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7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 18:23

Film américain sorti le 5 juin 2013

Réalisé par M. Night Shyamalan

Avec Jaden Smith, Will Smith, Sophie Okonedo,…

Science-fiction, Aventure

Après un atterrissage forcé, Kitai Raige et son père, Cypher, se retrouvent sur Terre, mille ans après que l’humanité a été obligée d’évacuer la planète, chassée par des évènements cataclysmiques. Cypher est grièvement blessé, et Kitai s’engage dans un périple à haut risque pour signaler leur présence et demander de l’aide. Il va explorer des lieux inconnus, affronter les espèces animales qui ont évolué et dominent à présent la planète, et combattre une créature extraterrestre redoutable qui s’est échappée au moment du crash. Pour avoir une chance de rentrer chez eux, père et fils vont devoir apprendre à œuvrer ensemble et à se faire confiance…

Drôle de parcours que celui de M. Night Shyamalan. A la fin des années 1990, ce cinéaste américain d’origine indienne était désigné comme le « nouveau Spielberg ». On ne saurait donner tort au journaliste l’ayant affublé d’un tel sobriquet : goût pour un cinéma fantastique abordé sous l’angle de la cellule familiale, relation conflictuelle entre les enfants et les parents, obsession pour les peurs enfantines et la fin de l’innocence, spiritualité,… Les thèmes sont parfois similaires bien que les méthodes de mise en scène de Shyamalan soient encore plus cadrées et contrôlées que chez un Spielberg dont la réalisation est pourtant déjà loin d’être improvisée et naturaliste. En 1999, Shyamalan déferlait comme un raz-de-marée sur le box-office mondial avec le célébrissime Sixième Sens. Si, après coup, on tenta de limiter assez bêtement l’impact du long métrage à son « twist » désormais largement éventé, ce film de fantômes représente malgré tout l’un des sommets du genre ainsi que l’un des plus émouvants longs métrages fantastiques faits ces quinze dernières années. Le cinéaste remit ça avec son chef d’œuvre, Incassable, où Bruce Willis livrait une seconde prestation tétanisante qui lui permit de sauver temporairement une carrière alors sur la pente descendante. Aujourd’hui encore, ce film tout aussi intimiste que le précédent, est l’un des plus beaux longs métrages sur les super-héros.

Vinrent ensuite deux films que les critiques considérèrent de manière plus nuancée. Preuve que l’effet Shyamalan commençait à s’estomper. Pourtant, Signes, malgré quelques faiblesses, était une belle relecture cinématographique de l’invasion extra-terrestre une poignée d’années avant La Guerre des Mondes de Spielberg qui lui emprunta quelques séquences et images horrifiques tout en allant encore plus loin que le film de Shyamalan. Ce fut l’occasion pour Mel Gibson de livrer l’une de ses plus belles performances avant son pétage de câble qui mit un sérieux frein à sa carrière d’acteur et à sa carrière de brillant metteur en scène. Le Village enquillait encore plus de défauts mais demeurait un conte malgré tout assez fascinant, notamment au cours de sa première heure. Les trois films suivants amenèrent Shyamalan à être cloué au pilori. Ça a d’abord commencé avec La Jeune Fille de l’eau, où l’on commença (probablement à raison) à taxer Shyamalan de mégalo prétentieux. Puis Phénomènes déchaina les passions et le réalisateur perdit définitivement l’appui des critiques et du public. Pas aidé par un scénario plutôt aberrant et par un Mark Wahlberg complètement paumé, Phénomènes amenait à croire que Shyamalan s’enfermait dans un trip artistico-autistique qui ne faisait mousser que lui. Shyamalan adapta enfin l’excellente série animée « Avatar », retraduit à cette occasion par Le Dernier Maître de l’air pour éviter toute confusion avec le film de James Cameron, dans le vain espoir de livrer son Star Wars. Autant dire que le faible score de ce long métrage au box-office mis un terme très rapidement à son rêve de saga d’« heroïc fantasy ».

On avait laissé Shyamalan à ce stade-là. Son projet des « Night Chronicles », une trilogie de films fantastiques basés sur des pitchs bien à lui mais réalisés par quelques sous-fifres, prit l’eau dès la sortie du premier épisode, Devil, très oubliable série B dans un ascenseur qui n’eut le droit qu’à un fort mépris du public et de la critique. L’ex « golden boy » d’Hollywood était raillé, réduit à un simple « gimmick » (ces « twists » garnissant soi-disant ses longs métrages et qui seraient l’unique raison de leurs succès), et son propre nom serait parait-il hué par le public américain lorsqu’il apparait dans une bande annonce. On pensait Shyamalan détruit mais il s’est miraculeusement retrouvé à la tête d’un projet de science-fiction à 130 millions de dollars. L’ennui pour lui, c’est que le seul à lui avoir fait confiance est Will Smith. La mégastar afro-américaine devait être heureuse de récupérer un réalisateur en perdition qui lui serait totalement dévoué par le simple fait qu’elle lui donnait une dernière chance. Cela amena After Earth, un film produit par la famille Smith, pour la famille Smith, écrit par Will Smith (il est du moins à l’origine de l’histoire), pour mettre en valeur le papa Smith et son fiston destiné à lui succéder. Un projet donnant une furieuse envie de vomir quand on y ajoutait les soupçons de propos scientologues au cœur de l’intrigue, sachant que l’acteur principal serait, officieusement, l’un des membres les plus prestigieux de la secte aux côtés de Tom Cruise.

En gros, tout le monde avait des raisons de haïr ce film et tout le monde voulait lui tailler un costard, l’auteur de cette critique le premier. Le résultat se fit attendre et ne transpirait pas l’assurance. Les producteurs d’After Earth firent instaurer un blocus pour qu’aucun avis critique ne débarque deux ou trois jours avant la sortie du long métrage. Dans le même cas qu’Oblivion, autre film post-apocalyptique avec une star scientologue arpentant une Terre dévastée, cela signifiait soit que le film renfermait un rebondissement majeur qui pouvait nuire au succès du long métrage s’il était dévoilé malencontreusement, soit qu’After Earth était si médiocre que l’on ne voulait pas annihiler ses faibles dernières chances de faire un carton très éphémère. Manque de pot : After Earth, contrairement à bon nombre de films de Shyamalan, n’est pas un film à « twist ». Face à cette foi absolue des producteurs dans leur film, ce dernier s’est ramassé et reçu un bide énorme (l’un des plus gros de la carrière de Will Smith). Livré en pâture, le film allait enfin se faire démolir par les journalistes, les détracteurs de Shyamalan, ses anciens fans et les adorateurs de Will Smith qui découvrirent, outrés, que leur idole restait prostrée sur le même fauteuil pendant les trois quarts du long métrage. La boucherie pouvait commencer, pas de quartier pour Shyamalan !

Pourtant After Earth est-il vraiment aussi minable que ce que veulent faire croire tous les très nombreux détracteurs du film ? Est-il vraiment moins digne d’intérêt qu’un Jack et le chasseur de géant par un Bryan Singer à l’ouest ou qu’un Iron Man 3 dégueulant son cynisme à la figure d’un spectateur n’en demandant pas tant ? Attention ! Le film de Shyamalan est loin d’être parfait. Son premier quart d’heure fait craindre le pire et la toute dernière séquence se morfond dans le cliché ringard. Ses effets digitaux ne sont pas non plus très convaincants, d’autant plus lorsque l’on se souvient de la direction artistique irréprochable de son rival Oblivion. M. Night Shyamalan a toujours préféré l’intimisme et n’est donc pas un cinéaste du grand spectacle. Sixième Sens et Incassable étaient des drames à hauteur d’homme où l’un amenait très sporadiquement ces apparitions fantomatiques et où l’autre était dénué d’acte super-héroïque. Shyamalan est un cinéaste qui joue sur le hors champs et l’invisible : le bois hanté et les monstres qui se cachent autour du « Village », les extraterrestres de Signes qui n’apparaissent qu’à la fin de ce film se déroulant quasi-intégralement dans une ferme, le vent tueur dans Phénomènes,…

Shyamalan, malgré sa tentative de monter un grand projet fantastique comme L’Odyssée de Pi, n’est pas un brillant manipulateur d’effets spéciaux comme le sont Cameron, Spielberg ou Guillermo Del Toro. Lui donner trop de moyens pour « montrer » lui fait paradoxalement perdre un peu de ses capacités. Néanmoins, peut-on condamner la facticité de ses CGIs si l’on en dédouane Jack et le chasseur de géants ? De ce que l’on peut voir des « trailers » du Man of Steel de Zack Snyder, ses effets spéciaux sont loins d’être aussi photoréalistes que ceux perceptibles dans les bandes annonces bien plus convaincantes d’un Elysium de Neil Blompkamp ou d’un Gravity d’Alfonso Cuaron. Cela n’empêche pas le prochain Superman de rendre complètement dingue d’impatience une vaste communauté « geek » à travers le monde (peut-être à raison, mais ça, nous ne le saurons que dans deux semaines). Si la réussite des effets spéciaux, voire leur intemporalité, peut participer aux succès d’un « blockbuster »  (Jurassic Park de Spielberg récemment ressorti et qui n’a pas pris une ride, Abyss ou Titanic de James Cameron), elle n’est pas non plus fondamentale quant à la puissance du film si ce dernier dispose d’une mise en scène rythmée et évocatrice qui fait passer sans aucun problème la pilule (Mission Impossible - Protocole Fantôme de Brad Bird étant le dernier grand exemple).

Et à ce petit jeu-là, Shyamalan en a encore sous le coude. Même au plus bas de sa carrière, le bonhomme est capable de livrer des plans recelant une force iconographique qui met à terre l’intégralité des carrières de « yes men » sans intérêt ou de téléastes surcotés, J.J. Abrams et Josh Whedon en tête, (rien que le « teaser » du Dernier Maître de l’Air était plus iconique que des pans entiers de leurs films). After Earth est gavé de moments forts et de choix de mise en scène à la fois audacieux et assumés. En soi, la monumentale erreur des producteurs et des gars du « marketing » aura été d’avoir vendu After Earth comme un « blockbuster ». A ce titre, le dernier né de Shyamalan est l’un des films « grand public » les plus singuliers qui sortira sur les écrans cette année. After Earth est en fait l’antithèse d’Oblivion. Là où ce dernier misait sur sa direction artistique phénoménale au détriment d’une narration mécanique à « twists » réduisant à néant son audacieux postulat de départ, le film de Shyamalan, parfois au détriment de ses effets numériques, s’en tient jusqu’au bout à son récit minimaliste et perd ainsi de sa capacité à être « spectaculaire » tout en gagnant par contre largement sur le terrain émotionnel.

Il n’y a qu’à voir la séquence de « crash » qui intervient un quart d’heure après le début du film et qui, hormis deux ou trois plans de coupe à l’extérieur du vaisseau, est vue intégralement des points de vue du père et du fils à l’intérieur de la carlingue en perdition. L’impact est d’autant plus fort que ce parti pris renvoie aux immenses séquences de « crash » aérien dans ce chef d’œuvre tragique qu’était Le Territoire des Loups de Joe Carnahan ainsi que dans le très émouvant Flight de Robert Zemeckis (on y trouve aussi un clin d’œil à une scène très forte de Signes). Et c’est comme cela jusqu’au bout. On riait de ne voir dans la bande annonce que des morceaux de bravoure d’une échelle absurdement restreinte (le jeune héros poursuivit par une horde de babouins, un affrontement avec un fauve, une poursuite avec un aigle) à une époque de débauche pyrotechnique souvent vaine (le final d’Iron Man 3 avec ces cinquante armures téléguidées qu’on ne voit jamais, la dernière bataille d’Avengers,…). Il n’empêche qu’en gardant cette optique humaine et intimiste, Shyamalan confère aux exploits d’un jeune garçon terrifié (et non d’un énième surhomme) une viscéralité et une implication qui fait souvent défaut à ses confrères plus « grandes gueules ». Sa mise en scène développe une tension qui rend palpable un danger pouvant apparaitre comme anodin dans la plupart des « blockbusters » actuels. Tout le monde se moque de cet After Earth sans « action » alors que c’est le but même de ce film qui s’inscrit complètement dans la lignée de la filmographie de Shyamalan. Ce dernier a toujours abordé le cinéma de genre par une échelle humaine plus restreinte, moins visuellement ahurissante que très bouleversante.

After Earth, sans être un grand film, est une victime injustifiée de la vindicte cinéphilique. On s’esclaffe de l’inexpressivité de Will Smith alors qu’elle est pour une fois au centre même du film, un peu à l’instar du monolithisme de Ryan Gosling dans les deux dernières œuvres de Nicolas Winding Refn. D’autant plus que Smith parvient en fait à discrètement nuancer son jeu au fur et à mesure que progresse l’intrigue et que l’infaillibilité de ce capitaine sans peur commence à s’effriter lorsqu’il assiste impuissamment aux épreuves terribles de son fils. Il incarne un père dont le manque d’expressivité lui permet de vaincre de sinistres aliens repérant leurs proies par la peur qu’elles ressentent, ce qui le coupe intégralement de son fils plus chétif qui, après un terrible drame, a perdu complètement confiance. De même donc pour Jaden Smith, certes fils à papa vaguement tête-à-claque, qui ne démérite pas sans pour autant être le plus charismatique des héros. On pourra s’en moquer comme le reste de la masse, sauf que cette absence de présence est aussi inhérente à son personnage qui ne sait pas s’affirmer et qui est dans l’ombre de son illustre père courageux.

Et si l’on pourra regretter quelques lourdeurs venant d’autocitations de Shyamalan, notamment une apparition spectrale à la Sixième Sens qui est un peu gratuite, ainsi qu’un deux ex machina mal amené lorgnant vers un panthéisme façon Miyazaki ou Avatar, l’ensemble de ce parcours initiatique est plutôt bien rythmé et assez prenant. Et le fait qu’il se restreigne judicieusement à une durée d’une heure quarante, ce qui l’empêche de se disperser ou de brasser du vide à l’inverse de bon nombre de « blockbusters » qui ne savent plus commencer sans faire une heure d’introduction, n’y est pas pour rien dans sa réussite narrative mais aussi dans son échec commercial. On est malheureusement à une époque où l’ensemble des spectateurs est habitué à des films de divertissement surdialogués devant durer au minimum deux heures vingt pour apparaitre crédibles et amples à leurs yeux (la trilogie des The Dark Knight, le prochain Superman, SkyFall, Le Hobbit,…). Et After Earth est bourré d’idées loin d’être indigentes : la différence de gravité pour le héros qui découvre la Terre pour la première fois de sa vie, malheureusement pas assez employée au cours du récit ; le taux d’oxygène qui rend l’atmosphère terrestre difficilement respirable pour les humains ayant quitté la planète depuis un millénaire,…

Par petites touches, le film dresse un univers vaste qui laisse pleinement part à l’imagination, ce qui frustrera logiquement la plupart des spectateurs désormais habitués à un boulot prémâché et surexpliqué. D’autant plus que la Terre post apocalyptique luxuriante de Shyamalan s’impose comme l’antithèse salutaire des mondes dévastés d’innombrables films du genre comme Oblivion ou La Route, avec lequel After Earth a comme point commun d’avoir mis la relation père/fils au centre de son récit. Au final, le dernier film de Shyamalan confirme que le bonhomme a encore quelques aptitudes loin d’être négligeables et dresse une belle réconciliation entre un père et son fils qui étaient auparavant incapables de communiquer. Ces derniers vont paradoxalement se rapprocher en étant physiquement éloignés l’un de l’autre. Pour survivre, ils doivent fusionner ensemble : la voix du père guidera le corps du fils. Et lorsque celle-ci viendra à manquer, ce sera ce même corps qui devra trouver sa propre voix(e) pour arriver à ses fins et à s’imposer comme un être adulte et autonome. L’ultime étape étant alors d’affronter sa peur viscérale et ce qui l’incarne. Il est dommage qu’un film de S.F. qui se démarque autant des conventions actuelles qui gangrènent le genre soit balayé d’un revers de la main par des cinéphiles ne pouvant pas faire la distinction entre des artistes et leurs attitudes et modes de vie. Espérons que le « flop » d’After Earth ne signe pas la fin de la carrière de Shyamalan. A ce rythme-là, son unique moyen de rebondir ne viendra que de ce mystérieux projet à très petit budget sur lequel il compte enchainer.

NOTE : 6.5 / 10

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