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31 juillet 2012 2 31 /07 /juillet /2012 20:33

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/19/04/20135961.jpg

Titre original : Holy Motors

Film français sorti le 04 juillet 2012

Réalisé par Leos Carax

Avec Denis Lavant, Edith Scob, Kylie Minogue,…

Drame

De l'aube à la nuit, quelques heures dans l'existence de Monsieur Oscar, un être qui voyage de vie en vie. Tour à tour grand patron, meurtrier, mendiante, créature monstrueuse, père de famille... M. Oscar semble jouer des rôles, plongeant en chacun tout entier - mais où sont les caméras ? Il est seul, uniquement accompagné de Céline, longue dame blonde aux commandes de l'immense machine qui le transporte dans Paris et autour. Tel un tueur consciencieux allant de gage en gage. À la poursuite de la beauté du geste. Du moteur de l'action. Des femmes et des fantômes de sa vie. Mais où est sa maison, sa famille, son repos ?

     

Holy Motorsétait la très grande sensation de ce dernier festival de Cannes. Au point que bon nombre de critiques internationaux présents sur la Croisette pronostiquaient avant la Cérémonie de Clôture que le dernier long-métrage de Leos Carax remporterait la Palme d’Or. Peine perdue puisque le jury présidé par Nanni Moretti n’a pas daigné lui décerner la moindre récompense. Qu’à cela ne tienne puisque Holy Motors ne fait que s’ajouter à la liste interminable des grands films boudés par les cérémonies décernant des prix à l’époque de leurs sorties. Il faut néanmoins reconnaitre que le pitch du film ne rassure pas quant à la compréhension de la dite-œuvre qui semble assez déconnectée du grand public ; un genre de films qu’adule pourtant le plus célèbres Festival de cinéma du monde.

Pas facile d’accès, Holy Motors de Carax l’est certainement. On aurait cependant tord d’intellectualiser à outrance son propos. Holy Motors fait plutôt parti de la catégorie « cinéma sensitif » où il y a plus de sensations, d’impressions à décoder de ses mystérieuses images et histoires que du sens rationnel ou des messages bavards à proprement parler. Holy Motors, c’est du cinéma visuel plutôt que la représentation imagée des pages interminables d’un script rempli de dialogues pompeux et faussement nébuleux. On pourrait aussi dire qu’Holy Motors, c’est du cinéma sur le cinéma. Un mélange à la fois audacieux et étonnamment bien dosé de genres cinématographiques qui auraient pourtant tout pour ne pas s’accorder ensemble.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/19/04/20137408.jpgEvènement organisé

Mais Holy Motors est en premier lieu un film évènement et ce, même si son exploitation en salles n’a pas été des plus florissantes ni remarquées. L’évènement tient surtout dans l’accueil que lui ont réservé la presse spécialisée et la communauté cinéphiles pour lesquelles l’attente au sujet du projet était des plus fébriles. La raison est assez simple et tient en deux mots : Leos Carax. Jeune cinéaste français prodige qui avait signé Mauvais Sang au début des années 80, dans lequel jouait déjà l’acteur kamikaze Denis Lavant, il avait été élevé au rang de génie du septième art avant que son ambitieux et très couteux Les Amants du Pont-Neuf ne déroute la critique et ne rencontre pas son public. Carax se fera définitivement  clouer au pilori avec son Pola X sorti il y a plus de dix ans. Depuis, et excepté sa participation au projet Tokyo ! où il réalisait un moyen-métrage aux côtés de Michel Gondry et du génial Bong Joon-ho, c’était le silence radio le plus total.

Comme toute traversée du désert, d’autant plus messianique que c’était la presse cinéma qui en avait été en grande partie l’instigatrice, on a impatiemment attendu le retour triomphal de Carax aux affaires. Resté longtemps mystérieux et obscur, Holy Motors alimentait beaucoup de fantasmes. Beaucoup trop sûrement si l’on en juge les réactions dythirambiques (ou outragées selon le magasine), comme si les journalistes-critiques avaient eu peur de voir leurs attentes déçues. A peu de choses près, Holy Motors était un chef d’œuvre par avance. Il aurait été inconcevable pour eux qu’il ne le soit pas. Carax ne pouvait que revenir avec quelque chose de grandiose. D’où peut-être un certain nombre de réactions hystériques et souvent patriote, une fois n’est pas coutume, où l’on qualifiait déjà régulièrement Holy Motors comme le meilleur film de 2012.

Dire que cela est légèrement précoce et vraisemblablement exagéré ne revient pas à mépriser le film de Carax. Le film avait un sujet bien trop vaste et ambitieux pour pouvoir être complètement abouti. Il est, de temps à autres, victime de ses boursoufflures, de sa vitalité trop débordante, de son excès de zèle. Est-ce que dire cela revient à rejeter l’ensemble d’Holy Motors ? Bien sûr que non. Il s’agit seulement de remettre certaines choses en perspective en rappelant qu’un chef d’œuvre instantané est excessivement rare (le dernier remonte au Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron sorti en 2006) et que le meilleur critère pour définir une œuvre artistique comme tel, que ce soit dans le domaine du cinéma, de la littérature, de la musique, de la peinture, de l’architecture et probablement bientôt du jeu vidéo, est sa capacité à durer et à murir dans l’esprit des gens. Pas d’emballement prématuré donc.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/86/96/20158050.jpgImperfections audacieuses

Holy Motorsest imparfait. Il est difficile d’affirmer que tous les « rendez-vous » de ce Monsieur Oscar sont de qualités égales. Certains trainent un peu en longueur et ont parfois un intérêt des plus relatifs. Mais ils font tous preuve d’une audace et d’une ambition formelle devenue très rare dans notre bon vieux cinéma hexagonal qui n’aime rien tant qu’à produire d’infantilisantes comédies mal écrites et ringardes prévues pour le « prime time » de grandes chaines TV, noyant ainsi la flopée annexe de films « d’auteurs », prétentieux, ennuyeux et faibles formellement et thématiquement parlant, mis en scène par d’innombrables cinéastes trentenaires inconnus sortis d’école de cinéma « bien de chez nous » avant qu’ils ne sombrent ensuite définitivement dans l’anonymat le plus absolu pour le plus grand bien du spectateur.

Pour le coup, il s’agit du deuxième film français de 2012, avec Cloclo de Florent Emilio Siri, à lier parfaitement sa mise en scène et son propos sans mettre de côté de façon méprisante l’un des deux éléments. En effet, Holy Motors est ce qui se fait de mieux actuellement dans le cadre du cinéma français ambitieux. Le genre d’œuvres qui manque depuis l’assez étourdissant Enter the Void de Gaspar Noé. Les deux films ont quelques points communs. Le premier, et n’ont des moindres, est de se vouloir comme des expériences sensorielles. Dans les deux cas cela fonctionne avec plus ou moins de réussite mais on ne peut leur nier leurs immenses travails en termes de mise en scène et de direction artistique. La précision et l’attention portée à la photographie chez Carax en remontre à la plupart des « cinéastes » français dont l’inventivité dans ce domaine est bien piètre.

Enter the Voidet Holy Motors relatent aussi le voyage de héros qui errent, à leurs façons, dans une métropole sublimée par l’œil des deux cinéastes. Autant le dire tout de suite, cela fait très longtemps que Paris n’avait pas été à ce point magnifiée par un réalisateur, Carax évitant complètement la vision « cliché-touriste » qu’on peut avoir de la Ville Lumière ; vision qui était par exemple présente dans l’intéressant Minuit à Paris de Woody Allen qui en faisait déjà la critique. Devant la caméra de Carax, Paris se transforme en une ville étrange, à la fois fascinante, inquiétante et accueillante. Une vision décalée qui contribue déjà à l’originalité mais aussi à la réussite d’Holy Motors.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/19/04/20137409.jpgPerformance Capture

A leurs manières, Enter the Void et Holy Motors sont des films de science-fiction français. Le film de Noé, en plus de se dérouler dans une ville de Tokyo qui avait tout de la mégalopole à la fois luminescente et sordide de Blade Runner,  était en lui-même futuriste par la machinerie qu’il mettait en place afin de retranscrire à l’écran les visions délirantes et impossibles de son héros. La filiation avec la S.F. est un peu plus marquante chez Carax. Son principe de base, que le spectateur doit accepter au préalable pour bien apprécier et assimiler le long-métrage, aurait tout du postulat d’un ouvrage d’anticipation écrit par Philip K. Dick. Imaginez un futur pas si lointain où le monde aurait la même apparence avec malgré tout cette légère touche d’étrangeté qui fait qu’il n’est pas tout à fait identique et appréhendable. Un monde où la miniaturisation et le cinéma virtuel auraient permis de faire définitivement disparaitre la caméra pour faire du septième art (cela pourrait-il d’ailleurs encore s’appeler comme ça ?).

Un monde où des acteurs chevronnés sillonnent les rues dans leurs immenses limousines gadgétisées, symboles de leurs célébrités, pour s’élancer dans des rôles grandeur nature et exigeant une implication totale. Plus de trucage, les caméras (celles de Carax, celles d’Holy Motors) sont devenues invisibles. Seul compte la performance. La beauté du « geste ». Vers la fin du long-métrage, Michel Piccoli demandera d’ailleurs dans sa courte scène pour qui cette beauté est perceptible : l’homme qui performe ou l’homme qui regarde la performance ? On comprend alors aisément pourquoi Holy Motors est un film de cinéma sur le cinéma. Un long-métrage qui pousse la mise en abime et l’analyse de son média au rang de concept central. L’acteur ne triche plus : il fait ressentir et ressent. Et pourtant il triche bien puisque Lavant et Carax font encore ce « vieux cinéma » à la logistique balourde.

 Le cinéma qui représente Holy Motors va encore au-delà du stade de la « performance-capture » qui a aussi droit à son propre segment. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, la « performance-capture » consiste à affubler à un acteur une combinaison moulante remplie de capteurs servant à enregistrer ses mouvements, ses « gestes », pour les attribuer à un être recrée par  ordinateur. Le résultat est ainsi de permettre à cette création numérique d’avoir une mobilité et une expressivité naturelle que les animateurs seraient incapables, malgré tout leur savoir-faire, de lui conférer. Outre le fait que la séquence soit absolument hypnotique, passionnante, dérangeante, charnelle (Monsieur Oscar et une somptueuse demoiselle faisant mine, quoique, de copuler afin de permettre la réalisation d’une image de deux extraterrestres mutants hypersexués en train de s’interpénétrer), il faut aussi féliciter Leos Carax d’avoir mieux expliquer le principe de la « performance capture » en un seul travelling magnifique et évocateur que toute la presse ciné pendant ces deux dernières années (elle balayait même auparavant d’un revers de la main ce procédé dont elle ne comprenait pas l’intérêt).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/86/96/20158045.jpgAvatars

Ce voyage, s’il traverse plusieurs univers, est avant tout un voyage personnel, symbolique, ayant trait à l’intime. Ce Monsieur Oscar a beau être acteur, c’est avant tout un homme à la recherche d’émotions, de sensations et qui se plonge dans la vie et les aventures d’autrui pour les vivre par procuration (un peu comme le spectateur). C’était déjà l’un des thèmes principaux de l’Avatar de James Cameron où un jeune marine handicapé plongeait son esprit, par le biais d’une technologie très avancée, dans un corps mobile qui n’était pas le sien (un avatar). Des avatars, Monsieur Oscar en aura plusieurs à travers ses « rendez-vous ». On croit d’abord avoir affaire à un businessman, la limousine se justifiant ainsi que le terme de « rendez-vous ». Puis à un tueur à gage, Monsieur Oscar allant de contrat en contrat à la manière du personnage de Tom Cruise dans le Collateral de Michael Mann où ce dernier traversait L.A. la nuit dans un taxi afin d’éliminer les cinq cibles pour lequel il avait été payé.

Monsieur Oscar deviendra ainsi « Mr Merde », créature monstrueuse à peine humaine qui était déjà le centre du segment de Tokyo ! réalisé par Carax. Le ton change ainsi pour laisser place à une farce grand guignolesque et horrifique où Carax revisite « La Belle et la Bête » en confrontant cet ignoble être difforme qui baragouine et une mannequin-madone dorée ayant les traits d’une Eva Mendes qu’on attendait tout sauf là. C’est probablement l’un des segments les moins intéressants et les moins efficaces, mais il apporte un bouffée humoristique, très noire certes mais non négligeable. On peut aussi enlever la séquence où Oscar incarne un père vieillissant déçu par l’attitude de « sa » fille. Même dans les situations les plus communes de la vie, Oscar doit vivre par procuration. La scène est plutôt émouvante mais elle s’étire en longueur inutilement.

Là où Holy Motors devient particulièrement intéressant, c’est dans les épisodes qui révèlent les paradoxes ou les situations absurdes qui découlent de son parti pris initial. Une courte séquence de « thriller » joue sur cette idée de « déguisement » poussé à l’extrême. Monsieur Oscar y interprète un homme qui en assassine un autre avant de déguiser le cadavre en lui-même afin de faire croire à sa propre mort. Or, le macchabé n’est pas complètement dessoudé qu’il abat son meurtrier au moment où les deux hommes sont strictement identiques. Victimes, tueurs, même personne. Le meurtrier s’est tué lui-même avant de mourir de sa propre main. Une mise en abime identitaire qui, en quelques plans bien pensés, suffit à filer le vertige.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/86/96/20158046.jpgCollision

Mais Monsieur Oscar s’ennuie. Il est fatigué et n’a plus l’énergie nécessaire pour exercer correctement son métier. Le cœur n’y est plus et il va même jusqu’à incarner un rôle qui ne lui était pas dû (où il se tue à nouveau lui-même avant de mourir). Mais cette fois-ci, l’artificialité a le temps d’être percée à jour et l’on voit sa dévouée conductrice de limousine qui lui demande de se « réveiller », de « ressusciter » avant que celui-ci ne s’exécute. Cette soudaine interaction de la « réalité », bien que l’on ne puisse pleinement certifier que cela ne soit pas dans les « script-dossiers » que Monsieur Oscar lit avant de se déguiser et de se lancer dans la performance voulue, donne lieu aux deux segments les plus intéressants du long-métrage. Le premier montre Monsieur Oscar jouant un vieux riche sur son lit de mort. A son chevet se trouve une jeune femme qui incarne d’abord son infirmière puis, après s’être changée dans la chambre d’à côté, la nièce-protégée du vieil homme. Une séquence émouvante qui se conclut évidemment par la « mort » du vieillard malade et l’effondrement de la jeune fille. Sauf que Carax fait durer la scène où les deux « acteurs » sont prostrés, immobiles, comme s’ils attendaient quelque chose. Monsieur Oscar se réveille alors et entame une discussion quasi professionnelle avec la jeune actrice qui a enfin réussi à le sortir de sa torpeur et de sa monotonie, avant de conclure en espérant qu’ils se recroiseront un jour (pour un autre rôle, pour une autre histoire, pour un autre genre).

Le second est de très loin le plus abouti du long-métrage. La séquence ne semble en effet pas faire parti de ces « rendez-vous » et pourtant il est bien impossible de déterminer s’il s’agit ou non de la réalité. La limousine de Monsieur Oscar a un accident avec une autre limousine transportant elle-aussi une star (dans notre monde mais aussi dans Holy Motors) incarnée par Kylie Minogue. Les deux performateurs, ayant déjà joué à plusieurs reprises ensemble, se retrouvent face-à-face après plusieurs années. Par des sous-entendus, on comprend qu’une histoire d’amour passionnée avait eu lieu entre eux. Mais il ne reste depuis que des regrets, des souvenirs et un vague espoir que, le temps de cette brève rencontre nocturne, cela recommence. Ayant des accents mélancoliques, le segment s’inspire de la comédie musicale puisque le personnage joué par Minogue se lance dans une chanson pour exprimer ses sentiments. Elle performe encore avant de retrouver un autre acteur pour se lancer dans son soi-disant vrai rôle pour lequel elle était venue dans les environs. N’est-il donc plus possible de discerner la réalité ? Se fait-on encore « berner » ? La conclusion de la séquence laisse planer le doute mais il semble que, malgré la réaction viscérale de Monsieur Oscar, toute cette histoire ait encore été planifiée et qu’il ne s’agit que d’un moyen-tampon pour cet homme de ressentir toutes les formes d’émotions.

Et à la fin, au moment où l’on pense que l’on va découvrir le véritable Monsieur Oscar dans son intimité, rentrant véritablement de ce boulot harassant pour retrouver sa famille, Leos Carax lance une dernière note décalée qui nous dévoile que, une fois que les caméras auront disparu, le cinéma aura envahi les rues et les vies. L’existence n’est que cinéma sans caméra, avec son lot d’absurdités, de surprises, d’émotions, d’horreurs et de tendresses. Dans le Cosmopolis de David Cronenberg, qui était aussi en compétition à Cannes cette année, le jeune multimilliardaire Eric Packer, incarné par Robert Pattinson, voyageait lui aussi toute la journée dans sa limousine-cocon immense et protégée. Il se demandait  où dormaient les limousines une fois que leurs propriétaires étaient rentré chez eux se coucher. Holy Motors apporte une réponse à cette question dans la dernière scène kitsch et amusante du film. Et bonne nouvelle, ces limousines sont aussi angoissées que nous, les hommes.

NOTE :  7,5 / 10

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/19/04/20085102.jpg

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