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8 août 2012 3 08 /08 /août /2012 00:20

http://lestoilesheroiques.fr/wp-content/uploads/2012/07/the-dark-knight-rises-poster-imax.jpg

Titre original : The Dark Knight Rises

Film américain sorti le 25 juillet 2012

Réalisé par Christopher Nolan

Avec Christian Bale, Tom Hardy, Anne Hathaway,…

Action, Thriller, Drame

Il y a huit ans, Batman a disparu dans la nuit : lui qui était un héros est alors devenu un fugitif. S'accusant de la mort du procureur-adjoint Harvey Dent, le Chevalier Noir a tout sacrifié au nom de ce que le commissaire Gordon et lui-même considéraient être une noble cause. Et leurs actions conjointes se sont avérées efficaces pour un temps puisque la criminalité a été éradiquée à Gotham City grâce à l'arsenal de lois répressif initié par Dent. Mais c'est un chat – aux intentions obscures – aussi rusé que voleur qui va tout bouleverser. À moins que ce ne soit l'arrivée à Gotham de Bane, terroriste masqué, qui compte bien arracher Bruce à l'exil qu'il s'est imposé. Pourtant, même si ce dernier est prêt à endosser de nouveau la cape et le casque du Chevalier Noir, Batman n'est peut-être plus de taille à affronter Bane…

     

         Attention, cette critique contient une certain nombre de spoilers !

C’est peu dire que The Dark Knight Rises de Christopher Nolan était l’évènement cinématographique majeur de cette année. Même le Prometheus de Ridley Scott n’avait pas engendré de telles attentes, et pourtant celles-ci étaient déjà disproportionnées avant sa sortie en salles. Les raisons sont multiples. On pourrait les résumer par le nom de Nolan mais cela ne serait pas encore suffisant. Ce dernier est pourtant devenu en dix ans le jeune réalisateur le plus puissant d’Hollywood. Le seul peut-être à avoir actuellement le statut qu’avait Steven Spielberg aux débuts des années 80. Il s’était fait remarquer très tôt avec son moyen-métrage The Following puis son premier film, l’étourdissant Memento. Il avait ensuite enchainé sur une commande de studio brillamment exécutée, le remake Insomnia, offrant par la même occasion le dernier grand rôle d’un Al Pacino depuis complètement perdu.

Le tournant se fit en 2004, lorsqu’il fut chargé par la Warner de ressusciter au cinéma la franchise Batman qui avait été humiliée par les deux étrons absolus mis en scène par l’incapable Joel Schumacher puis le Catwoman de Pitof qui constitue encore rien de moins que le pire film de super-héros de tous les temps ainsi que l’un des nanards les plus embarrassants et consternants de la décennie précédente. C’est en 2005 que sortit Batman Begins, sorte de blockbuster hybride où le meilleur pouvait croiser le pire (le final incompréhensible dans le train par exemple). Mais l’ensemble était assez enthousiasmant, révélant un univers d’une noirceur rare pour un film grand public, un casting presque sans fausse note et confirmait la patte d’un futur grand, Christopher Nolan. Le film ne marcha que correctement au box office et Nolan se lança dans un film historique relatant le duel entre deux magiciens : Le Prestige. Son chef d’œuvre indétrônable.

Mais le choc pour la critique se fit avec la suite de Batman Begins, The Dark Knight, sorti en plein été 2008. Les promesses amorcées par Nolan dans son premier opus se virent multipliées et concrétisées. On se retrouva face à un blockbuster furieux pas forcément dénué des défauts inhérents au style de Nolan (tendance à la surexplication, mollesse des corps-à-corps, froideur des personnages,…) mais qui en voyait du même coup les qualités complètement décuplées. Transcendé par un Heath Ledger livrant une interprétation proprement hallucinante et mémorable en Joker (ringardisant l’incarnation du pourtant confirmé Jack Nicholson), au point d’y laisser la vie, The Dark Knight était plus qu’un grand film de super-héros. Il s’agissait d’un immense polar urbain digne d’un Michael Mann, dressant le portrait ultra pessimiste d’une Amérique traumatisée et paranoïaque après le 11/09. Des scènes d’actions marquantes, des séquences de dialogues et de confrontations inoubliables, une histoire qui prenait une densité et une ampleur impressionnante sans jamais se perdre… Nolan venait de signer le plus gros succès de sa carrière et réussissait à emporter son blockbuster masqué jusqu’aux oscars. Enfin, deux ans plus tard, pendant la préparation du troisième et dernier opus de sa trilogie Batman, il signa Inception, un film de S.F. à très gros budget basé sur une idée complètement originale. Vendu sur son beau casting mais surtout son propre nom, Nolan prouvait qu’il avait les pleins pouvoirs et que la Warner et le public lui mangeaient dans la main.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20166913.jpgConclusion

Nolan peut faire strictement ce qu’il veut. Et comme promis il achève sa trilogie après un second épisode ayant dépassé la barre du milliard de dollars au box office, devenant ainsi l’un des films les plus rentables de tous les temps. Possédant 50 millions de dollars de budget de plus que celui de The Dark Knight, et étant plus long d’une demi-heure, The Dark Knight Rises promettait d’être une conclusion épique. Mais il manquait une chose à Nolan pour qu’il soit pleinement le « nouveau Spielberg », celui qui déchaine et rameute les foules dans les salles par la simple évocation de son nom, promesse d’un film à grand spectacle de haut standing : réaliser son 1941. Il s’agit d’un long-métrage que Spielberg réalisa en 1980, dans la foulée de ses hits successifs Les Dents de la Mer et Rencontre du Troisième Type (une commande et un film original personnel comme le furent The Dark Knight et Inception). 1941 est une comédie-chorale extrêmement ambitieuse sur la panique et le soulèvement de toute la ville de Los Angeles lorsque celle-ci se crut sur le point d’être envahie par les Japonais après l’hécatombe de Pearl Harbor. Un film trop ambitieux et foutraque qui fut un échec relatif au box office mais surtout le premier « échec » artistique de Spielberg. Pas un film honteux, mais il était loin d’être la réussite prévue, surtout par rapport aux précédents long-métrages de Spielberg.

The Dark Knight Rises est le 1941 de Nolan. Un film dont le projet était bien trop lourd et large pour les épaules d’un seul homme, aussi talentueux soit-il. Un film qui se veut tout à la fois : la conclusion de l’aventure de Batman, l’introduction de sa relève, le portrait de toute une ville et par extension d’un pays, une long-métrage s’intéressant à la révolution financière et au « mouvement des indignés », une analyse des rouages du mensonge et un blockbuster avec un grand B décrivant une prise d’otage de plus de dix millions de personnes. Un film qui part dans plusieurs directions sans forcément arriver à bons ports à chaque fois, notamment à cause des choix parfois mal avisés de son réalisateur.

Techniquement pourtant, le film ne semble pas très différent de son illustre prédécesseur. La photographie, le rythme, le montage et la mise en scène sont sensiblement similaires. Nolan a depuis quelques années l’habitude de réaliser des films dont les séquences s’enchainent, voire s’entremêlent, comme une partition de musique continue. Généralement cela fait primer l’efficacité et la rapidité sur l’empathie et l’atmosphère. C’est peut-être ce dernier point qui pose déjà problème. Aussi fragile soit-il, Batman Begins développait un univers sonore et visuel assez particulier, lui donnant les faux airs d’un polar fantastique « seventies » se déroulant dans une version revue par Nolan de la mégalopole pluvieuse de Blade Runner. Une ambiance parfois onirique et angoissante. The Dark Knight avait changé son fusil d’épaule, vraisemblablement parce que Nolan avait obtenu plus de pouvoir sur le long-métrage, et ressemblait davantage à un thriller urbain glacial et brut. The Dark Knight Rises n’a pas cette identité visuelle qui l’aurait démarqué des autres épisodes. Du moins pas pendant sa première heure.

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20183148.jpgBatman returns

La première demi-heure surprend déjà par des choix assez saugrenus. The Dark Knight Rises, comme son titre l’indique, doit raconter le retour en grâce de Batman après sa chute et sa fuite dans l’ombre, s’étant porté volontaire pour s’attribuer les crimes d’Harvey Dent-Double Face à la fin de The Dark Knight afin de ne pas faire perdre espoir au peuple de Gotham. Or, on retrouve immédiatement Bruce Wayne huit ans plus tard, déjà déchu et brisé alors que le film devait (et le fera d’ailleurs) montrer sa chute (fall) puis sa renaissance, sa remontée (rise). D’où un sentiment de répétition assez malvenu dans la seconde heure, pourtant la plus importante thématiquement et symboliquement parlant, lorsque le héros surmonte enfin sa dernière épreuve permettant son retour en grâce.

The Dark Knight Rises, malgré ce que le titre indique cette fois, est probablement le film de Batman qui montrera le moins l’Homme chauve-souris. Sur deux heures quarante, on verra le costume pointer le bout de son nez pendant moins d’une demi-heure. Les fans du super-héros auront du mal à avaler la pilule. Et pourtant, il n’est bien question que de lui malgré son absence. Les films de Burton et de Schumacher avait en effet toujours laissé la part belle aux « vilains ». Nolan avait clairement laissé bien plus de place au « vigilante » masqué avec Batman Begins dont il était, « prequel » oblige, le sujet même. La contrepartie était que les méchants recevaient le traitement que Batman avait eu au cinéma pendant une décennie : son mentor manipulateur Ra’s al Ghul disparaissait purement et simplement pendant près d’une heure de long-métrage tandis que son sous-fifre l’Epouvantail (interprété par le très brillant et fascinant Cillian Murphy) se retrouvait véritablement en arrière-plan jusqu’à voir son sort ne pas être résolu.

La donne avait un peu changé avec The Dark Knight où Nolan se focalisait moins sur la création de Batman, corolaire à la psychologie névrosée de Bruce Wayne, que sur son rôle à jouer dans la ville de Gotham. Inscrire le héros dans la ville où il sévit. « Sa » ville. C’est cette dernière qui est le sujet de ce troisième et dernier opus. Nolan change d’échelle et transforme son long-métrage en film choral, multipliant les intrigues au point de transformer Bruce Wayne en personnage secondaire (pas de Batman pendant les premiers trois quarts d’heure, Bruce Wayne disparait ensuite pendant des segments de quinze à vingt minutes). D’une certaine façon, ce parti pris est logique puisque la création de Wayne fils avait pour objectif de devenir un symbole inspirateur d’espoir et de justice pour les citoyens de Gotham city, et ce, dès Batman Begins. Dans The Dark Knight, Harvey Dent était caractérisé comme étant sa possible relève « lumineuse » et optimiste. L’incarnation pacifique et « pure » de cette inspiration de droiture et de courage que devait faire naître le sombre et violent Batman. Mais cette relève est reportée par la semi-victoire du Joker à la fin du second épisode. Gotham n’est pas encore prête pour le héros qu’elle mérite.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20183157.jpg‘Rise’

Outre donc le retour en grâce de Batman, Nolan doit aussi dévoiler l’émergence de cette inspiration citoyenne. C’est là où le bât blesse car la logique aurait voulu que ce soulèvement final pour la liberté et la justice, contre Bane et son armée de mercenaires tenant la ville en otage, implique tous les citoyens de Gotham, nourris par les récits des exploits de Batman. Mieux, la bataille aurait du montrer Batman menant les citoyens de Gotham contre leurs oppresseurs machiavéliques. Ce n’est que partiellement le cas. Batman mène bien le combat final qui se déroule le matin, obligeant ainsi Batman à se montrer au grand jour, fait inédit et hautement symbolique puisqu’il est une « créature de la nuit ». Mais cette armée de fortune n’est composée que des ex-policiers de Gotham. Aucun civil ne vient se joindre à cette révolte.

La réalité est cependant un poil moins démonstrative. Il y a bien une relève, une « inspiration » à la lutte contre les injustices et le crime. Mais celle-ci se calque sur le modèle de The Dark Knight : une incarnation humaine des inspirations de Gotham. Si Harvey Dent a échoué, c’est maintenant au tour de John Blake (très bon Joseph Gordon-Levitt). Celui-ci est un jeune policier au grand cœur qui devient inspecteur après avoir montré son aplomb et son intransigeance. Il est surtout orphelin et la première conversation qu’il a avec Bruce Wayne ne laisse que peu d’ambiguïté sur l’identité réelle de ce John Black (révélation qui est plus un clin d’œil aux fans que réellement utile au long-métrage). Blake a en effet été élevé dans un orphelinat parrainé par la famille Wayne, est en admiration devant ce multimilliardaire classe qu’il avait vu plus jeune et a surtout deviné d’un simple regard la double identité de Bruce Wayne. Cette révélation n’est certes pas très réaliste (« J’ai su car vous aviez le même regard que moi dégageant une rage enfouie »), mais elle sous-entend le lien indéfectible qui sédimente les deux protagonistes. On aura ainsi rapidement reconnu le fidèle Robin, sidekick célèbre de Batman, bien que Nolan lui réserve un sort légèrement différent.

L’ascension du personnage se fait au détriment de l’autre personnage-policier de l’univers de Batman : le commissaire Gordon (l’excellent Gary Oldman). Ce dernier aussi est brisé : sa femme l’a quitté, il est un « héros de guerre en temps de paix » sur le point d’être chassé par le maire de la ville et se retrouve à l’hôpital pendant la première heure du film après une mauvaise rencontre avec Bane et ses sbires. Son rôle retrouve néanmoins un peu plus d’importance une fois qu’il devient l’une des grandes figures résistantes et clandestines contre l’armée de Bane contrôlant Gotham City. Nolan ne déroge donc pas à sa ligne de conduite en accordant un beau traitement humain à ce personnage longtemps boudé par les films de Batman.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20183164.jpgChat-pardeuse

Nolan ressuscite aussi une autre icone de l’univers de l’Homme chauve-souris : Selina Kyle/Catwoman (bien qu’elle ne soit pas citée sous ce pseudonyme dans The Dark Knight Rises). Et ce retour est une gageure pour Nolan à plus d’un titre. La nouvelle interprète, Anne Hathaway, bonne actrice au demeurant parfois pas aidée par des choix de carrière qui ne soulignent pas forcément son talent, se retrouvait ainsi dans la désagréable position de Heath Ledger. Ce dernier avait succédé à Jack Nicholson qui avait livré une interprétation assez mémorable du Joker dans le film de Burton. Beaucoup prédisait qu’il ne serait pas à la hauteur. On sait qu’il l’a depuis largement surpassé. Le personnage de Catwoman avait été interprété à deux reprises au cinéma. Une fois par Halle Berry dans le navet de Pitof et surtout une fois par Michelle Pfeiffer qui en avait livré une version sexuée et perverse absolument inoubliable dans Batman - le défi.

Cette fois la relève n’est pas assurée bien qu’Hathaway s’en tire plutôt bien et restaure l’honneur du personnage après le carnage de Pitof. Le problème vient d’abord du peu de féminité que dégage la Catwoman de Nolan, l’un de ses plus gros points faibles de ce dernier étant de ne pas savoir filmer et écrire des rôles de femmes. Là où Burton, pourtant pas le plus lubrique des cinéastes, avait transformé sa super-héroïne en vengeresse sadomaso transpirant le sexe, le très froid Nolan affuble le personnage d’une combinaison bien zippée jusqu’au cou, d’un charisme assez limité et d’une psychologie assez fragile. Son parcours (quelque peu coupé au montage ?) n’est pas non plus d’une cohérence à toute épreuve. D’abord voleuse cynique qui se voit comme « Robin des bois », elle trahit Batman pour sa propre survie (le laissant au passage à moitié mort) avant de subitement changer de camp en voyant que la tempête qu’elle prévoyait n’est pas aussi juste et égalitaire qu’elle espérait. Au final, elle sert de deus ex machina prévisible puis de « love interest » soudain. La relation Batman/Catwoman n’est pas assez étoffée et leur amour à l’écran ne transparait qu’au cours des dernières minutes du long-métrage, comme si cela avait été imposé à Nolan par ses producteurs.

Si même dans les scènes d’actions elle est régulièrement mise en retrait, un petit détail sur sa personnalité est à noter. Là où la Catwoman de Burton était celle de ses débuts (on y voyait ses origines), la Catwoman de Nolan serait plus une voleuse sur le déclin. Une voleuse qui a brillamment œuvrée pendant les années séparant The Dark Knight à The Dark Knight Rises, mais qui sent que sa carrière est en train de ralentir et que, malgré son immense talent pour l’évasion, la police se rapproche peu à peu d’elle (« feel the heat around the corner » pour citer l’un des films préférés de Nolan). Elle est le pendant plus individualiste, quoique, du Batman de ce troisième épisode : pourchassée, fatiguée, souhaitant repartir de zéro. Là est le détail intéressant : son but est d’acquérir ce moyen miracle qui l’effacerait purement et simplement de toutes les données administratives, faisant ainsi disparaitre son lourd passif criminel. Elle s’inscrit alors dans la longue liste des personnages de Nolan tentant de fuir ce passé qui ne cesse pourtant de les rattraper et de les hanter. Une liste parmi laquelle on compte les héros de Memento, d’Insomnia, d’Inception ou encore de la trilogie Batman. Selina Kyle deviendrait ainsi le premier personnage féminin nolanien.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20166922.jpgFantômes du passé

Ce retour de bâton temporel est l’un des fils conducteurs de ce dernier épisode. Si l’accent avait été mis sur le meurtre des parents de Bruce Wayne dans les deux épisodes précédents, The Dark Knight Rises dévoile ici les répercussions des erreurs et tragédies commises dans les films précédents. Chaque acte a ses conséquences. Le commissaire Gordon se retrouve tiraillé par ce mensonge qu’il croyait « nécessaire » et qu’il avait élaboré avec Batman, ce qui a ainsi eu pour résultat d’élever le déchu Harvey Dent au rang de héros alors que l’ultime action de ce dernier avait été d’essayer de tuer le fils du commissaire. Ce mensonge a eu en outre une autre conséquence : la création du « Dent Act » (l’affiliation avec le très controversé « Patriot Act » se fera sans peine), mesure judiciaire certes efficace mais basée sur un leurre. Le fidèle majordome Alfred est lui aussi rattrapé par le geste qu’il avait accompli pour le bien, croyait-il alors, de Bruce. Il avait en effet brulé la lettre de Rachel, amie de toujours de Bruce qui fut tuée par le Joker dans The Dark Knight, où elle lui annonçait préférer vivre avec Dent plutôt qu’avec lui, amenant ce dernier à vivre persuadé qu’elle n’avait pas survécu à cause de Batman.

Plusieurs échos se font aussi avec les épisodes précédents et particulièrement avec Batman Begins, amenant le « retour » de quelques uns de ses protagonistes. Batman doit ainsi rendre les comptes des actes qu’il a commis au tout début de son aventure, ceux-ci revenant clôturer son odyssée telle une boucle. Tout le monde a quelque chose à cacher et tous fuit quelques évènements antérieurs qui les ont bouleversé. Même John Blake qui prend un pseudonyme comme pour effacer son enfance douloureuse. Même Bane qui fut emprisonné dans une diabolique prison lointaine. Même la mystérieuse et charmante femme d’affaire Miranda Tate cache quelques sombres secrets derrière son apparence d’entrepreneuse concernée par le futur bien-être de l’humanité.

On en vient au deuxième fil conducteur fondamental dans la filmographie Nolan après la « confrontation au passé » : la « manipulation ». Dans Memento, le personnage principal était victime d’une amnésie particulière, lui faisant oublier tout ce qu’il avait fait quelques minutes auparavant, et pouvait ainsi être manipulé par n’importe qui. Dans Insomnia, l’inspecteur Dormer se retrouvait à la merci du chantage d’un tueur très malin. Dans Inception, Cobb passait maitre dans l’art de créer des rêves pour y plonger ses victimes et leur extorquer, au moyen de mises en scènes très élaborées, leurs secrets les plus enfouis. Dans Batman Begins, Bruce Wayne apprenait l’art du déguisement et de la mise en scène auprès de la mystérieuse Ligue des Ombres afin d’apparaitre comme plus impressionnant et terrifiant aux yeux du commun des mortels.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/19866032.jpg‘Necessary Evil’

C’est dans Le Prestige que Nolan théorisa le mieux son idée de « manipulation », au point de faire de ce long-métrage l’œuvre quasi-matricielle, le film-clé pour la compréhension de sa filmographie. Deux magiciens rivalisaient d’ingéniosité, de trucs, d’illusions pour manipuler l’autre et l’emporter sur ce rival qu’ils détestent tant. Réussir à manipuler l’homme qui manipule. Une mise en abime assez vertigineuse et, à ce petit jeu-là, le Joker était déjà un maitre puisqu’il planifiait (même s’il se défendait de préparer quoi que ce soit) des plans en fonction des plans des autres, lui permettant de toujours gagner. Dans le domaine de la mise en scène, le colosse Bane est aussi allé à très bonne école.

Au cours des deux premières heures, le personnage de Bane est clairement l’un des plus fascinants de cette trilogie Batman. A plus d’un titre. D’abord parce qu’il est assez inattendu dans l’univers réaliste, torturé et psychologique établi par Nolan. Bane est en effet un homme à la puissance hallucinante devenu insensible à la douleur par un sérum (ici, son masque lui inocule un produit lui permettant de supporter la douleur de ses blessures passées). L’annonce de sa présence dans ce troisième épisode avait surpris tant tout le monde pensait voir en « bad guy » les personnages d’Hugo Strange ou encore de l’Homme Mystère, plus intellectuels et adéquats à la sensibilité de Nolan. On pourra longtemps pleurer sur l’absence de ceux-ci, particulièrement du premier qui n’a jamais eu la chance de voir un écran de cinéma, dont la vision par Nolan aurait pu être des plus stimulantes. Mais il faut bien avouer que son Bane est très réussi.

Il est d’abord interprété par Tom Hardy, actuellement le jeune acteur le plus talentueux au monde, qui n’en était pas à sa première transformation corporelle puisqu’il avait été révélé dans Bronson de Nicolas Winding Refn, où il incarnait le célèbre prisonnier anglais à la carrure démesurée, avant de confirmer son talent dans Warrior où il interprétait un champion de MMA au physique hallucinant. Tom Hardy était un choix tout trouvé pour l’apparence de Bane mais aussi pour sa psychologie, l’acteur ayant prouvé depuis longtemps qu’il ne se contentait pas de prouesses physiques pour livrer de grandes performances. Il insuffle ainsi à son personnage un charisme et une émotion assez inattendue, d’autant plus qu’il était contraint de porter un masque prenant la forme d’une « gueule de molosse » et qui ne lui laissait de visible que les yeux. Mais Hardy compense ce désavantage avec sa gestuelle précise et sa voix fascinante dotée d’un accent quasi aristocratique (loin de la voix caverneuse d’un Dark Vador, piège dans lequel il aurait été facile de tomber).

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20000354.jpgAscension

En soit, Bane est l’antagoniste parfait. Un choix idéal pour conclure une trilogie. Au cours de sa première aventure, Batman défaisait d’abord le mentor qui l’avait formé (Ra’s al Ghul, maître « immortel » de la Ligue des Ombres) puis il affrontait ensuite son ennemi juré devant le pousser dans ses derniers retranchements (le Joker de The Dark Knight). La logique veut que, comme dernière étape, il s’affronte lui-même. Bane peut être vu comme le « mauvais Batman » tant les deux protagonistes ont le même parcours mais une destination différente. Ils portent tous les deux un masque, ont une force surhumaine, ont été entrainé par la Ligue des Ombres et conservent tout les deux des blessures profondes qui continuent de les meurtrir.

Néanmoins, les deux adversaires se distinguent sur certains points. Tous les deux veulent relever Gotham mais l’un veut le faire par le biais de l’espoir tandis que l’autre envisage la solution plus radicale de la destruction (technique de la « terre brulée », on rase pour que l’herbe repousse mieux et plus vite). Tous les deux sont maîtres dans l’art de la mise en scène, de la dissimulation mais Bane possède un avantage non négligeable. Car si Wayne a dû apprendre à dompter l’obscurité qui lui faisait peur (comment devenir sinon une chauve-souris ?), Bane est née dedans. Il est l’obscurité. Il est né dans cette prison lointaine qui n’est qu’un immense puits dont l’escalade est quasi impossible et dont l’issue lumineuse, à ciel découvert, était à plus de cent mètres de la tête des détenus. Ainsi, il n’est pas effrayé ou dupé par les artifices qu’emploie Batman. Et tandis que ce dernier se bat avec une armure et une armada de gadgets sophistiqués, Bane utilise la force brute.

Enfin, et c’est probablement là leur différence fondamentale, Bane a accompli ce que Bruce Wayne n’est jamais parvenu à faire. On se souvient que la séquence d’introduction de Batman Begins dévoilait le jeune Bruce Wayne tombant dans un vieux puits infestés de chauve-souris. Si le multimilliardaire est parvenu à surmonter sa peur de l’obscurité et des créatures volantes, il n’est pas parvenu lorsqu’il était enfant à remonter de lui-même ce puits ; c’est son père qui est venu l’y chercher. En parallèle, Bane a grandi dans cette prison étrange et cruelle. Mais pour le coup, aucun secours ne pouvait lui venir de l’extérieur. L’issue était l’escalade vers cette sortie si près et pourtant si lointaine. A force de courage et d’espoir souvent en vain, le jeune enfant est parvenu à escalader la paroi et à en ressortir libre. Pour vaincre Bane, Bruce Wayne devra la grimper à son tour lorsque Bane, après l’avoir brisé lors de leur premier combat, l’enfermera à son tour dans cet enfer. Il devra aussi réapprendre par la même occasion à se surpasser en retrouvant le plus fort des moteurs : la peur de la mort. Moteur qu’il avait perdu au point de se lancer presqu’avec jubilation vers sa perte en revêtant son costume de Batman.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/19957663.jpg‘I will break you’

En parallèle, le plan de Bane est assez simple puisqu’il consiste à prendre la relève de Ra’s al Ghul, dont il est le fils supposé, et de poursuivre le but que ce dernier tentait d’accomplir à la fin de Batman Begins. Bane est le retour de bâton de Batman. La conséquence de sa trahison de la Ligue des Ombres et de l’élimination de son chef. Il est aussi la conséquence de ce « Dent Act » mensonger et rassurant qui faisait miroiter une tranquillité enfin restaurée à Gotham alors que la criminalité avait pris les devant et s’était réfugiée dans les bas-fonds de la ville. Il est aussi l’incarnation du désespoir citoyen à cause de cette crise financière qui ne fait qu’étaler et augmenter les différences entre les très pauvres et les riches obséquieux et arrogants. On s’est contenté de glisser la poussière sous le tapis. Bane est celui qui va retirer brutalement cette carpette en ouvrant littéralement le sol de Gotham, permettant soudain à la vermine, la misère, la vengeance, la colère, la peur et la violence de resurgir et de s’engouffrer dans les rues de la mégalopole.

Et il y met les formes, ce Che Guevara imberbe et chauve. Il se présente au monde tel un libérateur au service du peuple oppressé, avide de dévoiler les duperies d’une administration et d’une élite sociale qui se cramponnaient désespérément à leur navire luxueux en train de sombrer. Il prend en otage la ville afin de la rendre « autonome » (Bane ayant fait dans le passé un coup d’état), d’empêcher le gouvernement américain d’intervenir et de permettre à la ville de renaître. Il leur fait miroiter l’espoir. Bane est l’espoir, comme le fut Batman avant qu’il ne disparaisse et ne sauve plus sa ville. Son véritable dessein est bien plus noir évidemment. Nulle liberté ou égalité n’est à attendre. Seul la mort se trouve au bout du chemin. On pourra arguer de la raison pour laquelle Bane n’envisage de détruire Gotham qu’au bout de cinq mois de siège. Il est vrai qu’il aurait été bien plus simple de la démolir tout de suite. Néanmoins cette attente remplie deux objectifs. D’abord faire souffrir le défait Bruce Wayne, dont la double identité a été découverte par Bane, en lui faisant croire qu’il peut encore sauver sa ville s’il parvient à accomplir l’impossible (sortir de la prison sous-terraine). Surtout à avoir une visée punitive sur la terrible Gotham City. Ces cinq mois représentent une forme de purgatoire où les citoyens subiront l’enfer pour leurs « crimes » avant de finir dans une apocalypse purificatrice (à la question « qui êtes vous ? », Bane répond qu’il est « l’expiation de Gotham »).

Bane, malgré son côté suave qui le rend encore plus inquiétant et imprévisible, est plus proche de la bête que de l’homme. Un monstre charismatique parvenant à rallier à sa cause par sa simple présence ou à ses simples discours (parfois trop lourdement explicatifs). Bane est un animal comme le sous-entend le design de son masque mais aussi ses habits, dont une sorte de « carapace ». Il n’hésite pas à se lancer dans une brutalité sans borne et à exécuter de ses propres mains ceux qui se mettent sur sa route. Nolan est cependant un peu limité par son obligation de livrer un blockbuster « PG-13 » qui ne lui permet pas de dévoiler toute la folie et la puissance destructrice de cet être fait de muscles (les exécutions souvent faites hors champ), bien que le combat final commence à esquisser une perte de contrôle de sa part lorsqu’il se met à frapper dans tous les sens avec une hystérie et une force qui n’ont plus rien d’humaines.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20183154.jpgThe Fire Rises

Tout cela n’est que manipulation pourtant, et c’est ici que l’on en vient au gros twist de l’histoire qui, s’il est fidèle aux « comics », dessert furieusement le long-métrage et ses vingt dernières minutes. Au point de rendre caduque certains partis pris initiaux. Car les connaisseurs de l’univers Batman savent que Ra’s al Ghul n’a jamais eu de fils mais une fille unique. Et la mystérieuse nouvelle venue aux bonnes intentions, Miranda Tate, de se transformer en vengeresse criminelle : Talia al Ghul. Et le spectateur de découvrir dans ce retournement choc, où Batman se fait poignarder dans le dos par la femme à qui il faisait confiance (au point de coucher avec elle), que l’enfant en question qui escalada jusqu’à l’unique sortie de la prison n’était pas un garçon mais une fille aux cheveux courts.

Cette soudaine apparition a plusieurs conséquences. D’abord réduire à néant la caractérisation finalement mensongère de Bane (car s’il a bien aussi été dans cette prison, il n’y est pas né et n’est pas sorti de lui-même). D’antagoniste parfait de Batman, on se retrouve face à un sous-fifre énamouré qui protégea la jeune fille dans cette prison au péril de sa vie. Nolan a toujours été fan de James Bond, au point de vouloir en faire un et de piller la série pour The Dark Knight et surtout Inception. The Dark Knight Rises ne déroge pas à la règle puisque l’introduction, en plus d’être une redite pas très immersive de la première scène géniale de The Dark Knight, est aussi une copie du pré-générique de Permis de tuer. Mais là où ses inspirations bondienne étaient plutôt prestigieuses, la révélation de l’identité de Talia rappelle le mauvais souvenir du ridicule Le Monde ne suffit pas (où un méchant charismatique se révélait aussi être un sous-fifre amoureux d’une femme fatale faussement innocente et victime aussi jouée par une actrice française).

L’autre désavantage c’est que le personnage joué par Marion Cotillard prend une importance capitale et est bien trop lourd pour ses épaules. Entendons-nous : si Marion Cotillard n’est pas une grande actrice, elle a déjà livré de belles interprétations (voire de magistrales, comme le prouvait le récent De rouille et d’os de Jacques Audiard). Mais si elle peinait déjà à rendre intéressant le personnage de Miranda Tate, pas follement bien écrit il faut bien le reconnaître, elle se plante complètement avec Talia dans un jeu de regards noirs et de grimaces avec lequel elle avait déjà dangereusement flirté dans Inception. Le sommet du ridicule est atteint lors de sa dernière séquence où le public se met à éclater de rire à un moment ne prêtant pourtant pas à la rigolade ; la faute incombe ici autant à Cotillard (qui en prend actuellement pour son grade) qu’à Nolan qui a eu la bêtise de conserver cette prise grotesque et qui est pour l’instant injustement dédouané des critiques par son immense communauté de fans.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/19957664.jpgErreurs de parcours

C’est dans cette dernière demi-heure que se concentrent les principales erreurs de Nolan. On pourra toujours condamner la sous-intrigue financière initiale à laquelle le réalisateur accorde beaucoup trop d’importance, celle-ci devant servir à ruiner Wayne et à bien souligner que sa chute à la fin du second acte est absolument totale. On peut aussi clairement trouver barbant les innombrables scènes de dialogues visant à vaguement justifier l’existence de ce mini réacteur nucléaire que Bane va détourner pour en faire une bombe mobile dont la dégradation est bougrement précise puisqu’elle se fait par le biais d’un compte à rebours. Car dans sa volonté d’établir un univers crédible, Nolan a bien du mal à se lâcher à quelques fantaisies et une bombe nucléaire aux mains des méchants se doit ainsi d’être justifiée pendant près d’une heure. Et on pourra sans aucun problème reconnaitre que le personnage joué par Matthew Modine (Full Metal Jacket) est absolument inutile à l’intrigue.

Mais c’est avant tout la partie finale qui concentre le plus de défauts embarrassants. D’un côté Nolan abuse d’ellipses saugrenues rendant difficilement perceptible l’écoulement du temps, de l’autre il repousse éternellement l’évènement majeur et déclencheur (le « rise » de Bane qui sort des ténèbres pour s’emparer de Gotham) qui aurait dû intervenir dès les quarante premières minutes si Nolan avait voulu avoir le temps de vraiment s’intéresser aux états d’âmes des habitants pris en otage. Il se dégage de la dernière heure une impression de précipitation malvenue. A peine Wayne est-il enfin sorti de la prison qu’il arrive aussitôt et on ne sait comment dans la ville de Gotham, pourtant ultra fermée depuis son « départ ». Il trouve immédiatement Selina Kyle et décide de lui refaire confiance alors que la première fois lui avait valu d’avoir quelques cervicales brisées et d’être emprisonné pendant des mois dans une prison au bout du monde, avec comme supplice d’être alité et d’assister par le biais d’une télévision à la lente destruction par l’intérieur de la ville qu’il s’était juré de relever.

De même, l’immense bataille finale est tronquée et bien peu impressionnante. La charge des policiers dure deux minutes avant que Nolan ne se focalise plus que sur le second duel entre Bane et Batman, chacun à la tête d’une armée. Un combat à mains nues filmés en gros plans qui passe peut-être très bien en Imax, mais pas tant que ça dans les salles françaises n’ayant pas ce nouveau format (c’est-à-dire toutes sauf une poignée) et qui se retrouvent obligé de ne projeter les plans que tronqués sans que Nolan ait souhaité s’adapter au deux formats comme l’avait par exemple fait James Cameron (Avatar) ou Steven Spielberg (Les Aventures de Tintin). La poursuite finale est aussi incroyablement décevante quant on sait la logistique qu’elle a demandée pour sa réalisation, d’autant plus que le film est assez chiche en scènes d’actions. La séquence est comme tronquée tandis que tout s’enchaine à toutes vitesses. On a à peine le temps de la savourer qu’elle est déjà terminée. On est très loin de la séquence du camion dans The Dark Knight. Et on aura beau critiquer Michael Bay, mais lui est capable d’envelopper des séquences de destruction massive urbaine avec une certaine jubilation, une grande générosité et une habileté technique qui manque encore clairement à Nolan (et c’est pourtant pas l’envie qui semble lui manquer lorsque l’on observe le caractère de plus en plus « blockbuster » de ses derniers projets).

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20183166.jpgRésolution

Mais pour résoudre le principal problème de The Dark Knight Rises, il aurait fallu purement et simplement supprimer le personnage de Miranda Tate/Talia al Ghul. D’abord parce qu’elle démolit l’iconisation préalable de Bane, au point que Nolan, l’ayant relégué au rang d’« homme de main », le fait logiquement mourir comme tel, en hors champ et en un battement de cil. La suppression du personnage, au risque de faire une entorse audacieuse aux comics en faisant de Bane le fils de Ra’s al Ghul, aurait aussi permis d’étoffer la relation Batman/Catwoman et de rendre plus crédible leur romance finale plutôt que de l’alourdir et la mettre de côté au profit d’un vague ménage à trois qui décrédibilise le baiser des deux héros masqués et la soudaine attirance servile de Kyle pour Wayne. Et sa mort est traitée avec le même mépris que celle de Bane, et cette fois, sans une réelle raison pour la justifier.

Il est vrai que Nolan ne semble jamais avoir été très intéressé par le sort des ennemis de Batman. Le Joker mis à part (il était attrapé et devait figurer dans l’épisode suivant avant que la mort accidentelle de Ledger ne change les plans de Nolan), Ra’s al Ghul mourrait après un combat illisible et Double Face décédait hors champs d’une simple chute tandis que l’Epouvantail était carrément balayé d’un revers de la main par Nolan qui le faisait disparaitre sans que l’on puisse savoir ce qu’il allait devenir. Jamais de panache. Nolan fait bien réapparaitre l’Epouvantail dans une séquence savoureuse et surréaliste, plus proche d’une tonalité bande dessinée que de l’univers qu’il a élaboré, mais ce n’est qu’un clin d’œil à la « fan base » puisqu’encore une fois, hormis cette séquence, on ignore ce qu’il adviendra de lui. Bane et Talia ne font qu’agrandir cette liste.

On ne pourra par contre pas enlever à Nolan de s’être légèrement lâché et d’être retourné vers un « fantastique » plus affirmé comme il l’avait fait pour Batman Begins et Le Prestige, là où il avait tendance à tout rationnaliser à l’excès dans The Dark Knight et Inception. La séquence aérienne finale, bien que trop courte, est d’une tonalité plus légère que celle d’un polar réaliste. Nolan a évolué dans sa conception des séquences d’actions. Il est encore très loin des maîtres du genre, contrairement à ce que sous-entendaient ses innombrables fans parfois hystériques et ces critiques adeptes du « name droping » qui comparaient notamment Inception à du Kubrick. Mais il y a une amélioration dans les corps-à-corps notamment, qui sont passés d’illisibles à mous du genou. Reste à leur insuffler un peu de punch. Nolan pourrait y arriver puisque la première confrontation entre Bane et Batman constitue sans problème la meilleure séquence du film, notamment par sa brutalité et sa viscéralité. Son impact est d’ailleurs renforcé par l’absence de musique ; Hans Zimmer ayant dernièrement trop tendance à surligner les films dont il compose la BO, les blockbusters de Nolan en première ligne. C’est l’un des défauts de plus en plus récurrents chez Nolan, d’autant plus que la musique ici, hormis le thème de Bane, n’est pas des plus inventives ni des plus mémorables. Beaucoup de bruits pour pas grand-chose. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que les meilleures scènes des deux derniers Batman soient celles qui sont dénuées de musique : la course poursuite du camion dans The Dark Knight, le premier duel Bane/Batman et le dernier dialogue entre Bruce et Alfred (magnifique Michael Caine) dans The Dark Knight Rises.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/83/56/27/20183167.jpgContrechamp

On en vient à la conclusion même du film, moment très attendu par les spectateurs depuis l’annonce de cette trilogie. Elle est à la fois ambitieuse dans l’idée et légèrement bancale dans l’exécution. A l’image de l’ensemble de la saga de Nolan. Par son montage, on ne pourra étonnement pas s’empêcher de penser à la très belle séquence finale d’Inception, principalement par son côté apaisé par rapport au reste du long-métrage. Dans une même séquence, Nolan essaye d’achever les arcs narratifs de chaque personnage, avec plus ou moins de succès. Le plus audacieux est de faire de ce Robin le digne successeur de Batman (d’où un changement de rôle avec le Robin des « comics »). La séquence finale fait en effet croire au sacrifice de Batman, emportant la bombe nucléaire loin de la ville avec son avion et explosant avec. L’idée pertinente à la fin de The Dark Knight Rises est de montrer que Bruce Wayne est parvenu à faire ce qu’il envisageait de faire dès Batman Begins : créer un symbole d’espoir. Mais un symbole avant tout. Pas une incarnation. Ce n’est pas Batman mais « le » Batman.

Batman n’est pas Bruce Wayne mais le costume qu’il portait. Il le lègue donc à ce John Blake afin qu’il continue à faire perdurer la « Légende ». Tout le monde peut devenir un héros. Gordon en est un depuis qu’il avait consolé le jeune Bruce Wayne qui venait de perdre ses parents sous ses yeux. John Blake en est un aussi, plus digne que ces pseudo-Batman au début de The Dark Knight. Blake a plus de légitimité à porter ce costume que Wayne lui-même, citoyen milliardaire rêvant de venger ses parents et palliant à sa névrose en fracassant du bandit pendant la nuit. John Blake est ce que Dent devait devenir avant d’être détruit par le Joker. Il est un ancien policier qui a vu ce que la loi lui permettait et ne lui permettait pas (pour le meilleur et parfois pour le pire), et peut ainsi agir en conscience par rapport à celles-ci. Mieux encore, Nolan permet à Batman de devenir comme son maître mais dans une idée plus optimiste. Ra’s al Ghul et Batman ne sont plus que des « noms » que reprennent des hommes désignés, faisant ainsi vivre éternellement ces figures. L’un combattait pour la destruction, l’autre s’évertue à élever la ville qu’il garde.

Le principal problème de cette séquence conclusive vient de ce fameux contrechamp qui a tant fait parler. Au cours du long-métrage, Alfred dit à Bruce qu’il aurait voulu ne jamais le voir revenir à Gotham car il savait que la ville n’offrirait rien de bon au jeune milliardaire. Et le majordome lui révèle un rêve qu’il faisait à l’époque : une fois par an, il partait à Florence et s’installait dans un café au bord de l’Arno. Assis à sa table, il espérait apercevoir son ancien maître parmi la foule sur la terrasse du café, avec femme et enfants, apaisé, ayant tourné la page en remportant ainsi une vraie « victoire » sur son passé si terrible et encombrant. C’est alors qu’on revoit Alfred dans la séquence finale, meurtri par la mort de son maître, qui retourne dans ce café de Florence. Assis à sa table, il observe la foule comme il avait l’habitude de le faire. Puis il s’arrête soudain et sourit, à la fois surpris et heureux. Là, Nolan parait commettre une erreur capitale puisqu’il montre le contrechamp, révélant Bruce et Selina à une table ayant enfin, tous les deux, tournés leurs propres pages et pouvant passer à autre chose. Alors qu’on l’avait accusé d’avoir sciemment entretenu un mystère roublard à la fin d’Inception, on taxe soudain Nolan d’être beaucoup trop explicatif et tranché dans la conclusion de The Dark Knight Rises.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/84/48/34/20090661.jpgLe Prestige

Mais peut-on vraiment en vouloir à Nolan ? Après tout, il a comme principal défaut de tout surligner et d’être foncièrement démonstratif, comme s’il craignait que le public soit incapable de comprendre tout seul ; il n’a pas complètement tord d’ailleurs lorsque l’on assiste à des remarques saugrenus voire consternantes de spectateurs au sujet de films soi-disant obscurs (l’accueil français de La Taupe est un bon exemple). C’est un défaut qu’il a depuis longtemps. Un défaut d’autant plus contraignant qu’il fait du cinéma et est donc censé raconter avant tout par l’image ; dans un monde idéal, Nolan parviendrait peu à peu à prendre de l’assurance et à éviter de tout expliquer par le dialogue. Mais en l’état ce contrechamp est totalement logique avec les antécédents de Nolan, de même que ce twist si décevant au sujet de Bane et Miranda. On croit à tort qu’Inception avait une fin ouverte. Cela n’a jamais été le cas. Mais la majorité des spectateurs se faisait berner par cette toupie au premier plan de la dernière image d’Inception et ne regardait pas au second plan. Il ne faisait que regarder ce que Nolan lui montrait afin qu’il ne voit pas la clé de la séquence ; Nolan agissait d’ailleurs comme ces magiciens du Prestige. Pourtant le final d’Inception était bien un « happy end », et ce, peu importe si la toupie tombait ou non. Le détail à remarquer était que le héros acceptait de vivre enfin avec ses enfants, peu importe s’il se trouvait dans un rêve ou non.

Dans The Dark Knight Rises, Nolan refuse l’issue tragique de Bruce Wayne. Toute sa trilogie se basait sur le traumatisme infantile de Bruce et sur sa capacité à le dépasser. Deux options pouvaient alors se présenter sur la conclusion de l’aventure : la mort ou l’exil de Wayne, loin de Gotham. La réponse est « la mort par l’exil » pour reprendre l’une des plus marquantes répliques du film. On peut d’ailleurs noter que Nolan poursuit sa logique entreprise avec Inception, à savoir de permettre au héros nolanien de résoudre son problème vis-à-vis de son passé, de parvenir à tourner la page. Bien qu’étant de loin le plus mauvais film de sa carrière, The Dark Knight Rises est lui-même un tournant salvateur dans la carrière de Nolan, une résolution du traumatisme initial qui a marqué tout le début de sa filmographie. Il est temps pour lui de passer à autre chose. Certes le film n’est pas dénué de défauts. Il a tout du film malade, comme le fut John Carter d’Andrew Stanton quelques mois plus tôt. Un film trop ambitieux pour être totalement réussi. Et si, sur le papier et à l’écran, la plupart des idées sont pertinentes, il est vrai que leurs exécutions manquent parfois de panache. Pour que The Dark Knight Rises ait été un « chef d’œuvre », il aurait fallu que ces images et moments forts (Bane brisant Batman, Bruce Wayne sortant de la prison, le symbole de feu,…) soient sublimés et non pas que sagement illustrés.

Mais en l’état, Nolan livre une saga en trois actes calqués sur les trois étapes d’un tour de magie décrit dans l’introduction du Prestige, probablement la séquence la plus fondamentale que Nolan ait réalisée sur son propre travail. Batman Begins était d’abord la « promesse » : la présentation d’un objet/humain, ici Bruce Wayne, apparemment normal mais qui, en secret, ne l’est évidemment pas (il se déguise en Batman pour dépasser son traumatisme et son sentiment d’injustice). The Dark Knight était « le tour » : aux yeux de tous, Batman est devenu un être extraordinaire capable de prouesses, d’actes et de choix audacieux et douloureux que le commun des mortels ne peut pas prendre, avant de miraculeusement disparaitre telle une carte dans la main d’un prestidigitateur. C’est en tout logique que The Dark Knight Rises en constitue « le prestige ». Et elle est là, la vraie signification de ce contrechamp si controversé. Dans son monologue expliquant les trois moments d’un tour, Michael Caine décrivait l’étape du « prestige » en ces termes : faire disparaitre quelque chose n’est pas suffisant aux yeux du public. Il faut le faire « réapparaitre ».

NOTE :  6,5 / 10

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