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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 16:52

                                            

 - Titre original : Balada Triste De La Trompeta

 - Film espagnol sorti le 22 juin 2011

 - Réalisé par Alex de la Iglesia

 - Avec Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang,…

 - Drame, Comédie, Guerre 

              Dans l'enceinte d'un cirque, les singes crient sauvagement dans leur cage tandis qu'à l'extérieur, les hommes s'entretuent sur la piste d'un tout autre cirque : la guerre civile espagnole. Recruté de force par l'armée républicaine, le clown Auguste se retrouve, dans son costume de scène, au milieu d'une bataille où il finira par perpétrer un massacre à coup de machette au sein du camp national. Quelques années plus tard, sous la dictature de Franco, Javier, le fils du clown milicien, se trouve du travail en tant que clown triste dans un cirque où il va rencontrer un invraisemblable panel de personnages marginaux, comme l'homme canon, le dompteur d’éléphants, un couple en crise, dresseurs de chiens mais surtout un autre clown : un clown brutal, rongé par la haine et le désespoir, Sergio. Les deux clowns vont alors s'affronter sans limite pour l'amour d'une acrobate, la plus belle et la plus cruelle femme du cirque : Natalia...

SNDSND

            Le dernier film de l'espagnol Alex de la Iglesia est tourné depuis quelques temps et a reçu dans le territoire ibérique un véritable triomphe critique et public. Il a aussi fait le tour des festivals et y a remporté un franc succès, notamment lors du dernier festival de Venise où il a reçu le Lion d'Argent des mains de Quentin Tarantino. Il arrive enfin sur les écrans français, à une période fort peu opportune puisque, l'été étant arrivé, ces dernières semaines voient la venue des blockbusters américains. Et cela ne fera qu'accentuer le caractère « ovniesque » de ce film furieux.  

            Allons directement à l'essentiel : Balada Triste est un très grand film. Un film pas forcément facile à voir, à appréhender mais qui est essentiel, incroyablement audacieux, énergique et outrancier. Alex de la Iglesia orchestre ici l'un des mélanges de genres les plus sidérants et réussis de ces dernières années. C'est tour à tour un film de guerre, un drame romanesque, une comédie (très) noire, un film d'horreur et de monstres et un « revenge movie » ponctuée de fulgurances gores assez marquantes. Balada Triste est, avec le Tree of Life de Malick, l'un des films les plus riches (d'interprétations et d'influences) sortis ces derniers mois. Mais à l'inverse du film de Malick, le long-métrage d'Alex de la Iglesia est d'une noirceur absolue. Un immense constat pessimiste, sans illusion sur la nature violente, bestiale qui se cache dans chaque être. Une monstruosité qui n'attend qu'un déclic pour se déchainer. Une fois que l'on a franchi le pas, il est bien difficile de revenir en arrière.  

            Le film se pose comme un duel tiré tout droit d'un western. Deux personnages apparemment opposés vont en effet s'affronter. Le premier est Javier, le « clown triste ». Celui-ci n'a pas eu d'enfance : il a assisté à l'horreur de la guerre, a vu son père devenir fou et a contribué à sa mort en tentant de le venger. Face à ce lourd passé, il est condamné à ne pas faire rire les enfants autrement qu'en étant humilié par le clown souriant, véritable vedette du spectacle. Ce dernier s'appelle Sergio et, bien que l'on ne sache rien de son passé, il est tout aussi sombre que son comparse. Alcoolique, très violent, vulgaire, il dispose pourtant d'un talent inné pour faire rire les enfants. Il les aime d'ailleurs véritablement. Le seul problème comme il le dit, c'est que s'il n'était pas devenu clown il serait devenu psychopathe. Les deux clowns se révèlent cependant assez similaires : volonté de dépasser et d'annihiler les souffrances et la violence qui se cache au fond d'eux par le biais de l'humour et en rendant les enfants joyeux ; amour pour une même femme ; une nature monstrueuse qui n'attend qu'un élément déclencheur pour éclater au grand jour.…  

            L'objet de convoitise est l'acrobate Natalia, jouée par la sublime Carolina Bang. Au départ elle est perçue comme une magnifique femme battue par son terrible petit ami (Sergio). Une princesse en détresse pour laquelle Javier tombe sous le charme qui va s'acharner à sauver. Mais assez rapidement, au détour d'une séquence dans un restaurant qui est la meilleure du film, Natalia se révèle bien plus ambigüe et perverse. Une femme qui aime vivre (trop) dangereusement et qui aime souffrir d'une certaine manière. Une femme qui cherche l'amour, la protection mais de préférence toujours accompagnée d'un coup de poing.  Une femme qui est attirée à la fois par le « bon » et la « brute », incapable donc de choisir sans éprouver par la suite un manque. Cela entraine inévitablement la souffrance des deux hommes. Une souffrance telle qu'elle va les transformer littéralement en monstre. La séquence en montage parallèle convoque deux figures devenues célèbres par les productions Universal des années 20 et 30. Le « loup-garou » Javier se cache dans une tanière perdue en forêt après avoir tenté de tuer Sergio et est condamné, pour survivre, à chasser et à dévorer les cerfs qu'il croise. Son long séjour dans la nature déteindra sur sa peau qui noircira. Le visage mutilé et recousu de Sergio après cette violente agression convoque la figure du monstre de Frankenstein et la scène de l'opération fait directement écho à celle de la création du célèbre monstre.  

            La note d'intention était claire dès le départ avec un générique de début énergique qui entrecroisait les photos réelles de l'Espagne franquiste (et donc des partisans de Franco) avec ceux des monstres du cinéma à l'époque (dont le loup-garou et Frankenstein). Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Balada Triste renvoie au très célèbre Freaks de Tod Browning. Les transformations des personnages en monstres ivre de violence se font ainsi à même la peau, Javier se taillant et se mutilant le visage afin d'avoir un masque « indélébile » (moment gore sidérant). Un masque effrayant qui marque sa chute dans la folie bestiale, la même dans laquelle était tombé son père lors d'une séquence d'introduction tétanisante et à la fin de sa vie. Le film entre alors dans sa seconde partie dans une sorte d'hystérie ultra violente, une sorte de massacre grand guignolesque particulièrement dépressif. Une immense spirale dans lequel plonge les deux personnages sans aucun espoir de retour et qui est intiée par la chanson de Raphaël, qui donne le titre au film d'Iglesia, tiré du long-métrage espagnol des années 70 Sin un adios.  

            Tout comme le magnifique Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro se servait de la guerre civile espagnole comme d'un arrière-plan qui faisait écho à son histoire fantastique et au parcours de la jeune héroïne, Balada Triste insert quelques évènements historiques dans sa trame principale. Javier assistera à une bataille entre les résistants et l'armée fasciste, il rencontrera Franco et lui mordra la main (il est à ce moment littéralement traité comme un chien par un homme qui le retient prisonnier afin de se venger d'une blessure qu'il a reçu de Javier des années auparavant). Une autre scène marquante voit le clown triste en pleine démence qui assiste à l'attentat qui tua en 1973 Carrero Blanco, successeur de Franco, et que l'on attribue à l'ETA. Scène assez irréelle où l'on assiste au vol d'une voiture au-dessus d'un toit et où le clown demande aux supposés terroristes de « quels cirques ils sont ». Le monde est un manège, une foire morbide, un jeu de massacre perpétuel où les clowns, chargés pourtant de faire rire et de faire oublier le malheur qui nous entoure, tirent sur la foule à coup de mitraillette et effraient les enfants.  

            Si la mise en scène des séquences des actions est parfois un poil hasardeuse (caméra secouée et images accélérées), Balada Triste regorge de séquences oniriques marquantes. Comme ce plan où le jeune Javier qui regarde son père être emmené par les milices armées alors qu'apparait derrière lui un lion placide, ou encore ce cortège funèbre qui voit toute la troupe du cirque, dont les animaux, apporter le corps de Sergio au médecin. L'une des plus impressionnantes est le cauchemar de Javier, qui le poussera au meurtre, qui flirte avec une imagerie volontairement grotesque et outrancière. Elle est, malgré l'horreur qui s'en dégage, révélatrice de l'humour très sombre mais très efficace qui traverse le film. Un humour désespéré comme dernier rempart contre cette déshumanisation de la société ; à noter que le « running gag » avec « Ghost Rider » est assez savoureux. Cela amène Balada Triste à revêtir des allures de gigantesque farce subversive accompagnée d'une bande originale réussie et rythmée.  

            Le dernier film d'Alex de la Iglesia prend une dimension assez bouleversante dans son dernier quart d'heure lorsque cette lutte à mort arrive à son terme, entrainant avec elle un final qui ne peut être heureux. Là encore, les références cinéphiles sont très fortes puisque Iglesia convoque Alfred Hitchcock avec Sueurs Froides et La Mort aux Trousses au cours de l'ascension vertigineuse du trio sur une croix immense sous laquelle repose les cadavres des travailleurs forcés de la construire par le régime franquiste. Entre les escaliers en colimaçon et les visages démesurés des statues, les deux clowns se livrent à un affrontement effrayant pour garder la « belle ». Cette scène renvoie évidemment à cet autre classique du film de monstre qu'est King Kong. La séquence se conclue, après un apogée de démence et de violence, par une chute vertigineuse, dramatique, bouleversante qui fait définitivement basculer le film dans la plus noire des tragédies. Et les derniers plans, faisant un écho inverse aux rires des enfants qui ouvrent le long-métrage, restent parmi les plus traumatisants vus sur un écran ces derniers mois.   

            Balada Triste rejoint sans problème le panthéon des tragédies grotesques, outrancières et furieuses dans lequel on retrouve le Scarface de Brian de Palma, le U-Turn d'Oliver Stone et dans une moindre mesure le Showgirls de Paul Verhoeven. Un film d'une richesse visuelle et thématique impressionnante, qui est à deux doigts de tomber dans le mauvais goût tout en réussissant à conserver un certain équilibre, et qui propulse Alex de la Iglesia comme l'un des plus grands réalisateurs européens actuels. Une immense claque qui dresse un portrait d'une noirceur absolue de l'humanité et qui hantera pendant quelques temps le spectateur qui aura fait le bon choix d'aller dans une des petites salles qui le diffusent. Et Balada Triste confirme une chose : les clowns sont bien des monstres comme les autres. 

NOTE à 8 / 10

SNDSND

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commentaires

B
Une grosse surprise en 2011, ça fait du bien du cinéma indépendant complètement déluré mais d'une telle teneur artistique, et d'un tel souffle.
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