale que lui a décerné un docteur au début de l'intrigue. Là où toutes les histoires relatant des combats contre une maladie incurrable montre la déchéance du personnage qui le mène, à l'instar de Philadelphia mais aussi du très charmant 50/50 de Jonathan Levine, le film de Vallée dévoile comment l'état de santé et la joie de vivre de Ron Woodroof s'accroissent depuis qu'il est pleinement conscient du peu de temps qu'il lui reste. On ne se sent jamais aussi en vie que lorsque l'on est sur le point de la quitter.

Ce sursis, Woodroof va le consacrer à une belle cause à moitié perdue comme les affectionne l'Amérique. Le petit homme y affronte ainsi les toutes puissantes firmes pharmaceutiques, plus intéressées par le profit des pillules qu'elles contrôlent que par leur efficacité sur les patients. Cet énième avatar d'Erin Brockovich y perdra quelques plumes car - à l'instar des fabriquants d'armes et de tabac - on ne peut attaquer impunément l'industrie du médicament, surtout quand des sommes astronomiques sont en jeu. Néanmoins, si le film est un tel succès populaire malgré son apparence morbide qui aurait pu rebuter le grand public, c'est parce que cette défaite judiciaire inévitable s'accompagne d'un accomplissement et d'une victoire humaine à la fois sur la maladie et les mentalités. Peu importe que ce premier pas n'est pas été "parfait" puisqu'il permettra à d'autres, plus assurés, de poursuivre une longue et juste marche. Passant de redneck homophobe et macho pour devenir escroc à grande échelle avant de se transformer en porte-parole des opprimés, Woodroof accomplit un parcours rédempteur qui ne peut laisser qu'admiratif. Et le film de Vallée de se transformer en "hit" poignant et engagé, maniant aussi bien les touches salvatrices d'humour avec une bonne dose d'émotions. Une réussite sur plein de niveaux alors que les pièges du conformisme étaient nombreux.

7 / 10

 
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