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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 15:20

Titre original : Take Shelter

Film américain sorti le 04 janvier 2012

Réalisé par Jeff Nichols

Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart,…

Drame

Curtis LaForche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d'une tornade l'obsède. Des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit. Son comportement inexplicable fragilise son couple et provoque l'incompréhension de ses proches. Rien ne peut en effet vaincre la terreur qui l'habite...

      

Il arrive enfin après quelques passages remarqués dans des festivals comme celui de Sundance ou de Deauville. Un bouche-à-oreille très flatteur l’accompagne depuis quelques mois et il a laissé une critique presse absolument extatique à son sujet. Le Take Shelter de Jeff Nichols est depuis plus d’une semaine visible sur les écrans français et ouvre de façon tonitruante et prometteuse une année cinéma qui s’annonce assez exaltante. Quel est donc ce fameux film indépendant dont toute la communauté cinéphile semble s’émouvoir dès qu’il lui tombe sous les yeux ?

Take Shelter est avant tout une énième variation du film catastrophe. Genre qui a retrouvé une certaine vivacité ces dernières années avec des œuvres comme 2012 de Roland Emmerich, La Route de John Hillcoat, Prédictions d’Alex Proyas, d’une certaine manière l’Avatar de James Cameron ou encore le récent et définitif Melancholia de Lars Von Trier. La thématique est d’autant plus à la mode pour deux raisons principales. D’abord cette « prédiction » des Mayas qui ne va cesser de revenir tout au long de cette année comme une vieille mauvaise blague. Plus sérieusement, par ce climat actuel riche en angoisses et en évènements déprimants. Catastrophes à la fois physiques (réchauffement climatique, Fukushima l’année dernière et le tsunami indonésien en 2004) et plus insidieuses (la crise économique). Une ambiance pas très joyeuse forcément propice à des films alarmistes souvent dépressifs.  

La tempête approche  

Mais Take Shelter se démarque clairement du film catastrophe type. Ce n’est pas un gros budget produit par les studios pour sortir en grandes pompes et impressionner l’audience avec des séquences de destructions massives en CGI. Le film de Jeff Nichols se rapproche donc de la veine intimiste et « auteurisante » qu’avait exploré Lars Von Trier l’été dernier. La catastrophe à venir qui inquiète tant Curtis LaForche est encore une fois la métaphore d’un évènement dramatique à échelle humaine. Dans Melancholia, la planète éponyme fonçant droit sur la Terre reflétait, selon Von Trier, la propre mélancolie de l’héroïne s’apprêtant à détruire son mariage que relatait toute la première heure du film. Avec Take Shelter, Nichols symbolise cette crainte de l’Américain moyen face à une perspective économique des plus sombres. Si les critiques se sont délectées à lui attribuer diverses lectures (des marronniers comme la crise ou le 11/09), elles enlèvent en quelques sortes le véritable impact de Take Shelter en lui donnant un côté assez lourdaud.

Car Take Shelter traite d’une peur bien plus large. Il s’agit avant tout de la crainte universelle de tout perdre. D’avoir construit un quotidien rassurant et confortable qui se retrouve brusquement menacé, interrompu pour au final disparaitre sans crier gare. Se retrouver devant un inattendu alarmant, pas encore visible mais bien perceptible. Comme d’innombrables films américains (et pas seulement « indépendants ») depuis la fin des années 60, Take Shelter s’acharne à démonter ce « rêve américain » mis à mal par la crise financière et une quinzaine d’années de débâcle politique. Curtis LaForche est un Américain modèle : marié et père de famille, il travaille assidument afin de protéger ceux qu’il aime en leur apportant ce dont ils ont besoin. Le couple et l’enfant vivent dans une grande maison qu’ils ont eu après un bel emprunt, ont une voiture (qu’ils ont aussi eu après un emprunt) et vont à la messe tous les dimanches.

Un tableau parfait en somme qui va peu à peu s’effriter à partir du moment où Curtis commencera à faire des cauchemars de plus en plus angoissants. Des visions apocalyptiques de tempêtes monumentales aux pluies brunes et ayant tendance à rendre fou les humains que croise Curtis. Des rêves si réalistes et vivants que ce dernier en ressent les sévices au cours des journées qui suivent. Vient alors l’interrogation principale qui sert de ligne directrice à Take Shelter : Curtis LaForche est-il en train de sombrer dans une complète paranoïa héréditaire, sa mère en étant atteinte depuis qu’il est enfant, ou bien ces cauchemars sont-ils le signe de quelque chose de plus profond encore ? Un « don » de prédiction qui lui permettrait de ressentir l’imminence d’une catastrophe ? Le spectateur, tout comme le personnage principal, est dans le doute le plus total pendant plus d’une heure et demie. L’obsession de Curtis dans sa nouvelle mission (réaménager l’abri anti-tornade de son jardin), au point d’y sacrifier ses économies, d’empêcher sa fille sourde d’avoir enfin l’opération qui lui permettrait d’entendre et de mettre sa famille dans une situation financière instable, ferait plutôt pencher la balance en faveur de la folie.

Devenant de moins en moins sociable, se méfiant tout d’un coup de ses proches dès qu’il rêve d’eux tentant de le tuer, Curtis LaForche apparait vraiment aux yeux du spectateur comme un fou. Il se posera une question essentielle au cours du long-métrage : en pleine nuit, il descendra de la voiture où dorment sa femme et sa fille pour admirer un menaçant orage qui gronde au loin et se demandera à voix haute « s’il est le seul à voir ça ». Visiblement oui, son ami Dewart ne réagissant pas quand son ami sursaute à chaque coup de tonnerre qu’il croit entendre. D’autant plus que ces visions commencent à disparaitre au fur et à mesure qu’il se reprend en charge. Avant de replonger de manière encore plus abrupte dans la démence. Marqué par un fort traumatisme puisqu’il avait été abandonné par sa mère en pleine crise de paranoïa lorsqu’il était enfant, Curtis refuse de fuir en laissant sa famille. La séquence où, furieux, il met en garde tous ces « aveugles » qui se moquent de lui et qui refusent d’anticiper la tempête qui approche, est un morceau de cinéma tétanisant.  

Tous aux abris  

La séquence dans l’abri anti-tornade est la plus importante et la plus émouvante du long-métrage. Enfin achevé et amélioré, celui-ci peut alors être utilisé par Curtis pour protéger se famille s’une soudaine tornade. Dans un grand moment de satisfaction, il leur montre tous ce qu’il a prévu comme pour se rassurer lui-même qu’il a bien fait de ruiner sa famille pour la mettre à l’abri de tous les dangers, même les plus improbables (il les force à porter des masques à gaz). Persuadé que la fin du monde est enfin arrivée comme il l’avait ressenti, il refuse ensuite de sortir de l’abri en déclarant à sa femme et sa fille qu’il entend encore le tonnerre. Mais celles-ci lui refusent de le suivre dans sa crainte. Et c’est sa femme qui l’aidera à accepter le fait qu’il n’y ait plus rien à craindre et qu’il doit faire face à ses craintes. La véritable métaphore de la tempête apparait donc là : il s’agit de cette image du couple qui s’apprête à se morceler. Néanmoins, si la tempête menace leur couple, elle peut aussi les réunir comme avant.

Si le film avait eu l’intelligence de s’arrêter à ce moment où Curtis sort de l’abri pour accepter et affronter le monde extérieur, il aurait pu accéder au rang de chef d’œuvre. L’ennui c’est que Nichols y ajoute dix minutes qui viennent gâcher l’ensemble et font apparaitre la structure du film comme quelque chose de terriblement mécanique. En évitant de spoiler, on peut dire que la séquence finale est perceptible dès la dixième minute. Une fin semblable à celle de A Serious Man mais dénuée de tout l’impact, le mysticisme et l’ironie qui faisaient le sel de la dernière séquence du film des frères Coen. Une structure mécanique car ces nombreuses scènes de cauchemars reviennent avec la rigueur d’un métronome lors du long-métrage, comme si elles étaient les étapes d’un décompte final funeste. Une fois que l’on a compris le principe, le rythme languissant du long-métrage cesse d’instaurer une atmosphère de mystère pour renforcer l’idée d’un manque d’âme. Take Shelter est un peu une machine trop bien rodée, un brin répétitive et dont la finalité ne surprend à aucun moment. Cette séquence finale n’arrivent qu’à défoncer des portes ouvertes en élucidant explicitement cette question principale et en apportant très lourdement un sous-texte alarmiste juste bon à exciter la presse avide d’analyse critique post 11/09.

Faut-il pour autant démolir le film à cause de ses dix dernières minutes et de ses quelques baisses de rythme venant en grande partie de cette structure narrative automatique ? Bien évidemment que non, car l’émotion arrive clairement à passer par un magnifique duo d’acteurs. D’abord Michael Shannon, gueule étrange du cinéma américain qui s’est spécialisé dans les rôles d’illuminés entre World Trade Center d’Oliver Stone, The Runaways de Floria Sigismondi, Les Noces Rebelles de Sam Mendes et évidemment Bug de William Friedkin. On pense d’ailleurs beaucoup à ce dernier film, huis clos paranoïaque sur un thème similaire et qui était un peu plus efficace et traumatisant que le long-métrage de Nichols. Shannon confirme son talent d’immense acteur, à la fois subtil et inquiétant, et Nichols lui permet de casser quelques peu son image, le rendant plus « humain » que dans ses rôles précédents en le montrant en tant que « père de famille ». Il y a ensuite la sublime Jessica Chastain qui commence brillamment 2012 après une très belle année ayant vu sa révélation tonitruante et soudaine entre The Tree of Life de Terrence Malick, L’Affaire Rachel Singer de John Madden, Killing Fields d’Ami Canaan Mann, La Couleur des sentiments de Tate Taylor et Coriolanus de Ralph Fiennes (qui ne tardera pas à sortir en France). Elle irradie Take Shelter dans son rôle de mère et femme aimante, un peu comme elle l’avait fait dans le film de Malick.

Si la mise en scène de Nichols se rapproche souvent d’un naturalisme à la Malick, son Take Shelter lorgne néanmoins plus vers la filmographie de M. Night Shyamalan. Phénomènes et surtout l’impressionnant Signes viennent immédiatement en tête : drames intimistes se déroulant en grande partie à la campagne, où l’irruption brutale du fantastique a avant tout comme objectif de ressouder une cellule familiale divisée. Si l’on ajoute à cela des séquences fantasmagoriques marquantes et une bande son assez envoutante, il n’y a aucune raison pour ne pas considérer Take Shelter comme le premier grand film de cette année.

NOTE : 7,5 / 10 

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