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1 janvier 2012 7 01 /01 /janvier /2012 00:42

Titre original : The Guard

Film irlandais sorti le 21 décembre 2011

Réalisé par John Michael Donagh

Avec Brendan Gleeson, Don Cheadle, Mark Strong,…

Comédie, Policier, Thriller

Boyle est un flic irlandais, flegmatique et solitaire, amateur de Guinness, de poésie et de prostituées à ses heures perdues. En poste dans un petit village de la côte irlandaise où il ne se passe jamais rien, il passe ses journées à faire respecter la loi... au pub local. Malheureusement pour lui, des trafiquants de drogue ont jeté leur dévolu sur cette région endormie comme base de leurs opérations... Le petit village irlandais va bientôt se retrouver au cœur d’une importante opération anti-drogue menée par le FBI ! Les mauvaises nouvelles n’arrivant jamais seules, Boyle doit se coltiner l’agent Everett, un super agent du FBI déterminé et maniaque dépêché sur place... Certes, les procédures de l'élite du FBI diffèrent de celles du flic bedonnant, peu zélé et "politiquement incorrect"... Mais après tout, la méthode "locale" pourrait bien fournir des résultats inattendus !

 

Quentin Tarantino ne devait pas savoir au début des années 90 à quel point il allait influencer toute une génération de cinéastes. Ces derniers, biberonnés à tous les types de cinéma, avaient comme envie de mélanger des genres qui n’avaient apparemment pas grand-chose en commun. Bon nombre d’entre eux se sont limités à ne commettre que de pales ersatz (Robert Rodriguez en tête), mais d’autres ont réussi à faire preuve d’une plus grande subtilité. C’est le cas de John Michael McDonagh avec son Irlandais.  

On pourrait brièvement présenter le film comme une comédie policière mélangée audacieusement avec du western tout en conservant les spécificités de son décor : l’Irlande profonde. En gros, c’est un peu un long-métrage qu’aurait pu réaliser Tarantino s’il avait décidé de filmer en Europe. Néanmoins cette description très sommaire ne joue pas en faveur du film de McDonagh. L’une des originalités de L’Irlandais est de transposer ce faux western dans son propre Ouest européen. Cette pointe extrême de l’Europe occidentale apparait comme une nouvelle « Frontière ». Il y a ses propres « indigènes », ses propres communautés, ses propres « shérifs » et ses propres brigands arpentant les régions désolées de l’île. La musique a aussi de façon récurrente l’accent des bandes sonores d’Ennio Morricone pour les « spaghettis » de Sergio Leone. 

L’histoire est, en elle-même, des plus classiques : un policier ronchon se retrouve obligé de faire équipe avec un « jeunot » venu d’Amérique pour résoudre une grande enquête. Cette dernière est elle aussi très basique et ne constitue pas en soit un intérêt particulier. Ce qui est véritablement intéressant en premier lieu, c’est cette peinture si atypique de l’Irlande. C’est surtout en second lieu le portrait de ce « vieux » flic grincheux. Et cette interrogation suivante, formulée par l’agent du FBI Wendell Everett, servira de fil rouge au long-métrage : l’officier Gerry Boyle est-il « le roi des cons ou un grand malin ? » Pense-t-il vraiment tous ses propos racistes, outranciers voire carrément crétins ou se complait-il dans cette attitude provocante visant seulement à masquer son pessimisme, sa vision noire de l’homme et à amener les autres à questionner leurs propres certitudes ? 

Une question qui restera évidemment sans réponse puisque le réalisateur a l’intelligence de ne pas la donner pour laisser le spectateur libre de choisir en fonction de sa vision et de son appréhension du personnage. Un personnage haut en couleurs qui nécessitait un acteur de grand talent pour l’incarner. Et c’est l’excellent Brendan Gleeson à qui l’on a confié l’affaire. L’acteur livre une interprétation jubilatoire et réussit à rendre presqu’immédiatement attachant un personnage assez rude, prétentieux, vulgaire et exubérant. Gleeson compose un antihéros assez marquant qui prend une épaisseur insoupçonnée lors des quelques séquences, très judicieusement écrites, qui l’oppose à sa mère mourante tout aussi libre d’esprit que lui (courtes scènes en forme de pauses narratives qui sont parmi les plus réussies du film). 

A côté de ça, McDonagh ne délaisse pas les seconds couteaux. Il parvient à créer une galerie de personnages délirants jusque dans les plus petits rôles (le garçon au chien, le jeune photographe fasciné par la mort et les cadavres). Le trio de trafiquants n’est pas en reste entre le vieux chef de gang, l’homme de main psychopathe et le gangster anglais en pleine doute existentiel (excellent Mark Strong qui arrive à surprendre dans son désormais traditionnel rôle de méchant). En fin de compte, c’est vraiment Don Cheadle qui écope du rôle le plus ingrat : celui du jeune sidekick qui débarque sur une terre inconnue (ce qui le rend quelque peu inexpérimenté malgré son grade) et qui va donc apprendre les mystères et les subtilités de cette région. Un rôle nettement plus classique qui sert cependant de point référent pour le spectateur puisque c’est en partie sur lui que va se faire l’identification. 

C’est à travers son regard que le spectateur découvre ce Far West irlandais. Un regard incrédule et étonné sur ses habitants, parfois fermés sur eux-mêmes et aux réactions différentes des siennes. Un décalage renforcé par sa couleur de peau qui le démarque immédiatement du reste de la population  des villages. Avec un peu de recul, le film de McDonagh est finalement plus proche de la fibre des frères Coen : une relecture mythologique teintée d’un humour noir et absurde qui dévoile une peinture sombre et désabusé du genre humain. Une quête décalée qui aboutit à un massacre presque bon enfant ressemblant à un règlement de compte de western se déroulant dans un petit port irlandais. La dernière scène suffit à elle seule à élever le long-métrage, donnant une dimension presque mythique et fantastique au personnage de Gleeson (son apparition finale face au chef du gang dans une chambre enflammée le ferait croire tout droit sorti de l’Enfer). Et McDonagh de conclure son histoire sur une touche ironique où l’un des personnages prophétise la récupération de celle-ci, soulignant bien le caractère hors du commun de ce flic bourru, outrancier, incorruptible mais définitivement inoubliable. 

L’Irlandais confirme la bonne santé dernièrement du western (même s’il s’agit plus ici d’une vision moderne et décalée du genre). Entre True Grit et Rango, le long-métrage de McDonagh poursuit cette réflexion sur le « lonesome cow-boy », figure symbolique surexploitée jusqu’à en perdre son sens et son caractère attractif. John Wayne est mort, seuls demeurent quelques (beaux) restes destinés à faire la joie de leur « némésis », elle-aussi en pleins doutes et recherchant dans leur vie criminel un moyen de tromper l’ennui et de rencontrer un égal valeureux. En plus d’être drôlement absurde, L’Irlandais annonce la naissance d’un potentiel grand artiste en la personne de John Michael McDonagh. 

NOTE : 6,5 / 10

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